Économie sociale et solidaire

Enquête : qui sont les néobanques "vertes" ?

Par Louise Lucas, le 30 juillet 2022

© Nattanan Kanchanaprat

Les néobanques dites “vertes” sont-elles une alternative éthique aux banques traditionnelles dénoncées par les ONG ? C’est en tout cas ce qu’elles prétendent, se targuant de pouvoir révolutionner le milieu de la finance. Or le diable se cache souvent dans les détails… Alors leurs belles promesses sont-elles tenues ? Enquête sur un marché en plein essor. 

“Néobanque verte”, un terme qui pourrait cristalliser tous nos espoirs. Car il ne fait plus de doute – les rapports successifs des ONG le montrent – que les banques traditionnelles jouent un rôle abyssal dans les émissions de CO2 à l’échelle mondiale. Comme le soulignait OXFAM en 2021, aucune des quatre principales banques françaises (BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et Banque Populaire Caisse d’Epargne) ne permet aujourd’hui de respecter les objectifs inscrits dans l’Accord de Paris, à savoir limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré à l’horizon 2100. Un constat que l’association dressait à nouveau en janvier 2022 dans son ebook intitulé “Comment mettre les banques au service du climat ?”.

Les raisons ? Des investissements massifs alloués aux énergies fossiles, extrêmement polluantes (pétrole, charbon entre autres), via le financement de projets de grandes entreprises. Avec quel argent ? Celui du contribuable : vous, moi, nous. Résultat, cela correspond au premier poste d’émission de gaz à effet de serre pour un particulier, où tout un chacun contribue à son insu au massacre de l’environnement. Un constat aussi glaçant que paradoxal, à l’heure où les consciences s’éveillent et où les mobilisations militantes – celles de la jeunesse notamment – s’intensifient. C’est là où les néobanques dites “vertes” entrent en jeu. 

Nouvelle demande, nouveau marché 

«Il est très difficile pour un citoyen de savoir comment utiliser son argent», livrait déjà Lucie Pinson, fondatrice de l’ONG Reclaim Finance, à Kaizen en 2021. L’objectif des néobanques est donc de répondre à une nouvelle demande, sur fond de désœuvrement : celle de citoyens éclairés avides de changement. Âgés de 35 ans en moyenne, ce sont de «jeunes actifs qui ont pris conscience de l’impact de leurs comptes en banque», explique Julia Ménayas, cofondatrice d’Helios, l’une de ces néobanques. Une «alternative radicalement différente, transparente», qui séduit 10 000 clients en France et en Belgique à ce jour. Selon l’entrepreneuse, plus de deux tiers des Français seraient prêts à changer d’établissement de crédit «pour être sûr que leur argent ne nuise pas à l’environnement où à la société». 

Là où il y a une demande, il y a un marché. Qui sont donc ces néobanques ? Elles qui fleurissent, depuis 2020, telles de jeunes start-up ambitieuses à l’image d’Helios, Only One ou encore Green Got. Elles proposent des services de banque 100% numériques, sur le modèle des allemands N26 et Tomorrow, accessibles uniquement via une application mobile. De nouveaux acteurs portés par “l’usage des nouvelles technologies digitales” comme le précise l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR). 

Pour six euros par mois, vous pouvez – selon leurs dires – diriger votre épargne vers des investissements responsables et ainsi lutter contre ce que Maud Caillaux, co-fondatrice de Green Got, appelle «la schizophrénie du système». Chez Only One et Helios, c’est même moitié moins cher pour les jeunes : c’est dire si leur cible est toute trouvée.

Image et discours bien rodés 

Stratégie marketing bien ficelée et promesses alléchantes, l’opération séduction a tout pour fonctionner. En effet, ces néobanques nous assaillent de messages forts et impactants sur leurs sites internet respectifs. Quand Green Got invite à “changer de banque pour changer le monde”, Helios nous met au défi de “dépolluer la finance”. Le tout ponctué d’images qui font sens, militants points levés, pancarte “Rise up like the sea” (soulève toi tel l’océan) fièrement brandie. Les mises en page sont minimalistes et les teintes émeraude, forêt ou pomme pourvu qu’elles soient vertes. 

D’autant que ces start-up s’emparent volontiers des codes de la génération Z (ndlr : personnes nées entre 1995 et 2010), et c’est là toute leur force. Elles investissent donc les réseaux sociaux, jusqu’à bâtir une vraie communauté d’internautes autour d’elles, à coups de hashtags et émojis en tout genre. C’est le cas de Green Got, particulièrement active sur Instagram auprès de ses 27 000 abonnés. Redoublant de créativité, les membres de l’équipe y proposent différents formats : de courtes vidéos pédagogiques pour “décrypter la finance”, d’autres plus humoristiques avec des mises en scène à la sauce Tik Tok, des réactions sur l’actualité environnementale à l’envi, et même un partenariat avec la youtubeuse Swann Périssé, très engagée sur les questions climatiques.

Mais pourquoi s’arrêter là ? Pour grandir, il faut ratisser large. Ainsi, gouailleurs et convaincants, ces entrepreneurs essaiment les plateaux télé dans l’objectif de parler aux moins jeunes, tout aussi concernés. Incarnant leur marque, ils s’y présentent avec audace en tant qu’«éco-banque», se targuant de financer la transition écologique «dès le 1er euro sur [nos] comptes» et  d’être «le futur de la banque». Sous les projecteurs, veste bien ajustée, ils y arborent leur carte en bois naturel de cerisier “provenant de forêts d’Europe centrale gérées durablement” pour l’un, en PVC recyclé à 86% et au “design totalement unique comme chaque être vivant de notre planète” pour l’autre, nous promettant une “épargne 100% verte”. 

Tout semble limpide, fiable, net. Et c’est ce que les Français cherchent : 86 % d’entre eux pointent justement le manque de transparence des banques traditionelles, selon un sondage OpinionWay pour Helios.

Statut plus que flou

Mais voilà : si la vitrine donne envie, on peut dire que l’arrière-boutique a de quoi ramener les pieds sur terre. Contrairement à ce que leurs arguments marketing peuvent laisser penser, les néobanques ne sont pas des banques à part entière. Pour se revendiquer de la sorte, elles doivent obtenir un agrément particulier, nécessaire à exercer l’activité en tant qu’établissement de crédit. C’est la Banque Centrale Européenne (BCE), après transmission du dossier par l’ACPR, qui se charge de le délivrer. Cette dernière, selon la Banque de France à laquelle elle est rattachée, veille “à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients”. Pour ce faire, elle passe au crible un certain nombre d’éléments bien précis parmi “l’honorabilité, la compétence et l’expérience des personnes chargées de conduire l’organisme” ou bien “les moyens administratifs, techniques et financiers”. C’est une procédure qui s’étale sur une année.

Voilà un ensemble bien fragile : ni banques… ni même néobanques en réalité. En effet, depuis avril 2021, seuls les établissements de crédit à part entière sont autorisés à se revendiquer comme tel (c’est le cas de Ma French Bank, Revolut, Orange Bank entre autres). Les “néobanques vertes” comme Only One, Green Got ou encore Helios utilisent donc un terme auquel elles ne correspondent pas aux yeux de la loi. Il faudrait leur préférer le statut de “compte de paiement sur mobile”, comme l’indique d’ailleurs le directeur général de l’une d’entre elles. «Pas très sexy», glisse-t-il cependant. 

Elles ne sont en fait que de simples intermédiaires (toutefois repeintes en vert), qui revendent cartes bancaires et comptes de paiements distribués par le biais d’autres structures financières ayant obtenu, elles, le fameux agrément bancaire, et donc la possibilité d’utiliser l’argent des clients. Pour obtenir cet agrément, «il faudrait 70 millions de fonds propres» précise Julia Ménayas, cofondatrice d’Helios.

Argent fongible 

L’argent justement, venons en. Car se pose un gros problème : celui de la traçabilité de l’épargne. En effet, de par ce statut flou, ces “néobanques vertes” ne sont pas habilitées à s’emparer de nos deuniers une fois déposés. Le circuit de l’argent n’est donc pas interne à l’établissement : il est bien plus vaste, faisant des haltes par plusieurs organismes financiers… qui n’affichent pas de valeurs éthiques ou écologiques en particulier. L’ACPR était déjà clairvoyante à ce sujet en 2020, affirmant que “la plupart de ces néobanques [dépendaient] directement du secteur bancaire traditionnel”.

Et c’est ainsi que Green Got fait appel à Suravenir, qui n’est autre que la filiale du Crédit Mutuel Arkea. Un simple “prestataire technique”, on nous l’assure, à qui est donnée la “recette” pour utiliser l’argent des clients… Mais qui est aussi et surtout un heureux financeur d’énergies fossiles, à hauteur de 400 millions de dollars entre 2016 et 2021, selon Banking on Climate chaos ! Only One quant à elle, a choisi Treezor, établissement de paiement qui se charge ensuite de déposer les fonds… à la Société Générale. Championne parmi les championnes : cette dernière est dans le trio de tête des banques les plus généreuses envers les entreprises productrices de gaz, charbon et pétrole, avec 87 milliards de dollars au compteur sur la même période. À croire que quand on aime, on ne compte pas. 

«C’était tout ce qu’on ne voulait pas faire» explique Julia Ménayas, cofondatrice d’Helios, dont le fonctionnement diffère. Elle est de son côté rattachée à la licence bancaire de Solarisbank, fondée par FinLeap, une plateforme “fintech” (ndlr : contraction de “Financial Technology”) qui entend révolutionner le secteur, comme son nom l’indique, par la technologie. «25% des dépôts de nos clients sont investis directement dans les entreprises de la transition écologique, le reste est placé dans une réserve de liquidité à la banque centrale» poursuit l’entrepreneuse, ce qui constitue «la grosse différence avec d’autres modèles». Pas de quoi s’inquiéter donc, dans la mesure où l’on nous assure que «les dépôts sont isolés en dehors du bilan de [leur] partenaire», et ce de manière «contractuelle».

Comptablement impossible alerte Olivier Torrente, directeur financier de la Nef. «Vous ne pouvez pas dire tel euro déposé par tel client (au passif de la banque), va exclusivement dans tel compte tout vert (à l’actif de la banque)» écrit-il sur Finances éthiques et alternatives. Un principe qui s’applique aussi à l’échelle du salaire selon lui : s’il est possible de répartir un budget pour organiser ses différentes dépenses, “cela reste une représentationque l’on se crée, on ne peut pas acter que tel euro de nos revenus sera alloué à telle dépense. D’autant que ces “néobanques vertes” se doivent d’appréhender le risque de liquidité, car un client peut retirer de l’argent à tout moment. Elles doivent dès lors être en mesure de récupérer rapidement la somme demandée, ce qui limite ses capacités d’action à l’endroit de projets éco-responsables. 

«Ce système incite à encourager des financements de court-terme, à rebours des investissements de long-terme nécessités par la transition écologique et sociale» conclut Olivier Torrente. Là où il y a une (prétendue) volonté, il n’y a donc pas forcément le chemin… Toujours est-il qu’«il faut innover, parce que si on reste aujourd’hui dans ce qui est proposé par les acteurs traditionnels, on ne va clairement pas dans la bonne direction», tranche Julia Ménayas.

 


© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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