Pédagogie

« Déconstruire les clichés sur l’instruction en famille »

Par Simon Renou, le 13 mai 2022

Les parents ont dorénavant l’obligation de demander l’autorisation administrative pour chaque enfant instruit à domicile alors qu’une simple déclaration en mairie suffisait auparavant. ©Pixabay

Laura et Jean ont trois enfants : Lune, 3 ans, Lucas, 5 ans et demi et Marcel 8 ans. Comme des milliers de parents en France, ils ont choisi il y a deux ans de faire l’instruction en famille (IEF) à la suite du premier confinement. Depuis, le président Emmanuel Macron a tenu le 2 octobre 2020 un discours aux Mureaux sur les séparatismes annonçant pour la rentrée 2021 l’instruction à domicile « strictement limitée aux impératifs de santé ». Le 23 juillet 2021, le Parlement votait définitivement la loi « confortant le respect des principes de la République ». Les parents ont dorénavant l’obligation de demander l’autorisation administrative pour chaque enfant instruit à domicile alors qu’une simple déclaration en mairie suffisait auparavant. Cette mesure bouleverse le quotidien de plus de 60 000 enfants en préparation de la rentrée de septembre 2022. Témoignage.

 

Qu’est-ce qui vous a motivé à faire le choix de l’instruction en famille ?

Lorsque nos deux premiers enfants avaient sept mois et deux ans et demi, nous avons fait un tour de France en vélo. Passer quatre mois sous la tente et vivre au grand air a réveillé des choses essentielles en nous. Le confinement nous a permis de respecter à nouveau le rythme des enfants. On s’est donné un an pour tester puis on a continué.

Quelles sont vos méthodes pédagogiques ?

Nous pratiquons un mix d’apprentissage autogéré et de temps formels. Le matin nous utilisons des supports pédagogiques pour la lecture et l’écriture comme la méthode des Alphas et la technique syllabique de Sam et Julia. Pour les mathématiques nous employons la méthode Montessori singapourienne qui est très imagée et se base sur l’expérience. Le reste du temps, nous accompagnons les enfants vers ce qui les intéresse. C’est une démarche de vie globale. Par exemple l’année dernière, Jean a découpé des planches pour notre vieille grange. Ce fût une bonne occasion pour faire des calculs avec notre fils ainé, prendre des mesures, calculer le nombre de planche qu’il fallait…

« La désocialisation des enfants en IEF est une peur à démystifier. »

Vos enfants ont-ils une vie sociale en dehors du cercle familial ?

Nous avons des activités avec des groupes d’enfants de tout âge tous les jours de la semaine. Je suis même obligée parfois de dire « stop » pour se recentrer sur notre famille. La désocialisation des enfants en IEF est une peur à démystifier. Nos enfants évoluent en rencontrant de nombreuses familles différentes, scolarisées ou faisant l’instruction en famille. Je vois l’évolution sur mes enfants. Depuis deux ans mon fils ainé a pris confiance en lui.

Quelles conséquences la loi a-t-elle sur votre instruction en famille ?

Les démarches administratives sont devenues très compliquées. L’an dernier, nous devions seulement faire une déclaration annuelle. Cette année, nous devons effectuer une demande d’autorisation complexe auprès du DASEN (le directeur académique des services de l’Éducation nationale représentant le recteur d’académie à l’échelon départemental) pour chacun de nos trois enfants. Nous devons remplir le formulaire de demande dérogatoire pour Lucas et Marcel qui étaient déjà en IEF cette année et une demande complète pour Lune qui débute l’IEF en septembre 2022. Nous avons rencontré plusieurs difficultés car le décret du 15 février 2022 a demandé des justificatifs impossibles à avoir dans le délai imposé.

Très concrètement, comme pour de nombreuses familles le contrôle de cette année ne s’est pas bien déroulé, en particulier pour notre fils ainé. Ils ont évalué le niveau de Marcel, en le comparant à celui des enfants scolarisés du même âge. Or nous avons l’obligation d’instruire nos enfants afin qu’ils atteignent le socle commun des connaissances à l’âge de 16 ans. Notre pédagogie est basée sur le rythme de nos enfants. Marcel a des facilités en mathématiques. Par contre ce n’est pas le bon moment pour lui d’approfondir la lecture et nous ne voulons pas le brusquer dans son apprentissage. Nous devrions avoir un second contrôle pour « évaluer » sa progression en lecture, or nous n’avons pas de rapport écrit tel que le prévoit la loi. Les dossiers de demande d’autorisation sont à remplir pour le 31 mai au plus tard.

« Que se passera-t-il si son dossier est refusé ? Que va-t-il se passer pour nous et pour toutes les familles dans notre situation ? »

Et pour vos deux autres enfants ?

Notre second, Lucas, a eu son contrôle positif. Lune vient d’avoir trois ans et est donc soumise au régime d’autorisation pour une première demande [1]. Nous devons motiver notre dossier éducatif pour instruire notre fille. Nous avons le sentiment de devoir faire nos preuves. Que se passera-t-il si son dossier est refusé ? Que va-t-il se passer pour nous et pour toutes les familles dans notre situation ? Nous avons l’impression de n’être que des dossiers alors que ces décisions ont un impact énorme sur nos choix de vie.

Comment ces difficultés se répercutent sur le bien-être de votre famille ?

Nous ressentons souvent de la colère, de la peur, de l’incompréhension et surtout un puissant sentiment d’injustice. Les enfants absorbent nos émotions. S’ils ne le manifestent pas directement, nous sentons que cela a un impact sur eux. Nous sommes en permanence dans l’injonction : d’un côté nous voulons vivre l’instruction en famille avec des apprentissages auto-gérés et d’un autre côté nous leur demandons d’étudier.

« Nous profitons de toutes les opportunités qui nous sont encore offertes. »

Comment faites-vous pour surmonter cela ?

Même si nous aurions aimé échapper à tout cela, nous allons faire de ce combat une force pour notre famille. Le réseaux de familles en IEF est immense et chacun est engagé pour conserver cette liberté fondamentale. Je suis profondément touchée par tous ces groupes où bienveillance, soutien et joie résonnent. Nous profitons de toutes les opportunités qui nous sont encore offertes : vivre au grand air avec les copains, participer aux sorties culturelles locales, voir des spectacles, aller aux musées…

Que souhaitez-vous exprimer à ceux qui nous lisent ?

Lors de l’annonce d’Emmanuel Macron, nous avons informé pour sensibiliser la population et déconstruire les clichés sur l’IEF qui ne s’oppose pas l’école. Nous défendons la liberté de l’instruction qu’elle soit à l’école, publique, privée, sous contrat ou pas. Certaines familles d’enfants scolarisés ne mesurent pas qu’elles pourraient un jour avoir envie ou besoin de déclarer leur enfant en IEF (voyage, phobie de l’école, harcèlement…). Dans notre entourage, les gens trouvent presque normal de devoir demander une autorisation pour avoir le droit d’instruire son enfant. Je leur demande « et vous ? Déposez-vous un dossier pour avoir le droit d’être avec vos enfants de 17h à 9h en semaine et le week-end ? » Avec cette nouvelle loi, il faut avoir le diplôme du BAC pour faire l’IEF. Que va-t-il se passer pour le père de famille qui a un BEP menuiserie et fait vivre son entreprise ?

« Nos enfants n’appartiennent pas à l’État ni à nous d’ailleurs. »

Quel serait l’idéal pour vous ?

Que l’état redonne aux parents sa mission de parents ! Nos enfants n’appartiennent pas à l’État ni à nous d’ailleurs. Nous ne sommes là que pour les guider sur le chemin qu’ils choisissent d’emprunter. Nous souhaiterions que les inspecteurs académiques soient formés aux pédagogies alternatives. Nous souhaiterions aussi une allocation de rentrée scolaire car l’IEF requiert un investissement matériel conséquent (livres, matériel d’arts plastiques,sorties culturelles et sportives…).

 

[1] La loi a prévu un régime transitoire pour les enfants déjà instruits dans la famille avant l’entrée en vigueur du nouveau dispositif. Par dérogation, les enfants dont le contrôle pédagogique est positif peuvent bénéficier d’une autorisation de plein droit. Les premières demandes sont soumises aux nouvelles directives.


Les demandes d’autorisation de l’IEF  

Depuis la promulgation de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, les demande d’autorisation d’instruction dans la famille doivent être motivés par :

  • l’état de santé de l’enfant ou son handicap ;
  • la pratique d’activités sportives ou artistiques intensives ;
  • l’itinérance de la famille en France ;
  • l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif.

C’est sur ce dernier motif que les familles ayant fait le choix de l’IEF par convictions personnelles justifient leur demande.


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