Pédagogie

Education : les bienfaits des activités manuelles pour les enfants et les adolescents

Par Maëlys Vésir, le 29 avril 2021

L'Outil en Main © N. Tiers

Alors que les reconversions sur le tard vers l’artisanat ne cessent de croître [lire notre dossier « Néo-artisans, l’âge du faire » dans le nouveau Kaizen], qu’en est-il de la transmission de ces savoir-faire aux plus jeunes ? Si les bienfaits du travail manuel ne sont plus à démontrer, l’artisanat comme « voie de garage » est encore une idée reçue à démonter. 

 

Depuis un an, au fil des stages, Chantal Levrat, présidente de l’association Culture Technique et Manuelle, perçoit une belle évolution. Tous les mercredis et pendant les vacances scolaires, ce collectif basé à Rennes propose des ateliers d’accompagnement pour permettre aux enfants dès 9 ans, d’acquérir des savoir-faire autour du bois et du métal. « On observe qu’ils sont plus à l’aise avec leurs doigts et maîtrisent les gestes, se réjouit Chantal qui ressent aussi les bienfaits sur leurs comportements. Pendant deux heures, ils ne sont pas dissipés, ils restent concentrés et entre eux la communication se délie, ils échangent et partagent ensemble. »

 

Les bienfaits psychologiques du « faire »

Un apaisement par l’effet du geste observé aussi par Géraldine Canet, plasticienne et art-thérapeute à Strasbourg qui accompagne des enfants et adolescents à travers la pratique artistique. « Je me souviens, lors d’ateliers destinés à réaliser une fresque collective en structure éducative, d’un adolescent extrêmement agité, révolté contre toute forme d’autorité, qui m’a dit un jour qu’il aimait beaucoup le travail de découpe et de précision », se souvient la docteure en art-thérapie . Il désirait utiliser un cutter pour se charger de découper des lettres en volume, et m’a demandé de lui faire confiance. Je lui ai donc confié l’instrument. Il a travaillé des heures sur ces découpes qui demandaient à la fois de la force et de la minutie, et son comportement dans les ateliers s’est totalement transformé. »

L’un des ateliers de l’association L’Outil en Main autour du dessin technique © N. Tiers

 

Pour l’art-thérapeute, le geste en mouvement a un effet réorganisateur pour le psychisme. « L’action de fabriquer, réaliser, ou créer un objet permet aux enfants de construire leurs représentations et leur différenciation entre leur monde du dedans et leur monde du dehors », explique-t-elle. Les activités qui mobilisent le sensoriel, participent de leur construction psychique, et de leur perception d’une intégrité psycho-corporelle. » Un bien-être qui relie aussi aux autres. « Lors d’ateliers de modelage, il était frappant de voir que même absorbé par la tâche qu’il était en train de faire, l’enfant ou l’adolescent restait pleinement présent à ce qu’il se passait autour de lui. » décrit-elle. « Il y a en cela un aspect phénoménologique à l’acte de « faire » : j’agis sur le monde qui agit sur moi et me modifie à son tour. Cela permet de donner corps aux relations entre soi et les autres, de même qu’un pouvoir d’action sur son existence. »

 

« L’action de fabriquer, réaliser, ou créer un objet permet aux enfants de construire leurs représentations et leur différenciation entre leur monde du dedans et leur monde du dehors »

 

Transmission et orientation professionnelle

Ce pouvoir d’action, incité par les métiers manuels, Chantal Levrat souhaite le transmettre aux enfants à travers son association inscrite dans une démarche d’éducation populaire. « On réalise que des enfants ont des capacités manuelles qu’ils ne peuvent pas exprimer et que l’état d’esprit actuel du système éducatif ne permet pas de développer », regrette-t-elle. Il est important que les jeunes se projettent en meilleure connaissance de cause dans les métiers manuels sans qu’ils se disent que c’est parce qu’ils sont en échec scolaire qu’ils doivent tendre vers l’artisanat. »

Un constat partagé par l’association L’Outil en Main qui permet des rencontres-ateliers intergénérationnelles depuis 1994 entre artisans retraités et jeunes de 9 à 14 ans. Elle a permis depuis sa création, à travers ces 220 antennes et 5200 bénévoles, de nombreuses réussites professionnelles d’enfants qui ont pu choisir leur orientation professionnelle.  « J’ai beaucoup de reconnaissance pour toute l’équipe qui m’a permis de faire de ces trois années, tous les mercredis, des années de découvertes, d’apprentissages et de plaisir », se réjouit Bastien, 17 ans aujourd’hui en Terminal Bois Technicien Fabrication Bois et Matériaux associés au lycée professionnel François Arago à Villeneuve Saint Georges.

© N. Tiers

 

Charpentier, mosaïste, plombier, carreleur, métiers de bouche… Autant de corps de métiers accessibles à plus de 3400 enfants dans toute la France à travers cette association. « Notre ambition serait que chaque jeune est un « Outil en main » près de chez lui et puisse découvrir, apprendre et s’amuser tout en développant une relation originale qui n’est pas celle avec un parent ou un professeur mais avec une personne expérimentée et passionnée par son métier qui transmet son savoir », se réjouit Emilie Scoccimarro, directrice générale. « On observe depuis cinq ans un engouement avec des appels tous les jours pour une création d’association à tel ou tel endroit du pays et les bénévoles sont également sollicités pour des interventions d’une demi-journée pour présenter les métiers et faire des animations en partenariat avec l’Education Nationale » Une manière de revaloriser l’artisanat qui ne doit « plus être un métier choisi par défaut mais par passion » selon la directrice de l’association.

 

© N. Tiers

 

« La distinction entre intellectuel et manuel est absurde »

Repenser et reintégrer le « faire » dans l’enseignement est un gros enjeu de demain pour le militant pédagogique Jean-Michel Zakhartchouk. « La question du « pratique » à l’école est souvent traitée de façon simpliste et approximative où le travail manuel finit par être cantonné aux élèves en difficultés et “moins éduqués” », regrette l’agrégé en Lettre modernes qui voit la dissociation intellect/manuel absurde. Le discours hypocrite de l’intelligence de la main mais pour les « moins bons » doit s’arrêter, c’est une forme de mépris de classe », analyse-t-il.

Pour inverser les systèmes de pensée, l’enseignant retraité, rédacteur aux Cahiers Pédagogiques, propose en plus de potentiels ateliers, de simplement diversifier les façons d’apprendre et de travailler les matières. « En arts plastique et en musique, deux matières déjà “concrètes“, les enfants devraient d’autant plus en apprendre sur la confection des instruments ou bien la provenance des matériaux avec lesquels ils dessinent », propose-t-il. « Et pourquoi ne pas apprendre les maths par des expériences du quotidien, insister sur les fouilles archéologiques et la fabrication de maquettes en Histoire ou encore s’attarder sur le processus de fabrication d’un livre en Français ? », interroge-t-il. « L’important ici est de montrer l’existence du travail manuel dans les métiers de la « grande culture » tout en exposant les bienfaits intellectuels de l’artisanat. Cela contribuera à faire évoluer les mentalités. »

 


 Travail manuel : quels impacts sur le cerveau ?  

Témoignage d’Olivier Houdé, professeur de psychologie à l’université de Paris.

Dans l’histoire de la psychologie de l’éducation, déjà le philosophe anglais des Lumières, John Locke était fasciné par l’élan des enfants, cette force enfantine qui fuse dans l’action, le jeu et même le travail scolaire. Dans l’action, comme dans le jeu, c’était, pour lui, l’expression d’une liberté. Ensuite, au début du XXème siècle, la pédagogue italienne Marie Montessori estimait, elle aussi, que l’intelligence se construisait par l’action, soulignant l’importance de la main et de l’éveil sensoriel, comme y insistait aussi à cette époque le psychologue John Dewey aux États-Unis, selon son principe Learning-by-doing : Apprendre en faisant. De même, en France, le célèbre pédagogue Célestin Freinet prônait le « bain de la vie », de l’action, l’apprentissage par la pratique et le projet concret, contre l’idée illusoire, mais commune aujourd’hui encore, de l’éducation classique formelle et verbale. C’est « en forgeant qu’on devient forgeron », rappelait Freinet !

Concrètement, le mécanisme fondamental qui nous permet d’apprendre est la différence entre la récompense attendue d’une action et celle effectivement reçue qu’on appelle « signal d’erreur ». Nous ajustons ainsi en permanence nos représentations du monde extérieur selon ces signaux d’erreur et le cortex néo frontal permet ainsi d’apprendre à inhiber les automatismes moteurs inadéquats pour acquérir une meilleure flexibilité manuelle. En d’autres termes, l’action associée au tâtonnement et aux émotions jouent un rôle important dans les apprentissages du cerveau : le processus de la mémorisation lui-même est optimisé dans le cerveau si on incarne le souvenir dans une action, un geste. Pour ancrer la curiosité et le progrès, il est préférable pour le cerveau de l’enfant/l’adolescent que la tâche manuelle ne soit ni trop facile (pas d’erreur), ni trop difficile (trop d’erreurs et pas assez de réussite). Le bon exercice de ces circuits neurochimiques du cerveau, à travers des activités manuelles motivantes, peut diminuer l’anxiété et renforcer l’estime de soi.


© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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