Delphine Batho à propos de la Transition



« La transition écologique doit faire partie du nouveau message de la France »

Propos recueillis par Erwan Lecoeur

Ministre de l’Ecologie pendant un an, Delphine Batho a récemment marqué les esprits en organisant une conférence de presse pour livrer sa part de vérité, suite à son éviction du gouvernement Ayrault début juillet. L’ancienne militante syndicale et antiraciste, membre de l’aile gauche du PS, a longtemps travaillé sur les questions de sécurité. Porte-parole de la campagne de François Hollande en 2012 après avoir été une proche de Ségolène Royal, elle a pu constater de l’intérieur ce que pèse l’environnement face à certains lobbies et conservatismes. Convaincue que la gauche doit mettre la transition écologique au cœur de son logiciel, elle estime que ce « changement de modèle » ne se fera pas sans une action politique plus volontariste et un État exemplaire.

La Transition, pour vous, qu’est-ce que cela évoque ?

C’est d’abord un changement, une transformation, une rupture, un nouveau modèle de civilisation mais aussi le chemin pour y arriver. C’est une notion différente du développement durable, qui est une manière de s’accommoder du système actuel en y insufflant une dose d’écologie sans le modifier. Or, la question qui se pose aujourd’hui, c’est précisément comment changer ce modèle.

Pensez-vous que la France est en mesure de vivre une véritable transition ?

Elle doit en être à la pointe, à la fois parce que c’est une manière de résoudre ses propres problèmes et parce que c’est une façon de trouver sa place dans le monde et de jouer le rôle qu’on peut attendre de la nation de la Révolution française. À mes yeux la transition écologique doit faire partie du nouveau message de la France.

Quels sont les acteurs possibles d’un tel changement ?

Ce changement peut venir des forces économiques, notamment des entreprises innovantes dans les technologies vertes, qui y trouveraient un intérêt et qui ne se font pas assez entendre dans la compétition mondiale. Il doit aussi venir de la société civile, où la question du rapport de force est très importante, ainsi que de la prise de conscience et de la participation des citoyens. Mais, en premier lieu, l’impulsion doit venir de l’État et de la puissance publique. L’enjeu de la transition implique en effet la nécessité de faire valoir l’intérêt général et le long terme là où les intérêts particuliers et les profits à court terme tentent d’empêcher toute mutation. Contrairement à ce que pensent certains politiques, les citoyens ne sont pas dans la “dictature du court terme” ; les décisions de long terme et les avancées environnementales ne sont pas freinées par la démocratie, mais bien par un certain nombre d’intérêts privés, d’intérêts financiers ou de secteurs d’activité tournés vers le passé.

Ce constat s’est vérifié à travers les réactions recueillies lors de la « journée citoyenne » organisée dans le cadre du débat national sur la transition énergétique : la société est en attente à l’égard de l’État, prête à se mobiliser, mais elle attend des signaux, des incitations, un exemple qui vienne de la puissance publique. Quand on fait participer l’ensemble des forces sociales à la construction d’une politique publique, on est aussi confronté à des blocages divers, par exemple ceux du MEDEF ou d’autres groupes d’intérêt ; il faut les regarder en face et les affronter. C’est pourquoi prétendre que le changement doit venir seulement des citoyens, sans que l’État fasse le moindre effort, ne peut pas aboutir à des actes.

Un nombre grandissant de français semble ne plus croire que cette Transition, ce « changement » puisse venir des responsables politiques. C’est un doute qui s’étend à l’ensemble des sujets politiques ; il porte sur l’efficacité et la capacité de la politique à changer la vie. Et cela concerne la question écologique au premier plan. A force de voir avec fatalisme s’accumuler des dégradations environnementales, un sentiment d’impuissance nous gagne face à l’ampleur de la tâche. On a besoin de raisons d’espérer. Nombre d’éléments positifs ont fait leurs preuves et montrent qu’il est possible de changer les choses. Grâce aux énergies renouvelables, à une agriculture respectueuse de l’environnement ou à la restauration de la biodiversité, par exemple. Là où on le fait, ça fonctionne. Quand on donne sa chance à la nature, assez vite elle reprend ses droits et sa force… C’est de cette façon que la politique et l’État doivent jouer leur rôle et faire évoluer les choses.

Les réponses proposées par les gouvernements semblent trop faibles, en décalage, face à la nature des enjeux. Comment l’expliquez-vous ?

Il y a plusieurs raisons. L’une est certainement l’ampleur des changements à opérer face aux conservatismes, mais aussi des intérêts économiques qu’il faut bousculer. La confrontation avec le monde de la finance et le modèle capitaliste se joue en particulier sur la question écologique. Il faut donc une volonté de fer pour affronter ces résistances et une détermination politique sans faille. Et il faut aussi une société sensibilisée ; car rien n’est possible sans les gens et sans une mobilisation populaire. Si la gauche au pouvoir est isolée dans son rapport à la société, alors elle sera affaiblie face à ses adversaires et elle échouera. Je l’ai dit, quand j’ai présenté le débat sur la transition énergétique comme un enjeu d’appropriation démocratique et de reprise en main citoyenne de la politique énergétique, pour redéfinir l’intérêt général, là où trop souvent ce sont les intérêts particuliers qui conditionnaient les décisions. Et cela a gêné…
Aujourd’hui, de fait, la question du volontarisme politique est posée. On voit encore à gauche une approche de la transition écologique trop sectorielle, ou tactique, par rapport à des équations électorales. On ne considère pas dans son ensemble la place centrale qu’elle doit occuper dans un projet politique. Je pense que l’écologie fait partie du patrimoine identitaire de la gauche du XXIe siècle. Il y a peut-être une coupure générationnelle sur ces questions : ma génération a vu grandir la crise écologique dès ses premiers pas en politique. Pour moi ce n’est pas un sujet parmi d’autres, c’est un enjeu vital, qui engage l’avenir de l’Humanité. Je vais continuer à mener le combat sur le plan politique, notamment parlementaire. Et aussi dans la société, à travers d’autres formes d’engagement auxquelles je suis en train de réfléchir.

Le 29 octobre 2013
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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Catherine Deslandes le 29/10/2013 à 15:48

Oh combien je suis d'accord avec Mme Batho !
Je tiens à laisser ici ce petit message pour qu'elle sache que je suis de ceux qui la soutiendront !
Nicolas Hulot a dit que l'écologie était sans doute l'ultime occasion de donner du sens au progrès ......elle n'est donc pas l'ennemie de l'économie....
Il va falloir nous attendre à affronter les vents contraires , mais il me semble que du coté des citoyens français le vent se lève ...