Animaux
Brigitte Gothière (L214) : « Arrêtons de considérer les animaux comme de simples ressources alimentaires »
Depuis sa création en 2009, l’association L214 s’est imposée comme la voix de la protection animale en France. Avec l’objectif d’abolir toute souffrance animale, l’association veut reconsidérer la place de nos amis les bêtes dans la société et requestionner notre régime alimentaire. Entretien avec sa co-fondatrice et porte-parole, Brigitte Gothière.

©Maëlys Vésir
Vos vidéos révélant les conditions très dures des animaux dans les abattoirs ont à chaque fois l’effet d’une bombe. Est-ce que c’est pour vous le moyen le plus efficace pour changer les mentalités ?
Depuis huit ans maintenant, on prend le parti de vouloir transformer les choses en profondeur en défendant l’arrêt de toute souffrance animale. Pour ce faire, on enquête sur le terrain, on apporte des faits et des témoignages qui se déroulent ici et maintenant. On a atteint un point extrême de dominance sur les animaux. Tous les jours, on abat trois millions d’animaux d’élevage et quelques dizaines de millions de poissons… Par nos vidéos, notre but est de faire évoluer les mentalités et les attitudes avec la mise en place d’un réel statut juridique de l’animal.
Justement, depuis 2015, le Code civil reconnaît les animaux comme des « êtres doués de sensibilité ». Est-ce que cela a été un premier pas vers une société plus respectueuse de l’animal ?
Cela a simplement permis d’harmoniser les textes précédents, notamment l’article L214 du code rural de 1976 ¹. Mais dans les pratiques rien n’a vraiment changé, les animaux sont toujours soumis au régime de biens. Pourtant, de plus en plus d’études, notamment en éthologie, ne cessent de démontrer les capacités cognitives et donc l’intelligence des animaux. Par exemple, les cochons sont aussi intelligents que les chiens, si ce n’est plus, mais on ignore totalement cet aspect là de l’animal. La grande erreur que l’on fait avec les animaux est de toujours les considérer comme de simples ressources alimentaires plutôt que des cohabitants de cette planète.
Cette ignorance ne viendrait-elle pas du fait que nous avons perdu le lien entre l’animal abattu et ce que l’on retrouve dans notre assiette ?
Oui, c’est un point important. On est en totale rupture avec nos aliments aujourd’hui et c’est un lien brisé volontairement par l’industrie qui veille au grain. Quand vous mangez de la viande, vous ne devez surtout pas penser à l’animal sinon ça vous couperait l’appétit. Au-delà de soulever la question de « Qu’est-ce qu’on mange ? », on souhaite interroger sur le « Qui on mange ? ». Et en posant les cartes sur la table, en exposant les conditions d’élevage, de transport et d’abattage des animaux, cela crée un réel intérêt et une vraie prise de conscience chez les gens qui se rendent compte que nos pratiques alimentaires sont en contradiction avec nos pensées humanistes, qui sont de ne pas maltraiter et tuer sans nécessité un animal.
La question animale est aujourd’hui devenue un vrai sujet de société, comment l’expliquez-vous ?
Il y a un réel engouement depuis ces dernières années. En plus d’une prise de conscience sur le bien-être de l’animal, cette cause touche également l’environnement puisque l’élevage est responsable de 14,5 % d’émissions de gaz à effet de serre. Elle soulève aussi une question sanitaire avec la corrélation entre viande transformée et potentiels cancers et maladies cardio-vasculaires. Dernier point, la question animale interroge également les relations « Nord-Sud » : lorsque l’on fait parvenir des produits comme le soja d’Amérique latine pour nourrir uniquement le troupeau d’une exploitation française, c’est problématique.
Une fois la dénonciation effectuée, quelles solutions proposez-vous, pour éloigner les animaux de nos assiettes ?
Il y a deux ans, nous avons lancé VegOresto. C’est une plateforme qui encourage les restaurateurs à proposer une option vegan friendly dans leurs établissements. Ce qu’on peut dire, c’est qu’ils sont très réceptifs et très satisfaits du résultat. Aujourd’hui, on en a référencé 800 partout en France. Les restaurateurs ont un vrai rôle à jouer dans cette cuisine, ils n’adhèrent pas seulement pour la cause animale mais sur les conséquences sur la santé ou bien par l’envie de tester une cuisine innovante et de mettre en valeur les légumes. Ils sont étonnés de voir leur restaurant afficher complet avec une clientèle végane mais pas uniquement, il y a des personnes tout simplement curieuses qui viennent de plus en plus. C’est vraiment encourageant.
Et pour le consommateur, quelles pistes lui donnez-vous pour tendre progressivement vers un nouveau régime alimentaire sans animaux ?
La bonne chose c’est que chacun peut être acteur du changement lorsqu’il s’agit de défendre la cause animale. On a un vrai pouvoir en tant que consommateur, notre porte-monnaie c’est notre bulletin de vote finalement. L214 propose deux outils pour accompagner les gens vers le véganisme : un site internet, Vegan Pratique qui regroupe des informations nutritionnelles, des conseils, des recettes et des éléments de compréhension. Et le Veggie Challenge, qui rassemble près de 9000 personnes, est un accompagnement personnalisé totalement gratuit sur un mois dont le but est d’arrêter progressivement la consommation des produits animaux.
Beaucoup de questions reviennent néanmoins autour de l’alimentation végane : qu’en est-il des carences par exemple ?
Il y a beaucoup d’idées reçues et de peur sur l’alimentation vegan. Notre site est sourcé et documenté d’un point de vue scientifique. On a tout ce qu’il faut dans le règne végétal, mise à part la B12, que l’on peut prendre très facilement en complément, pour vivre en bonne santé. Manger des produits d’origine animale, c’est une habitude que l’on a prise depuis l’enfance sans y penser et, quelque part, on n’a jamais pris la décision de manger de la viande, mais on peut faire le choix d’arrêter d’en manger.
Est-ce que le basculement vers une société plus respectueuse des animaux se fera grâce aux générations futures ?
Il y a indéniablement un enjeu très fort auprès des jeunes aujourd’hui. On voit en grandissant qu’on peut nous fermer des portes d’empathie envers les animaux et notre idée serait de les garder grandes ouvertes. C’est pour cela que nous sommes en train d’ouvrir un pôle éducation au sein de l’association.
De manière générale, L214 croit en une évolution positive de la société. On remarque bien que notre monde n’est jamais figé, bien au contraire, il est en perpétuelle évolution et cette évolution nous emmène vers un monde plus juste qui inclurait tous les êtres vivants. On puise notre énergie d’activistes dans l’espoir, l’espoir que les choses changent dans le bon sens.
Propos recueillis par Maëlys Vésir
¹ Article L214-1 du Code Rural (1976) : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. »
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