Donnons la vie dans la douceur de notre maison
Accoucher à la maison, quelle drôle d’idée ! Nathalie Jouat vous explique les bonnes raisons de le faire, dans cet article et dans le livre qu’elle vient de sortir.
Retour aux sources de la vie
L’OMS [1] estime que 90% des naissances dans le monde ont lieu loin des hôpitaux. Un constat valable dans les pays du Sud, où la médicalisation est difficile ou inexistante, mais également chez nous. Au siècle dernier l’évolution du confort, de l’hygiène, les changements profonds dans le quotidien des femmes ont banalisé les naissances en structure médicale. La mortalité infantile et maternelle a diminué, aide et soins ont réduit la souffrance et les possibles complications. Mais dans les années 80, la réflexion autour de la féminité et du don de la vie refait surface. L’accouchement à domicile, qui a connu une forte baisse de popularité, se relève. Aujourd’hui en France, elles sont moins de 2% à faire ce choix (environ 3 000 bébés par an).
Donner la vie n’est pas un acte anodin, mais la gestation n’est pas une maladie ! Les raisons qui poussent les couples à se tourner vers l’accouchement à domicile sont diverses. « Pendant neuf mois, nous avons été accompagnés par une sage-femme libérale, professionnelle de la naissance, compétente et responsable. Comme ma grossesse se passait bien, nous avons organisé un accouchement à domicile. Nous souhaitions éviter l’hôpital, synonyme pour nous de maladie, de peine et parfois de mort. Nous voulions être pleinement acteurs de ce moment, vivre à 100% chaque seconde, ne pas être bousculés, dirigés. Être accompagnés et non assistés. Nina est née dans le calme, chez nous, sur notre lit où nous avons cocooné juste tous les trois », se souvient Nathalie, maman de Nina.
Une pratique normée malgré les apparences
Les sages-femmes libérales qui pratiquent les accouchements à domicile sont peu nombreuses (environ 60). Elles sont surchargées de demandes et assurent entre trois et douze accouchements par mois. Métier à plein temps, il véhicule une grande charge émotionnelle : bonheur, responsabilités et parfois déception. Les futures mères ne sont pas toutes éligibles à l’accouchement à domicile : les sages-femmes s’engagent par la signature d’une charte informelle à ne proposer cette possibilité qu’à l’issue de grossesses sans complications. Il ne s’agit pas de rejeter l’hôpital en bloc : le suivi médical assure la sécurité au couple et à la sage-femme aux abords de la naissance. Diabète, hypertension, développement du fœtus, état de santé de la mère, position du bébé, rien n’est laissé au hasard.
Chantal, sage-femme dans le Périgord, est équipée pour réagir : « J’emporte de quoi faire un monitoring pendant le travail, c’est grâce à cela que l’on détecte un éventuel épuisement ou une souffrance du bébé. J’ai de l’oxygène, de quoi aspirer les voies respiratoires, réanimer, perfuser, anesthésier localement en cas d’épisiotomie, j’ai du matériel chirurgical, des antihémorragiques… Par ailleurs, j’apporte une trousse d’homéopathie naissance, des plantes et aussi des médicaments classiques. En cas de problème, nous essayons de faire face avec calme et discernement. Si la situation dépasse mes possibilités, les mamans sont transférées à l’hôpital. » Les transferts ne sont pas fréquents mais doivent être organisés à l’avance au cas où l’éventualité se présenterait : les couples sont inscrits à la maternité la plus proche.
C’est d’ailleurs un des principaux freins à l’accouchement à domicile : « J’habite à 25 kilomètres de l’hôpital et j’ai préféré ne pas prendre le risque de devoir faire tant de route en cas de complications », déplore Anne. Pour d’autres, c’est plutôt l’isolement qui effraie, la perspective d’être seuls avec le bébé – surtout lorsqu’il s’agit d’un premier enfant. Si les complications peuvent conduire à l’hôpital, les couples sont parfois contraints de s’y rendre eux-mêmes lorsque la sage-femme n’est pas disponible.
Un accouchement personnalisé
L’accouchement à domicile est envisagé pour le confort et la liberté qu’il procure. « J’ai choisi de la musique. La lumière était tamisée, nous avons préparé un gâteau et des litres de jus de pomme ! Quand les contractions sont devenues rapprochées, nous nous sommes souvenus des exercices recommandés. J’ai beaucoup bougé, dansé, crié parfois… J’ai aussi pu m’isoler quand j’en avais besoin, me recentrer. Quand la sage-femme est arrivée, quel soulagement ! Nous étions en parfaite confiance. La naissance fut intense mais très naturelle, animale presque… », raconte Florence.
Il y a quelque chose de primitif dans la naissance, qu’un environnement familier et intime aide à recréer. Les couples qui ont vécu cette expérience se montrent très enthousiastes. « J’ai accouché à domicile à deux reprises. La première fois, je n’en ai pas parlé. J’avais envie d’être tranquille, de ne pas avoir à me justifier. Envie de m’épargner les angoisses des autres. La deuxième fois, impossible de le cacher mais personne ne m’a rien dit. Au contraire, j’ai l’impression que cela a suscité une forme d’admiration, comme si j’avais gravi l’Everest ! » s’étonne Claire.
Une pratique en danger
L’accouchement à domicile est menacé. Les assurances demandées aux sages-femmes pour exercer leur métier sont chères (jusqu’à 25 000 euros par an). « Nous sommes classés profession à risque selon des statistiques de litiges aux États-Unis, pays où les gens sont très procéduriers… Bien qu’il n’existe pas d’étude prouvant que l’accouchement à domicile est plus risqué qu’une naissance hospitalière, on a des difficultés à pratiquer notre métier : ce type d’accouchement n’est plus inscrit dans notre culture, il est très dévalorisé », déplore Chantal.
La demande ne manque pas, certaines font des centaines de kilomètres pour en bénéficier. « Je vis dans le nord de la France et il n’y a pas de sage-femme ici. Il faut se tourner vers la Belgique, à plus de 45 minutes de Lille. Le côté administratif a été très compliqué parce que le suivi de grossesse avait lieu en Belgique. Pourtant ce fut une expérience inoubliable pour nous tous, les enfants y compris », confie Maëlle. Au-delà de raisons logistiques, c’est un manque de considération et de reconnaissance de leurs choix que les femmes défendent lorsqu’elles militent pour l’accouchement à domicile. Dans d’autres pays européens les choses sont plus faciles : en Angleterre, le gouvernement plébiscite cette pratique pour alléger les frais de la sécurité sociale et aux Pays-Bas, ce sont plus de 30% des femmes qui choisissent d’y recourir.
[1] Organisation Mondiale de la Santé
Vivre sa grossesse et son accouchement : Une naissance heureuse, Isabelle Brabant, éditions Chronique Sociale, 2003
J’accouche bientôt et j’ai peur de la douleur, Maïtie Trélaün, éditions Le Souffle d’Or, 2008
Pour une naissance sans violence, Frédérick Leboyer, éditions Points, 2008