Santé

Thierry Janssen : notre approche de la santé



Saupoudrer quelques bonnes pratiques de type yoga, méditation ou alimentation biologique sur notre vie quotidienne ne suffit pas à transformer en profondeur la relation au corps. Dans le domaine de la santé, changer de paradigme à l’échelle individuelle nécessite d’accepter de nouvelles priorités. Cette évolution s’apparente davantage à un chemin spirituel qu’à l’application de recettes. Thierry Janssen en sait quelque chose, lui qui, dans les années 1990, a bouleversé sa vie en tournant le dos à une brillante carrière de chirurgien pour se vouer aux médecines complémentaires et non conventionnelles. Devenu psychothérapeute spécialisé dans l’accompagnement des malades atteints de pathologies somatiques, il nous livre son analyse et nous donne quelques clés pour trouver soi-même sa propre « solution intérieure [1] ».

© Pascal Greboval

 

Kaizen : Les problèmes d’hygiène de vie (alimentation, rythmes de vie, sommeil, tabac…) ont désormais une importance considérable dans les maladies graves et chroniques de type maladies cardiovasculaires, cancers, dépressions, etc. Nous sommes donc en grande partie responsables de notre état de santé. Malgré cela, rares sont les individus à accepter d’adopter concrètement un mode de vie plus sain. Pourquoi ?

Thierry Janssen : Beaucoup d’entre nous compensent le stress, la fatigue ou la maladie par la consommation : nourriture grasse et sucrée, médicaments injustifiés, télévision ou ordinateur… Ils refusent de prendre le risque de changer pour un mode de vie plus adapté à leurs besoins fondamentaux incluant un rythme de vie apaisé, un sommeil suffisant, une alimentation saine ou encore du sport. Nombreux sont ceux qui vivent donc très loin de leur propre nature, loin d’eux-mêmes. En réalité, ils sont paralysés par leur besoin d’être dans la modernité et leur besoin de confort matériel. Ils sont prisonniers d’un cercle vicieux mais la volonté d’en sortir n’est pas suffisamment forte.

Le frein au changement n’est pas seulement psychologique. Avec le temps il devient même physiologique : nous avons dans le cerveau une petite structure appelée l’amygdale (différente de celle située dans la gorge) qui gère les émotions censées nous alarmer telles que la peur par exemple. Or l’amygdale des individus soumis à des rythmes effrénés – notamment dans le cadre professionnel – se désactive : ils n’ont plus les signaux d’alarme. Leur état de stress leur paraît normal. Si vous leur proposez de lâcher prise en pratiquant par exemple la méditation ou en faisant de la sophrologie, alors ils sont pris d’angoisse : l’amygdale considère cette situation de repos comme contre nature et génère des signaux d’alarme.

Kaizen : Quels sont les facteurs qui conduisent l’individu à ce déni de soi-même ?

Thierry Janssen : La raison majeure est que notre culture moderne et occidentale a placé l’être humain au-dessus de la nature. Il est censé vivre en dehors d’elle et la maîtriser. Dans cette illusion de toute puissance, nous avons du mal à accepter les frustrations imposées par l’ordre naturel des choses. Parmi elles, il y a l’inconfort et la mort que nous tentons d’oublier par tous les moyens.
Dès que le maintien de la bonne santé implique de subir un inconfort momentané (accepter de réduire le rythme de travail, refuser tel ou tel aliment, etc.), nous ne comptons que sur des moyens extérieurs à nous mêmes : des biens de consommation. Un tranquillisant, un verre, une friandise ou une heure de télévision pour oublier.

Or pour continuer à être fabriqués et consommés, ces produits nous imposent un mode de vie qui va à l’encontre des besoins essentiels pour une bonne santé. Ce mode de vie est polluant et finalement pathogène. Nous le constatons sans prendre pour autant la mesure de notre implication individuelle dans ce processus : nous croyons que nous sommes totalement les victimes d’un destin et de circonstances extérieures et que nous n’avons pas de responsabilité (par définition, nous ne sommes pas habilités à répondre). Les contraintes professionnelles, familiales ou autres servent de prétextes. Or nous sommes en réalité le plus souvent responsables.

Kaizen : Le système de santé participe-t-il à cette déresponsabilisation des individus ?

Thierry Janssen : Oui, tout particulièrement en France. Quelles que soient nos habitudes et notre hygiène de vie, la Sécurité sociale nous prend en charge. L’État est responsable de notre bonne santé : la Déclaration des droits de l’homme dit en effet que l’État doit faire le bonheur de l’individu. Dans ce contexte pourquoi changer nos mauvaises habitudes ? L’absence d’incitation dans ce sens et la logique d’assistanat de la Sécurité sociale française va contre l’esprit même des médecines complémentaires et alternatives. Nous sommes dans un rapport paternaliste à l’autorité extérieure qui se traduit d’ailleurs souvent par une relation biaisée entre le patient et son généraliste. Cela revient à faire du malade une victime et cela engendre une tentation de toujours aller consommer des recettes à l’extérieur de soi. Ce n’est pas par hasard que les Français sont les plus grands consommateurs de médicaments.

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© Fanny Dion

Kaizen : Comment les citoyens peuvent-ils s’émanciper de cette conception et du système qui l’encourage, pour avoir une approche plus responsable de la santé ?

Thierry Janssen : Si l’on veut un vrai changement de paradigme dans ce domaine, chacun doit prendre conscience qu’il fait pleinement partie de la nature dont il n’est finalement qu’une émanation parmi d’autres, au même titre que les fleurs, les arbres ou les autres animaux. L’humain doit accepter qu’il est soumis au cycle des saisons – nous sommes plus fragiles en hiver qu’en été par exemple – qu’il ne peut pas supporter un stress excessif, qu’il doit suffisamment dormir, etc. En somme, il doit avoir l’humilité de reconnaître ses limites, d’écouter sa nature profonde et d’abandonner son statut de dominant.

Nous devrions acquérir ces connaissances dès l’école, car elles sont essentielles. Les enfants devraient apprendre à connaître leur corps. Il ne s’agit pas de savoir que le foie est à droite et l’estomac à gauche, mais de sentir quand on est fatigué ou tendu, de prendre conscience de ce qu’il y a de plus naturel en nous : ce qui nous rappelle les lois de la vie. Les enfants doivent savoir que nous ne sommes pas seulement subdivisés en différents organes, mais que nous sommes un ensemble et que, par exemple, notre état émotionnel entre en compte pour expliquer nos maux physiques. Un individu plus conscient de lui-même retrouve un certain bon sens dans la gestion de sa santé et de son équilibre.

Kaizen: Outre cette sensibilisation des plus jeunes, quelles sont les étapes à franchir dans notre vie quotidienne pour nous libérer de nos addictions et être en meilleure santé ?

Thierry Janssen : Si nous devons faire des pas vers le changement, il faut faire de vrais pas, ou plutôt LE pas de côté. La plupart des journaux qui traitent cette question sont trop doux avec leurs lecteurs. Ces derniers veulent seulement se donner l’illusion qu’ils changent en saupoudrant un peu de méditation, de yoga et d’alimentation bio sur une vie qui, d’un point de vue plus général, ne change pas. Les médias les confortent dans cette illusion. Cessons d’être complaisants avec nous-mêmes : nous sommes des petits tricheurs !

Jadis, j’étais heurté par des maîtres spirituels intransigeants et aujourd’hui je les comprends. Certes, la vie est faite de compromis, mais nous assistons aujourd’hui à des compromis invraisemblables dont l’un des exemples frappants est la compensation carbone que l’on paye avant de prendre l’avion pour soulager sa conscience sans changer son comportement. La première chose pour faire un vrai pas vers une meilleure approche de la santé, c’est de ne pas être dupes de nos compromis. Il faut avoir une certaine intransigeance avec soi-même et – sans être dans la culpabilité – se rappeler que nous avons une responsabilité.

© Fanny Dion

Kaizen : Oui mais ce changement doit aussi se traduire par des actes, au quotidien. Comment reprendre la main sur notre santé et traduire cette réflexion en pratique ?

Thierry Janssen : Prendre du temps, pour respirer et « se sentir » doit être une priorité. Une chose très facile à faire consiste à marcher une demi-heure par jour. Attention, il ne s’agit pas de se promener en discutant boulot avec un collègue de travail, ni même d’écouter de la musique ou de passer des coups de fils. Je parle d’une marche silencieuse où l’on fait attention à tout ce qui se passe autour de soi. Et je crois qu’il faut s’astreindre à marcher tous les jours, avec une certaine discipline. Dans le même registre, je recommande souvent de tenir un journal intime – ce que je fais moi-même. Cet exercice permet de s’accorder un moment calme pour revenir sur sa journée et savoir ce que l’on a fait de bon ou de mauvais. Il permet de mieux se connaître, ce qui est le cœur même d’une vraie démarche.

Kaizen : Avez-vous d’autres conseils de ce type à nous donner ?

Thierry Janssen : Non, je n’irais pas plus loin dans le registre de ces « petites recettes » trop souvent utilisées comme des gadgets destinés à masquer notre inertie. En donner trop laisse croire qu’elles suffisent. Voyez par exemple les consommateurs qui critiquent l’allopathie : souvent ils se précipitent pour acheter des alicaments et autres compléments alimentaires qu’ils consommeront avec la même intention que celle qui les amenait autrefois à acheter des médicaments. Certains vont dans les magasins bio mais consomment avec la même frénésie et pour les mêmes raisons qu’auparavant. La recette n’est pas une fin en soi, c’est la façon de l’utiliser, l’intention qu’on va y mettre et le but recherché qui importent. On ne peut pas conseiller telle pratique par rapport à telle autre : l’essentiel est la philosophie qui conduit nos actes.

Kaizen : Dans cette perspective, le recours à une spiritualité vous semble important ?

Thierry Janssen : Oui, la spiritualité est essentielle, qu’elle soit religieuse ou laïque. Elle est pour moi la compréhension de l’esprit des choses, du souffle qui traverse toutes les dimensions du vivant pour l’animer. En somme, il s’agit de mieux connaître la nature profonde de l’être humain. Cela favorise le respect d’une écologie intérieure, propre à chacun de nous, engageant notre responsabilité individuelle, et d’une écologie extérieure, en lien avec notre environnement, nécessitant d’assumer une responsabilité à l’échelon collectif.

Propos recueillis par Lionel Astruc

 

À lire :

Le défi positif : une autre manière de parler du bonheur et de la bonne santé, Thierry Janssen, Les liens qui libèrent, 2011.

Voir également le site de Thierry Janssen : www.thierryjanssen.com


[1] « La Solution intérieure – vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit » est le titre d’un des livres de Thierry Janssen (éditions Fayard, 2006 ; éditions Pocket, 2007).

 


Extrait de Kaizen 2.

 


Lire aussi : Reconsidérer la santé

Le 26 octobre 2012
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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Climax le 16/02/2016 à 19:10

Bonjour ,

Entièrement d'accord 'saupoudré" est l'exact contraire de la profondeur et la solution intérieure n'a rien de superficielle.
La "bonne recette de cuisine" pour bien vivre est lente et parfois laborieuse à mettre en place et a trouver.
Rien n'est définitivement acquis, l'équilibre est un état ""idéal" qui''il faut retrouver chaque jour.
Ce qui est vrai pour l'un ne l'est pas nécessairement pour l'autre et la spiritualité laique pourrait alors se résumer simplement à s'écouter (vivre avec tous ses sens , au sens propre !) et se respecter
Le concept de solution intérieur prend encore tout sa dimension

Aurélie Barbe le 16/12/2014 à 18:09

Bonjour,
Un oubli récurrent: tout cela demande effort, persévérance et motivation! Lorsque j'ai commencé sur ce chemin, j'étais découragée de voir que cela ne fonctionnait pas comme je le souhaitais. Mais au contraire! Si cela ne fonctionne pas à 100%, c'est que je suis sur la bonne voie ET QUE JE DOIS CONTINUER!!! Comme un tableau: il y a un début, une progression, et une fin. Ma fin sera ma mort, alors tant que je vis, je continue à progresser et donc, à faire les efforts nécessaires pour.
On vit dans des illusions de solutions de facilité, de confort et de "tout-cuit dans la main". Mon confort à moi, c'est mon bonheur, et je travaillerai chaque jour de ma vie pour l'entretenir. Et souvent, ce travail consiste à se reposer :) Paradoxalement, c'est l'élément qui me demande le plus d'effort, si je puis dire...

Marie le 25/03/2014 à 18:23

Merci beaucoup pour ce très bel article, plein de vérité et d'espérance.

vendamme le 21/02/2014 à 17:46

Intéressant, oui mais attention aussi à ne pas culpabiliser ceux qui sont gravement malades, qui n'ont pas mérité un sort pareil. Je pense à ceux qui ont mené une vie raisonnable, par exemple sans tabac, sans alcool, sans excès, et aussi aux enfants... je pense aussi à ceux, les "stressés" dont vous parlez, qui mènent une vie de fou, parce qu'ils courent après un revenu, un contrat, qui luttent contre le chômage, qui habitent dans des logements inconfortables, voire insalubres, et qui n'ont pas le choix...

PACAUT le 16/11/2012 à 16:51

Prenons conscience que nous faisons partie intégrante de la nature...

Arrêtons de nous en éloigner, ce sera déjà un bon début pour prendre notre santé en main

Merci pour cet excellent article qui a le mérite de mettre les points sur les i

Bonheur du Jour le 08/11/2012 à 09:56

J'ai beaucoup aimé cette interview. Ce que vous dites de la responsabilité individuelle me semble fondamental. La lucidité sur soi-même est une première et importante étape.

Romain R. le 28/10/2012 à 17:11

Je suis on ne plus d'accord, la philosophie doit être une base et non une option.

Quand j'ai lu tes propos j'ai retrouvé les valeurs que j'ai acquises durant ce que j'appelle mon développement personnel, le fait de se recentrer sur ce que l'on est, ce que l'on ressent, ce que l'on a envie de faire, ce qui nous définit, etc... Mais tu n'emploi pas ce terme, j'ai supposé que c'était lié à l’ambiguïté ou à la méfiance qui règne autour de l'emploi de ce terme ?

NoNyme le 28/10/2012 à 00:48

"une relation biaisée entre le patient et son généraliste (voir encadré)." Où est l'encadré en question?