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Eco-anxiété : Comment les jeunes apprivoisent l'angoisse écologique

Par Amélia Morghadi, le 19 août 2022

En 2019, le réchauffement climatique est devenu une source d’angoisse pour 72 % des 18-24 ans © Jérômine Derigny - Collectif Argos

Pollution, fonte des glaces, extinction de masse de la vie sauvage… Depuis qu’ils sont nés, les moins de 25 ans sont assaillis par les mauvaises nouvelles environnementales. L’omniprésence de la crise climatique affecte leurs corps et leurs esprits, mais face à l’éco-anxiété, les jeunes ne baissent pas les bras et cherchent de la réassurance entre pairs.

« Je veux que vous paniquiez. Je veux que vous ressentiez la peur que je ressens tous les jours. Je veux que vous agissiez comme si notre maison était en feu. Parce qu’elle l’est. » Ces mots poignants de l’activiste suédoise Greta Thunberg au Forum économique de Davos sont devenus l’étendard d’une génération.

En 2019, le réchauffement climatique est devenu une source d’angoisse pour 72 % des 18-24 ans (1). Les psychologues parlent d’éco-anxiété, ou de solastalgie. La différence entre les deux termes ? La temporalité. Là où le premier est plus dans l’expectative et le stress du futur, le deuxième, théorisé par le philosophe australien Glen Allbrecht, se focalise sur la perte et la déliquescence de notre environnement dans le présent. Des peurs souvent mêlées, qui peuvent prendre des formes très variées, de la tristesse à la paralysie.

« Vivre dans un monde qui se dégrade »

Élodie, étudiante de 24 ans, a découvert l’anxiété écologique l’année de ses 18 ans : « J’ai eu comme un électrochoc. Je me suis baladée dans les rues du centre-ville en pleurant : voir tous ces magasins remplis d’objets en plastique, de vêtements produits en Chine, ça m’a fait comprendre que notre modèle de société n’était pas durable », confie la jeune Lyonnaise, en master d’entreprenariat solidaire.

À 16 ans, assise sur le bord du canal Saint-Martin à Paris, Claire se demande si elle aura un jour des enfants : « Je culpabilise à l’idée de les faire vivre dans un monde qui s’écroule, mais aussi sur l’impact environnemental désastreux d’un autre être humain sur Terre. » Une angoisse partagée par plusieurs de ses amies. Compliqué également pour la lycéenne de se projeter dans ses études : « Il faut vraiment faire un métier qui a du sens et va contribuer à rendre le monde plus vivable », explique Claire, baskets recyclées aux pieds.

Pour Charline Schmerber, psychothérapeute spécialisée dans la solastalgie, les jeunes de 2020 ont « beaucoup plus de clairvoyance que les générations précédentes au même âge. Ce sont eux qui vont vivre dans un monde qui se dégrade, ils se sentent forcément plus concernés. » Difficile de penser à l’avenir quand la planète se dégrade sous nos yeux. Un stress également provoqué par la surconnexion des 15-25 ans : « Le flux permanent d’informations anxiogènes en lien avec la crise climatique impacte considérablement la façon dont les jeunes se construisent », explique la spécialiste. Elle souligne l’importance de préserver une certaine sécurité intérieure face à un monde et à des nouvelles extrêmement insécurisantes.

« La solution réside dans le collectif »

On ne peut pas esquiver les rapports scientifiques sur les augmentations de température, la disparition de la faune et de la flore, les difficultés pour s’alimenter, etc., en faisant du yoga et en étant positif », témoigne Élodie. L’étudiante en est convaincue : la solution réside dans le collectif : « On ne peut pas porter tout cela seul. » Internet et les réseaux sociaux sont bien souvent les premiers lieux de réconfort dans lesquels les éco-anxieux puisent leur énergie. Benjamin, 21 ans, est membre de La collapso heureuse, un groupe Facebook de près de 30 000 membres. La promesse ? Vivre sa collapsologie, théorie selon laquelle notre société se précipite vers son effondrement, de manière positive. « Ces lieux de parole aident les personnes qui ont pris conscience du problème environnemental, et qui se sentent perdues, démunies, décrit le jeune Dijonnais. Il y a toujours eu des gens préoccupés par ces thématiques, mais je pense qu’Internet a contribué à ce que cela prenne de l’ampleur. »

Un sentiment que partage Marie, ingénieure agronome de 25 ans, inscrite sur un autre groupe focalisé sur la solastalgie, Transition écologique et éco-anxiété : groupe de soutien : « Ça fait du bien de se sentir moins seule à avoir conscience de l’état du monde, et se rendre compte qu’on est nombreux à vouloir changer les choses.» Conférences avec des experts du climat, conseils bienveillants, initiatives de développement durable ou simple partage de ressentis et d’expériences, ces plateformes permettent aux jeunes déboussolés de dépasser leur mal-être pour rester dans l’action. « Si tout le monde s’aide à accepter, et vivre pleinement cet état, on sera de plus en plus aptes à sauter le pas et à agir pour la transition », une dose d’espérance et de dynamisme qui aide Marie, la Toulousaine, à aller de l’avant.

À Lausanne, en Suisse, Matthias a voulu apporter sa pierre à l’édifice en créant avec deux amis une page Instagram : T’as le vertige ? « Tout est parti du constat qu’on était tous les trois angoissés, et pour nous, l’idée de vertige résumait bien notre ressenti : un mélange d’anxiété et d’espoir. On a pris trop de hauteur et on est confrontés aux conséquences : le vide », résume avec passion l’étudiant. Leur page est rapidement suivie par des comptes de Youth for Climate, et par une majorité de jeunes. « L’idée est de réussir à susciter le débat sur des sujets difficiles à aborder avec ses proches [lui-même avoue ne pas réussir à en parler avec la plupart de ses amis], mais aussi de faire comprendre que la crise climatique n’est au final qu’une facette de la crise systémique créée par le capitalisme. » Une façon de mettre en perspective les inquiétudes climatiques et d’inciter à œuvrer de manière plus politique.

Du côté de Lyon, Élodie se considère éco-anxieuse, mais pour la jeune femme, ce n’est pas une fatalité. « Je ne suis pas parfaite, pas zéro déchet, pas encore 100 % végétarienne, mais j’essaie de planifier ma vie pour qu’elle soit la plus raisonnable possible. Avec mon conjoint, on s’est donné l’objectif de s’installer à la campagne en habitat partagé. » Recréer un écosystème durable à petite échelle, pour petit à petit, tenter de faire changer la grande.

(1) Selon une étude spéciale éco-anxiété réalisée par YouGov pour le HuffPost en 2019.« Il faut vraiment faire un métier qui a du sens et va contribuer à rendre le monde plus vivable. »

Retrouvez cet article dans notre K52, consacré à l’engagement des jeunes.


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