Agriculture et Économie sociale et solidaire

Des fermes oasis pour aider les jeunes agriculteurs à s'installer

Par Marie Thomazic, le 3 mai 2021



Mettre le monde agricole au cœur de la transition écologique et sociale ? Tel est l’objectif ambitieux que s’est donné l’entreprise Eloi. Depuis 2020, cette dernière achète de grandes exploitations pour aider des jeunes agriculteurs à s’installer. Fondateur du concept, Maxime Pawlak explique a démarche de son entreprise pour pallier aux problématiques de transmission des fermes françaises.

Vous vous êtes penchés sur les problématiques des agriculteurs lorsque vous avez créé Eloi, il y a un an et demi. Quels sont les enjeux du monde agricole dans la transition écologique et sociale ?

Nous voulions construire un projet qui puisse avoir des impacts environnementaux à grande échelle. Dans l’agriculture, il y a la potentialité de régénérer l’écosystème, de stocker énormément de carbone dans les sols, et cela est plus efficient que tout un tas d’autres technologies. Ce qui nous a marqué, en plus de la détresse du monde agricole, c’est la perte du nombre d’agriculteurs qui s’accélère. Nous voulions contribuer à l’accélération de la transition grâce à l’agriculture. 

Nous avons fait deux constats : la difficulté à transmettre des fermes à cause du manque d’agriculteurs, et des fermes trop grandes et chères qui ne correspondent plus à ce que veulent les jeunes exploitants. Dans les dix ans à venir, 50% des agriculteurs français seront à l’âge de la retraite. Cela veut dire qu’il y aura 180 000 fermes à transmettre et il y a de moins en moins de jeunes agriculteurs. Il faut savoir qu’un tiers des fermes, en France, est vendu par agrandissement. C’est un mode de vente qui n’est pas avantageux pour les cédants, ils sont perdants et les exploitations deviennent encore plus grandes. Ces fermes ne correspondent donc plus aux profils des jeunes agriculteurs qui vont vers un autre modèle. 

De plus, le foncier agricole est aussi une problématique : les terres, à l’achat, sont vraiment chères. Pour des gens qui souhaitent démarrer, c’est très compliqué d’acheter le foncier. C’est pour cela qu’il est souvent souhaitable de proposer aux jeunes agriculteurs qui s’installent de pouvoir louer les terres. Le cédant peut choisir de garder les terres et de les louer ou bien Eloi peut faire du portage foncier (gérer les terres agricoles NDLR). Dans ce cas, le montant des loyers est bien plus avantageux pour les nouveaux acquéreurs. 

Lorsque vous parlez de nouveau modèle de ferme, de quoi s’agit-il exactement ? 

Beaucoup d’agriculteurs veulent aller vers de l’agroécologie, du bio, de l’agriculture raisonnée. Ils cherchent aussi des fermes pour faire de la transformation sur place ou sur le territoire, et maîtriser une partie de leur distribution en circuit court, en lien direct avec des réseaux de type Biocop, via des AMAPS, marchés, etc. 

Il y a cette envie de ne pas dépendre des marchés internationaux qui font peur à ces jeunes. Ces fermes ne leur correspondent pas car elle sont trop grandes, trop chères, avec trop de bâtiments. Ils sont nombreux à ne vouloir acheter que trente hectares et une partie des bâtiments, mais les cédants ne peuvent pas se le permettre car le reste serait invendable. 

L’idée est donc de faire le lien entre ces fermes à transmettre et les jeunes qui veulent s’installer. En trouvant une manière d’inverser les problématiques : partir des fermes existantes et constituer les équipes qui sont prêtes à reprendre.  On appelle cela une grappe de ferme. Le principe est d’y installer plusieurs porteurs de projets complémentaires les uns avec les autres. Aujourd’hui, nous avons vingt-cinq projets en cours d’étude, et cent-trente porteurs de projets en attente de pouvoir s’installer ! 

Quels sont les avantages, pour les agriculteurs, à s’installer « en grappe » ? N’y-a-t-il pas des réticences à s’engager à plusieurs dans un projet agricole ? 

Il y a de nombreux avantages d’un point de vue agronomique, écologique et économique. Généralement cela consiste à avoir une combinaison entre de l’élevage, du maraîchage, de l’arboriculture et des grandes cultures. Cela instaure une capacité à optimiser l’économie circulaire au sein de la ferme. Le cycle de l’azote et du carbone y sont optimisés au sein de la ferme (matière organique de l’élevage utilisée pour les grandes cultures par exemple), et les investissements peuvent être mutualisés en créant une boutique ou une salle de transformation pour la ferme entière.  Il peut y avoir des synergies au niveau agronomique ou agricole. 

Effectivement, cela peut faire peur aux futurs « grappeurs ». Ils se posent souvent des questions concernant leur indépendance financière et personnelle sur leur exploitation. Mais ils sont bel et bien indépendants. Même s’ils sont chez eux, ils savent qu’ils ont de proches voisins avec qui ils peuvent créer des choses et gérer une activité. Si un jour ils veulent vendre leur ferme, ils peuvent le faire, de manière indépendante. La manière dont cela s’organise est le plus optimal possible. 

Côté cédants, comme vous le disiez, ils sont souvent perdants dans la vente de leur ferme et cela peut prendre plusieurs années. Concrètement, comment procède Eloi pour l’achat de ces exploitations ? 

Nous faisons, en amont, une étude de leur exploitation. Après diagnostique, et proposition aux cédants, et s’ils sont d’accord avec notre prix, on signe un contrat dans lequel on va pouvoir avancer sur la mise en lien et la recherche de porteurs de projets. Ce contrat est une promesse, dans laquelle le cédant va aller vers une cession à Eloi, nous nous positionnons en tant qu’acquéreur.

 Généralement, des agriculteurs mettent trois ans pour vendre leur ferme. Avec nous on est sur moins d’un an grâce à un processus plus rapide que nous venons sécuriser car on n’a pas besoin de financements bancaires. C’est le point qui nous permet de rassurer les cédants et de les aider à transmettre plus rapidement. Une partie de notre activité consiste à lever des fonds auprès d’investisseurs français qui veulent s’engager dans la transition écologique. Ceci nous rend indépendant financièrement. Bien-sûr, nous ne pouvons pas fonctionner sans les institutions agricoles. Nous travaillons avec la chambre d’agriculture et la SAFER, qui gère le foncier agricole. 

Une fois la vente effective, nous organisons des visites, des rencontres entre plusieurs futurs exploitants. On essaie de constituer l’équipe qui va acheter ! Une fois que nous sommes propriétaires, on recréera des unités foncières et des lots techniques : entre les bâtiments, on créera par exemple des parties communes, etc. Nous révisons aussi les contraintes d’eau et d’électricité, pour que l’on puisse séparer et vendre le lot à la personne qui lui convient et qu’il soit indépendant. 


BlueBees : une plateforme participative pour soutenir l’installation en zone rurale
Il existe d’autres entreprises ayant pour missions d’accélérer l’installation d’agriculteurs vers des exploitations durables. C’est le cas de BlueBees, une plateforme de financements participatifs qui promeut la réalisation de projets agricoles ou de redynamisation rurale. Les internautes peuvent aider à financer l’installation de maraîchers bio ou la conversion d’agriculteurs vers la bio, la création de filières de recyclage, de magasins de producteurs locaux ou encore de commerces et cafés en zone rurale. 


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© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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