Énergies renouvelables

Bretagne : éoliennes en mer, tempête d’avis contraires 

Par Léopold Picot, le 25 août 2021

Des éoliennes en mer (image d'illustration).

L’éolien pensait avoir trouvé son salut terrestre en s’exportant en mer : c’est peine perdue. Sur terre, on l’accuse d’être bruyante, tueuse d’oiseaux et créatrice d’anxiété. Sur mer, elle annihilerait la poésie de la perspective maritime, dérouterait les mammifères marins et, face au nucléaire, ne… « servirait à rien ». Tour d’horizon – encombré – des différents points de vue sur le projet d’éolien en mer, en Bretagne Sud.

 

Dans le bourg de l’île de Groix en Bretagne, à quelques rues de la marina, une affiche discrète clame ses revendications : « Non aux éoliennes visibles depuis Groix. » Les passants poursuivent leur chemin, plus pressés de faire le tour de l’île à vélo que de débattre du projet d’éoliennes en mer. Ses caractéristiques ? En face de l’île de Groix, de Belle-Île en Mer et de la presqu’île de Quiberon, 62 éoliennes flottantes, une première en France, vont être dressées d’ici 2028 pour une puissance de 750 MégaWatt (MW). De quoi alimenter 300 000 foyers et éviter l’émission d’une mégatonne de C02 par an.

« Gardiens du large »

Sophie France, naturopathe sur l’île de Groix, est l’une des trois co-président.e.s de la Fédération des Gardiens du Large, qui regroupe différentes associations luttant contre les éoliennes en mer en Bretagne Sud. Elle regrette que le message ait parfois du mal à passer. « Les gens  sont parfois hyper agressifs, ils disent que l’on est pro-nucléaire… », soupire-t-elle avant de se ressaisir : « Ils ne savent pas ce qui les attend, ils vont être très très déçus. L’éolien, ça ne sert à rien ! »

À Groix, une affiche anti-éoliennes en mer accrochée par Gardiens du Large.
À Groix, l’affiche qui veut repousser les éoliennes en mer, par une autre association que Gardiens du large : contrairement à cette dernière, elle ne veut pas annuler le projet mais le repousser de Groix, ce qui a été fait.

Sur le port, devant son entrepôt d’élevage d’huîtres et d’ormeaux, Erwan Tonnerre, également élu de la commune, confirme que le projet divise : « Même au conseil municipal on a des gens contre. Peut-être qu’ils n’ont pas toutes les infos, et c’est surtout l’aspect visuel qui prime, parce que ce n’est pas le plan de pêche qui dérange réellement. C’est comme d’habitude, il y a 10% de gens pour ou contre, et la masse est indécise. » Le maire de Groix, Dominique Yvon, botte en touche sur ce sujet sensible : « La mairie n’a pas de positionnement particulier à avoir. À partir du moment où c’est l’État qui a décidé, on n’a plus rien à dire, c’est le préfet qui s’en charge. »

Citoyens en colère

Les opposants aux éoliennes en mer se positionnent en résistants face à la marche inarrêtable de l’État, qui prévoit d’atteindre 40% d’énergie renouvelable en 2030 dans la production électrique, contre 21,5% en 2022. Sophie France parle ainsi du « mastodonte »  qui leur fait face, c’est-à-dire le Ministère de la transition écologique, le projet n’ayant pas encore été attribué. La fédération Gardiens du Large assure réunir des gens compétents, capables de conduire leurs propres études. « Il y a plusieurs ingénieurs, des hauts-fonctionnaires, et des gens tout à fait ordinaire qui ont beaucoup de bon sens… ce n’est pas parce qu’on a fait des études qu’on peut avoir une approche autoritaire, je pense qu’il faut savoir expliquer aux gens ce qui nous attend si l’on continue à s’engager sur cette mauvaise voie ! », commence Gildas Gouarin, coprésident de Gardiens du Large et ancien ingénieur sorti de Supélec, élu de la ville de Quiberon.

Une énergie intermittente

Un argument avancé par les opposants à l’éolien est le caractère intermittent de l’énergie éolienne : comment fournir une électricité stable si le vent s’arrête ou faiblit ? Pour Camille Charpiat, responsable éolien terrestre au Syndicat des énergies renouvelables, le débat n’est pas là : « Si on atteint 50% du mix en énergie renouvelable, à savoir dans plusieurs décennies, on devra sans doute développer des moyens de stockage plus importants, et il existe déjà des pistes. » Mais selon elle, pour l’instant, il existe des solutions pour compenser l’intermittence de l’éolien : la prédictibilité avec un ou deux jours d’avance d’une baisse de productivité, couplée à du nucléaire encore présent et au foisonnement des différentes énergies renouvelables en France. De plus, le réseau électrique communique entre les pays européens : ce que produit la France de renouvelable peut faire baisser l’empreinte carbone d’autres pays, et inversement.

Eoliennes en mer : Des sites comme earth.nullschool permettent d'analyser en temps réel la force des vents en Europe.
Des sites internet permettent d’analyser en temps réel la force des vents en Europe.

Des propos anticipés par Gildas Gouarin : « L’Europe est un territoire très important mais les dépressions arrivent sur le continent en même temps et les anticyclones s’installent aussi en même temps. Quand il n’y a pas de vent en Allemagne, il n’y a pas de vent ni en Italie, ni en France, ni en Espagne. » Un argument caricatural d’après les industriels de l’éolien. « On imagine que d’un coup il y a du vent en Europe et qu’il repart aussi vite. Il peut y avoir des épisodes où le vent est fort partout en Europe, mais c’est rare, en règle générale la puissance éolienne européenne est balayée par différents systèmes venteux entre l’Espagne, la France, l’Allemagne, la Pologne, le Royaume-Uni. », défend Dominique Moniot, représentant de la société Ocean Winds spécialisée dans l’éolien en mer et salarié d’Engie.

Biodiversité et recyclage 

Eric Guillot, coprésident de Gardiens du Large, s’inquiète de l’impact des infrasons des éoliennes en mer sur les mammifères marins : « Il aurait fallu des études d’impact environnemental au niveau de la faune et de la flore marine. »  Un argument qui agace Dominique Moniot : « Lors d’un débat public qui vise à choisir une zone précise, on ne peut pas présenter une étude d’impact sur cette dite-zone, encore inconnue : elles seront effectuées avant le début des travaux ! » Ce dernier concède néanmoins que la phase de construction est la plus délicate au niveau environnemental : les poussières soulevées pendant les mois de forage et le bruit assourdissant peuvent déranger temporairement les espèces sous-marines. D’où l’intérêt des éoliennes en mer flottantes, qui nécessite moins d’emprise au sol et donc moins de forage, qui permettrait, sur le papier, d’éviter de rejouer la catastrophe en cours à Saint-Brieuc.

La question du recyclage des pales s’immisce dans les discussions, quitte à véhiculer des fausses informations : non, les pales d’éoliennes ne seront pas enfouies dans le sol en France, contrairement à ce que font les Étasuniens. En revanche, si le mat d’une éolienne est recyclable (90% de la structure), ses pales, composées de fibre de verre ou de carbone, ne le sont pas encore. En France, elles sont broyées et utilisées dans du ciment. Mais Camille Charpiat se veut optimiste :  « Les éoliennes en mer ont une durée de vie de 20 ou 30 ans, donc on est assez confiant pour que d’ici là on ait des solutions matures de recyclage en partenariat avec d’autres pays européens, et qu’on pourra développer des composites de pâles plus facilement recyclables. »

Nucléaire un jour, nucléaire toujours ?

Face aux défauts avancés par les détracteurs de l’éolien, il y aurait une solution, trouvée dès les années 1960 et qui a fait ses preuves : l’énergie nucléaire. « Il faut choisir le nucléaire parce que le nucléaire est complètement décarboné et fiable. Alors on va nous dire qu’il y a des déchets, etc. Mais on n’est pas des pro-nucléaires, on est simplement des pragmatiques ! », se justifie Gildas Gouarin, des Gardiens du Large.

Contrairement aux idées reçues, une centrale nucléaire n'émet pas de carbone directement en fonctionnement, mais créé des déchets nucléaires, ainsi que du carbone lors de l'extraction d'uranium et pendant sa construction, son démantèlement.
Contrairement aux idées reçues, une centrale nucléaire n’émet pas de carbone directement en fonctionnement, mais produit des déchets nucléaires, ainsi que du carbone lors de l’extraction d’uranium et pendant sa construction ainsi que son démantèlement.

Ce pragmatisme-là, Camille Charpiat le connaît bien. Pour elle, il est déjà trop tard : l’intégralité du parc nucléaire français s’arrêtera entre 2030 et 2060, pour des raisons industrielles, pas politiques. Il faut donc anticiper : « On a une capacité à construire des nouvelles centrales nucléaires qui est limitée, cela nécessite des investissements de plusieurs milliards, des dizaines d’années de construction sans compter la phase d’expertise. On l’a vu avec l’EPR de Flamanville : mise en service prévue en 2012, toujours pas démarrée, et un coût de 3 milliards à l’origine qui, d’après la Cour des Comptes, atteindrait 20 milliards aujourd’hui. »

Bilan carbone contre bilan carbone

Reste le bilan carbone : qui de l’éolien ou du nucléaire est le plus propre ? En France, ce serait le nucléaire. Mais dans le monde, les chiffres divergent : le nucléaire, au niveau mondial, émet en moyenne 66 g de CO2e par kilowattheure produit, contre 14 pour l’éolien. La médiane du nucléaire est certes à 12 grammes, mais le Giec prévoit son augmentation dans les prochaines années. Peu importe : pour Gildas Gouarin, les éoliennes ne sont pas propres : « Si on est en Allemagne, qu’on achète une voiture électrique, c’est une voiture au charbon, parce qu’ils n’ont plus de nucléaire, ils l’ont remplacé par de l’éolien, mais comme l’éolien est intermittent, irrégulier et non-prédictible, ils construisent des centrales à charbon ! Actuellement le kilowattheure produit par l’Allemagne est aux alentours de 400-500g de CO2 alors que nous on est à moins de 20g. »

Les différentes sources d'énergies dans le mix électrique allemand depuis 1990, d'après le graphique fourni par Camille Charpiat. ©Clean Energy Wire
Les différentes sources d’énergies dans le mix électrique allemand depuis 1990, d’après le graphique fourni par Camille Charpiat. ©Clean Energy Wire

À Camille Charpiat de répondre, graphique à l’appui : « Il y a une idée reçue qui circule beaucoup selon laquelle on aurait rouvert des centrales à charbon en Allemagne avec le développement des énergies renouvelables et la fermeture des énergies nucléaires. C’est faux, comme le montre ce graphique. En juillet de l’année dernière, une loi est passée pour sortir du charbon, grâce à un mix énergétique performant. » Reste que cette dernière fixe la fermeture de la dernière usine de charbon allemande dans… 17 ans.

Des éoliennes trop visibles ? 

Le projet d’éoliennes en mer de Bretagne Sud sera visible depuis certaines côtes, de Belle-île à Groix en passant par la presqu’île de Quiberon. La bataille des photomontages a déjà commencé, et les associations ont peur d’un horizon gâché par les éoliennes.

La Fédération Gardiens du large conteste les photomontages de l'entreprise spécialisée Geophom, comme celui créé à partir du boulevard de la Côte Sauvage, à Quiberon. ©Geophom
La Fédération Gardiens du large conteste ces photomontages de l’entreprise spécialisée Geophom, ici du boulevard de la Côte Sauvage à Quiberon. ©Geophom

Une situation qui agace Erwan Tonnerre : « Tout le monde veut de l’éolien mais pas chez lui. Les gens ont peur de perdre en foncier. C’est vrai que 260 mètres de hauteur, c’est une grosse bestiole…  En Irlande, à Arklow, j’en vois certaines de 120 mètres à une dizaine de kilomètres de la côte, mais ce n’est pas choquant, il y a tellement de choses beaucoup plus moches autour de nous ! » Un habitant de l’île de Groix, qui souhaite rester anonyme, ajoute : « L’éolien en mer ou sur terre a le mérite de donner à voir aux gens l’énergie qu’ils consomment. C’est comme le nucléaire dont on ne ressent pas la menace si l’on n’habite pas à côté : avoir des éoliennes à côté de chez soi, cela permet de se rendre compte que l’énergie vient de quelque part, et qu’elle vient toujours avec des nuisances. »

Une communication mal ficelée

Si l’éolien en mer pose autant de questions, c’est aussi par manque de clarté de la part des industriels et de l’État. « C’est un vrai projet industriel, donc évidemment un certain nombre de questions se posent. Cela ne veut pas dire que les gens sont fondamentalement contre, mais démocratiquement, ce serait quand même assez normal que l’on soit informé précisément, ce qui n’était pas le cas », argue Jean-Marc Fleury, membre de l’association anti-éolienne en mer « Les vigies de la côte des Avens ». Une impression de flou se dégage de la communication étatique. Peu d’habitants de l’île de Groix savent que le projet expérimental de 3 éoliennes flottantes a été abandonné et qu’il a été remplacé par celui de 62 éoliennes. « Nous, on est ni pour ni contre mais encore faut-il savoir comment cela va se passer. Aujourd’hui il n’y a pas beaucoup de concertations, la grande réunion a eu lieu en 2020 pendant le confinement et puis depuis, pas de nouvelles. », s’agace le maire de Groix.

Face au débat incessant sur l’éolien, aux arguments et contre-arguments que chacun s’évertue d’imposer, Camille Charpiat paraît lasse : « Il faut que l’on ait un débat rationnel avec des informations fiables sur les coûts de l’énergie, son impact environnemental, les marges d’économies, sans qu’il y ait des choses qui viennent polluer le débat, comme les éoliennes qui ne sont pas recyclables alors qu’elles le sont à 90%, qu’elles émettent des infrasons alors que ce n’est pas vrai. Il faut que l’on se pose les bonnes questions. »

Reste une bonne question, évoquée par toutes les parties du débat : les énergies renouvelables doivent-elles servir à augmenter notre production pour consommer plus, ou accompagner une sobriété énergétique, dans la consommation comme dans la production ?


L’obstruction visuelle des éoliennes 

Pour visionner l’impact visuel des éoliennes, vous pouvez visiter le site officiel de simulation, ou le site de la Fédération des Gardiens du large, qui conteste la méthode employée par Geophom. Pour le site officiel, ne pas tenir compte des trois éoliennes intitulées “Éoliennes flottantes de Groix et de Belle-Île”, plus proches : le projet expérimental a été abandonné.  Le parc retenu sera “Parc fictif Est” et non Nord, Sud, ou Ouest, penser à le sélectionner dans “Variante” sur le tableau de bord.


© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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