Arts vivants et Cinéma

Corinne Masiero : « L’écologie, c’est un questionnement »

Par Propos recueillis par Pascal Greboval et Sabah Rahmani, le 17 octobre 2021

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Connue du grand public pour la série Capitaine Marleau, Corinne Masiero l’est aussi pour son engagement aux côtés des intermittents, des précaires. Pour Kaizen, elle évoque son engagement écologique et féministe. Une rencontre sans langue de bois.

Propos recueillis par Pascal Greboval et Sabah Rahmani

 

Vous avez connu un parcours difficile au début de votre jeunesse : la drogue, la rue… Avez-vous l’impression d’incarner ce qu’on appelle aujourd’hui la « résilience » ?

Mon parcours, ne se résume pas à la came et au tapin. D’autres choses m’ont créée et m’ont forgée, sinon je ne serais pas là à vous parler. Je ne suis pas un cliché. Je ne revendique rien pour personne. Si des gens prennent mon parcours comme modèle, ça leur appartient. Mais bien sûr que la résilience, ça me parle, parce que j’en suis un des produits. Il y a beaucoup à dire sur la résilience ; des gens ne peuvent pas y accéder. C’est le fruit d’un certain travail sur soi, et on n’a pas tous la possibilité de le faire. La résilience ne peut exister qu’avec un réseau de gens autour de soi, dans la vie de tous les jours, des gens qui tendent la main à un moment.

Comment ça s’est passé pour vous ?

Ça a été le théâtre. Vingt minutes de ma vie qui ont tout changé. J’avais 28 ans. Depuis toujours, je cherchais un sens à ma vie. J’étais avec des gens qui faisaient du théâtre, qui m’hébergeaient, me trouvaient des jobs. Je les ai accompagnés pour donner un coup de main, charger des camions. Et pendant qu’ils répétaient, la metteuse en scène nous a proposé de venir avec eux faire un échauffement corporel. Donc je suis montée sur le plateau. Je ne connaissais pas cet univers. On a fait des exercices physiques et après, on a fait des jeux d’acteurs. Et là, je me suis dit : « J’ai l’air con, mais personne n’est dans le jugement. » Ça a duré vingt minutes. Et quand ça s’est terminé, la metteuse en scène a dit : « Bon, maintenant, on va commencer les répétitions. » J’ai répondu : « Moi, je reste là. » Elle m’a donné un rôle sur la pièce suivante et depuis, je n’ai jamais arrêté de jouer.

Vous dites ne pas être un exemple, mais pour s’en sortir comme vous l’avez fait, pensez-vous que cela tient à une part de chance ou que c’est à chacun de se prendre en main ?

Oui, il faut se bouger le cul. Mais parfois, on est dans un état personnel, psychologique ou physique, qui ne le permet pas. On peut aussi faire partie d’une frange de la société qui ne le permet pas, car on n’a pas les codes. Je viens d’un milieu prolo. Il n’y avait pas d’artistes dans ma famille. Ce n’était pas un truc envisageable. Le vrai métier, c’était travailler à l’usine ou, au mieux, monter un magasin. Le reste, c’était pour les bourges. Donc on ne peut pas toujours se bouger le cul tout seul ; c’est important d’avoir des gens autour de soi qui nous montrent d’autres choses, pour prendre de nouvelles habitudes. Il faut aussi accepter d’avoir tort, ne pas avoir peur de l’inconnu. Comme quand tu es habitué à bouffer des pâtes au beurre et qu’on t’amène des légumes dans un wok ; tu dis : « Ah non ! je bouffe pas ça. » Or, c’est là qu’il faut faire un effort. À chacun de balayer devant sa porte. Mais il faut aussi que la société, l’État, les régions, les communautés, amicales ou professionnelles, se mobilisent. Parce que si t’es tout seul à te battre contre tout le monde, t’es dans la merde ! C’est un mélange des deux, un équilibre à trouver.

Est-ce pour cela que vous vous êtes engagée en politique, dans le Parti communiste ?

Que les choses soient claires : je ne suis pas engagée dans le Parti communiste ! J’ai eu ma carte au PCF quand j’avais 11 ans. Mais c’était pour faire comme tout le monde. Et je ne suis pas en accord avec certains propos de ce parti. Je déteste les étiquettes. Je ne veux pas avoir de comptes à rendre à qui que ce soit. Je n’appartiens à personne. Le collectif InterLuttants auquel je participe n’est ni une coordination ni une asso, ce sont des gens qui se retrouvent, depuis 2003. On s’est appelés les InterLuttants59, 62, méfie-te parce que dans les manifs, on voulait créer une « inter-lutte » d’intermittents, infirmières, étudiants qui se battaient contre les réformes néolibérales. Mais c’est horizontal, il n’y a pas de hiérarchie.

Est-ce important pour vous d’être libre ?

J’aimerais bien être libre, mais peut-on l’être ? Je ne pense pas… De quoi es-tu libre ? De crever tout seul ? Or, tu ne peux pas vivre tout seul ! En ce sens, tu n’es pas libre.

Mais « libre dans votre conscience »…

J’aimerais bien, j’y travaille. Mais je ne suis pas assez intelligente pour ça.

Pour vous, la liberté, c’est une question d’intelligence ?

En partie, oui. Pour moi, quelqu’un d’intelligent, c’est quelqu’un qui doute tout le temps, qui se remet en question et qui accepte d’écouter des gens qui ne sont pas d’accord et de dire : « Il y a un problème, écoutons ce que les uns et les autres disent. » C’est très difficile à faire. C’est en ce sens que je ne suis pas assez intelligente parce que je monte très vite dans les tours et que j’ai des a priori complètement cons – mais je travaille dessus. Si j’ai un facho en face de moi, par exemple, je vais avoir du mal à rester calme, alors que même venant d’un facho, il y a peut-être quelque chose d’intéressant à entendre. Ne serait-ce que lui poser la question : « Qu’est-ce qui t’amène à dire ces saloperies ? » Ça ne veut pas dire « être d’accord ».

Le rapport hommes-femmes vous touche beaucoup. Vous dites qu’il est très difficile d’être une femme, quel que soit le milieu. Mais comment faire avancer cette question ?

Si je le savais, j’aurais déposé un brevet ! Je suis partisane de mettre des quotas partout. Sinon, on ne s’en sortira pas. Il faut contraindre ceux qui ont l’argent par la loi. Car ils disent tous « oui, oui, on est d’accord », mais jamais rien ne bouge. C’est aussi ce qu’on fait en moment : discuter, échanger, se dire « ah oui ! j’ai tort de dire ça », changer de vocabulaire, de point de vue, admettre qu’on s’est complètement gouré. Ce n’est pas toujours agréable, mais c’est en faisant des petits trucs comme ça, en semant des graines, que ça finira par pousser ! Peut-être que nous ne serons plus là quand il y aura la révolte, mais ceux qui viendront faire la moisson pourront la faire grâce aux petites graines qu’on aura toutes et tous plantées.

Portez-vous ce discours dans le milieu du cinéma ? Comment gérez-vous le grand écart entre les précaires et les paillettes ?

Le plus important, c’est de casser les clichés. Les comédiens gagnent rarement beaucoup de fric. Évidemment, c’est difficile, mais comme dans n’importe quel milieu, que ce soit chez les journalistes ou chez les ouvriers. J’essaie de questionner les gens. En ce moment, sur les tournages, avec le Covid et la fermeture des restaurants [interview réalisée avant le 19 mai, NDLR], les acteurs ont tendance à prendre leur téléphone et se faire livrer leurs repas par un mec à vélo. Alors je les interroge : « Mais tu sais qu’il est payé 7 euros par jour ! Tu ne peux pas demander à la régie de faire des courses dans la journée ? Tu ne peux pas trouver une autre solution ? » Il faut tout le temps interroger, voir ce qu’il y a derrière les actes. J’essaie d’être cohérente. Par exemple, je refuse de faire des pubs pour la banque Je n’ai pas envie de faire de la pub pour des gens qui détruisent la planète, et le système économique. C’est pareil pour les fringues réalisées par des gosses ou des détenus politiques en Chine, pour le maquillage produit avec de la maltraitance animale… Si tu fais de la pub pour ces marques-là, ça veut dire que tu es d’accord avec ce qui se passe derrière. Ou alors, c’est que t’es con !

D’où vient votre engagement écologique ?

Je suis né dans l’écologie, j’ai toujours été comme ça. C’est une histoire d’éducation et d’information. Ce système nous détruit individuellement et collectivement. Il est insidieux. Mais à un moment, tu ne peux plus te mentir. L’écologie, c’est un questionnement : t’aimerais aller vacances ? Mais à quel endroit ? Pour aller là-bas, tu vas prendre l’avion ? Est-ce vraiment intéressant ? Tu vas prendre de la coke ? Ah ouais ! c’est marrant de se défoncer. Moi, j’ai adoré me défoncer. Mais la coke, c’est fait comment ? Via quel système ? Tu valides toutes les nanas qui sont butées, qui se font violer en Amérique du Sud ? Tu valides le boulot de la mafia ? C’est important de pouvoir se regarder dans le miroir le matin, droit dans les yeux, et de se poser la question.

Dans votre quotidien, comment vivez-vous ces valeurs ?

Je ne fais pas grand-chose. Je n’achète plus dans les supermarchés, je suis membre d’une coopérative d’achats qui propose du bio et du local. Avec mon mec, on a décidé un truc tout con : ne pas avoir de baignoire, et comme on n’est pas encore passés aux toilettes sèches, on met un seau dans la douche et avec le seau, on va aux toilettes… C’est un peu compliqué ! [rires]. Pour la bouffe, ça fait trente ans que je suis végétarienne. Je ne supporte pas la maltraitance animale. Le végétarisme est mieux accepté désormais, c’est plus facile. Je limite le shopping. J’adorais les fringues, mais j’ai quasi tout viré. Pas tout parce que je ne suis pas toujours à poil ! Je recycle aussi beaucoup. Pour mon métier, je prends le moins possible l’avion. Les producteurs font la gueule. Ils me disent : « Demain matin, tu peux être au théâtre en prenant l’avion après ta journée de tournage ? » Et je leur réponds : « Non, je ne veux pas, c’est politique. » Il faut imposer des choix comme ça, planter des petites graines. Ça me fait du bien, tous ces gestes au quotidien.

Comment vous est venue l’idée du collectif Pataclown ?

J’ai fondé Pataclown il y a dix ans. J’avais des potes à Montréal et là-bas, il n’y a pas l’intermittence : quand ils ne bossent pas, ils n’ont pas de tunes. Je me disais : « Moi, j’ai de la chance, je bénéficie de l’intermittence. Comment les protéger ? Peut-être qu’ils peuvent venir chez moi, mais peut-être qu’ils n’ont pas envie de venir chez moi, et s’ils viennent chez moi, au bout d’un moment, ça ne va pas aller… » Bref j’ai imaginé un lieu de vie où chacun aurait son espace individuel – parce que les communautés, ça me gave la saucisse ! – mais avec des espaces communs pour travailler, faire des trucs politiques, de l’éducation populaire, etc. Quand j’ai commencé à gagner bien ma vie, je me suis dit : « Je vais acheter un truc et créer ce lieu avec un maximum de gens. » Mais si tu achètes un lieu, il t’appartient. Comment faire pour que les gens qui sont à l’intérieur ne ressentent pas le système pyramidal ? Cela m’a amenée à consulter des oasis, des écolieux. On a organisé des ateliers avec ceux qui voulaient intégrer le groupe, pour voir ce qui nous plaisait. À la fin, on a écrit la « Pas ta charte » qui dit ce qu’on ne veut pas… et ce qu’on veut ! Notre oasis est un endroit où les gens vont venir, partir, comme ils le souhaitent, parce que la vie, c’est comme une plante : le lundi, ce n’est pas la même que le samedi ; et au printemps, ce n’est pas la même qu’en hiver. Chez nous, c’est pareil !

Pensez-vous que les modes de vie des oasis peuvent contrecarrer le système néolibéral ?

Je veux, mon neveu [rires] ! Sinon je ne le ferai pas !

C’est grâce à Pataclown que vous avez découvert la permaculture ?

J’allais dire : « Je connais, comme tout le monde. » Mais visiblement, ce n’est pas le cas… C’est quand même bizarre qu’on n’apprenne pas ça à l’école. C’est un truc de ouf !

J’ai appris la permaculture via des lectures, des reportages et des rencontres, et l’année dernière, pendant le premier confinement : j’ai la chance d’avoir un jardin, j’avais plus de temps à lui consacrer. Et avec Pataclown, on faisait beaucoup de visios, sur la permaculture notamment. On disait : « On va faire ci, on va faire ça, etc. », et on s’est rendu compte que ça ne s’improvisait pas. Maintenant, on fait tout pour y aller. C’est une nécessité.

Vous gagnez bien votre vie, vous avez du succès. Comment faites-vous pour garder les pieds sur terre ?

Je ne pas suis aussi cool que j’en ai l’air ! Pendant des années, j’ai été « interdit bancaire », avec les huissiers qui venaient et dont je n’avais rien à foutre. À un moment, j’ai pris conscience qu’il fallait faire gaffe. Surtout quand on a acheté à plusieurs une maison à Roubaix. Au départ, on était quatre. Et puis après, on s’est retrouvés trois. Et encore après, j’ai acheté les parts des autres. Et là, j’ai dû faire attention, me dire : « Mes actes ont une conséquence sur les autres, tous les autres ! » Notre façon de consommer, c’est du militantisme aussi. J’arrive à garder les pieds sur terre parce que la plupart de mes potes ne sont pas des gens du milieu, ni même des artistes. D’autre part, je vis dans un quartier très populaire de Roubaix où je prends le métro, le bus. Je garde ainsi la vision du monde tel qu’il est pour la majorité des gens. Forcément, des choses te révoltent quand tu les vois ! Si tu vis à Paris dans le 16e et qu’autour de toi, t’as que des gens qui ont des tunes, t’en as pas conscience. Et c’est pas de ta faute : t’es pas responsable de la chatte d’où tu es sorti·e ! Faut se forcer à aller poser les pieds là où ça pue. Pour être conscient qu’il faut que ça change.

Vous parlez de vos amis, de votre oasis… Tout ceci est une forme d’amour. Alors pourquoi ça vous met mal à l’aise quand on dit qu’on vous « aime » ?

Très longtemps, j’ai eu la phobie des rats. Un truc de ouf ! Je ne pouvais pas voir un rat. Ça pouvait me faire tomber dans les pommes. Il y a des mots qui me font le même effet. Deux mots notamment me font cet effet « ratisant » : les mots « amour » et « famille ». Mais je me soigne ! Pour moi, l’amour, c’est un cliché qui sert à vendre des choses pas forcément monétaires, mais en lien avec le rapport hommes-femmes. À cause de ce mot, des choses sont faites et dites qui sont dévastatrices : inceste, viol, chantage affectif. À cause de ce mot, on fait croire aux nanas qu’elles n’ont qu’une envie dans la vie, c’est de rencontrer le prince charmant hétéronormé et de créer une famille. Pendant ce temps-là, on ne parle pas de permaculture, on ne parle pas d’éducation populaire, on ne parle pas de viol, ni des nanas qui sont maltraitantes, parce qu’il y en a aussi. Encore une fois, il faut s’obliger à créer des mots, une autre façon de penser pour inventer un autre monde. Je ne suis pas sociologue et je n’ai pas leur niveau, mais Franck Lepage ou Pierre Bourdieu expliquent très bien comment on manipule les gens avec des mots. Le mot « amour » pour moi, c’est le mot qui fait le plus de mal à l’humanité !

Qu’est-ce qui vous met en joie ?

J’adore les vrais fous rires. Un vrai fou rire, ça ne ment pas. Tu ne peux pas avoir un fou rire quand c’est quelque chose de méchant. Parfois tu as un rire gras, moqueur, pour te foutre de la gueule de quelqu’un, mais le fou rire, c’est quelque chose de vraiment humain. J’aime aussi regarder le sommet des arbres avec des nuages derrière et des piafs. Lire un texto d’un pote ou d’une potesse qui me donne des nouvelles, ça me met en joie. Voir une manif qui passe et des gens qui se bagarrent, avec de la solidarité, ça peut me faire chialer. Ça me donne la chair de poule. Je suis quelqu’un d’assez pessimiste, mais je pense qu’on vit un virage. Le monde est en marche et, mondialement, il y a une prise de conscience. Nos grands-parents ont vécu 1936 avec la Sécu, les congés, etc. Avant, ça n’existait pas. On est en train de vivre ça. Et ça me met en joie !

Mini Bio

1964 : Naissance à Douai (Nord)

1979 : Fait un tour d’Europe en stop, revient en France passer un bac littéraire, puis sombre dans l’alcool, la drogue et la prostitution

1993 : Apparaît dans Germinal de Claude Berri

2013 : Nommée au César de la meilleure actrice pour Louise Wimmer de Cyril Mennegun

Depuis 2015: Incarne le capitaine Marleau dans la série de France 3

 

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