Solidarités

Au Potager des Cultures, quartier populaire et agriculture urbaine trouvent un terrain d’entente

Par Marie Boetti, le 1 octobre 2020

© Les Cols Verts

Si l’écologie est souvent associée aux bobos et aux plus riches, elle trouve aussi sa place dans les quartiers populaires. À Rennes, l’association Les Cols Verts cherche à réconcilier les personnes isolées, parfois sans emploi, avec l’agriculture urbaine depuis 2019. Malgré le confinement et des terres polluées, elle a déjà touché 4000 personnes.

«Entrez! Entrez! Vous allez être trempés», lance Aline Desurmont, maraîchère en charge du Potager des Cultures au Blosne, alors que la pluie s’abat sur la seule cabane sous laquelle les cinq bénévoles peuvent s’abriter. «Quand il pleut, il faudrait fermer. C’est quand même très dur de bosser sous la pluie quand on fait du maraîchage. Heureusement, on a des choses à faire sous serre.» Mais la météo déchaînée de ce mercredi de septembre n’effraie pas Laurent, inscrit depuis un mois. «J’ai affronté toutes les mers du globe.» Un authentique ciré vert sur le dos, cet ancien marin de commerce de bientôt 60 ans se précipite sous le déluge, entre les bacs en bois de fruits et légumes de saison, au nord de ce quartier prioritaire de Rennes (Ille-et-Vilaine).

En période transitoire entre le chômage et la retraite, il fait partie de la trentaine de bénévoles les plus actifs de l’association, sur un total de 270. Une liste composée de profils bien différents: des riverains, des demandeurs d’emploi, des retraités, des handicapés,  des migrants et des militants écolos. Mais pour la plupart avec un point commun. Ce sont en majorité des personnes isolées.

La ferme urbaine des Cols Verts Rennes*, coconstruite avec les habitants et inaugurée en septembre 2019, leur permet de tisser des liens et de s’occuper. «Les gens peuvent venir quand ils veulent et quand ils peuvent. Nous avons une approche du bénévolat vraiment sur l’engagement citoyen, en fonction des capacités de chacun. Nous travaillons notamment avec des mères de famille qui ne peuvent pas faire garder leurs enfants. C’est tout nouveau. Elles viennent occasionnellement avec leurs enfants, à partir de 5 ans», précise Hélène Brethes, directrice et coordinatrice de l’association.

Les bacs en bois sont protégés par une membrane d’étanchéité pour ne pas qu’ils pourrissent. (© Marie Boetti)

Une sérénité en pleine éclosion

L’un des plus assidus est Joël. À 65 ans, ce retraité qui habite à quelques mètres de là tient à apporter sa pierre à l’édifice. Il scie, débroussaille, déplace le fumier et rapporte du matériel, comme en ce mercredi pluvieux. Sans domicile fixe pendant dix ans après avoir enchaîné des «petits boulots», le bénévole qui garde plusieurs masques coincés dans une poche de chemise «tue le temps». «Ca m’aide. Éventuellement, ça me remonte un peu le moral, parce que là j’ai passé une période très très difficile. Cette année, je pensais vraiment que c’était terminé pour moi. Mais je suis encore là.» Pour cet ancien forain, il s’agit de faire germer une nouvelle vie, en toute sérénité.

Une quiétude que recherche également Richard, 35 ans, en situation de handicap psychique. Pris en charge par un CATTP (centre d’activité thérapeutique à temps partiel), il a rejoint le collectif au début du mois de juillet. Le bénévole, qui se dit «écologiste», voulait à tout prix faire du jardinage bio. Un peu absent cet été, il décide de revenir en ce mois de septembre sur les conseils des membres du centre. «Ils voient bien que je ne vais pas bien en ce moment. Alors, ils m’ont dit il faut faire des activités pour vous distraire. C’est vrai que quand je fais ça, je ne réfléchis pas. Donc, ça va beaucoup mieux, c’est positif.»

Richard trie les graines de basilic. (© Marie Boetti)

Vêtu d’un t-shirt et d’un short, Richard commence par trier les graines de basilic. Aline, reconvertie à l’agriculture depuis 2016, lui explique comment les frotter entre ses mains et récupérer les minuscules grains noirs: «Quelque chose de très important pour les agriculteurs et le maraîchage en général, c’est de retrouver l’autonomie vis-à-vis des graines. Quand tu les récupères, elles sont adaptées à ton sol.»

L’ancienne juriste de 40 ans, spécialisée dans le droit de l’environnement, n’utilise aucun produit chimique sur ce terrain de 2000 mètres carrés, dont 150 cultivables en raison du potager hors-sol. Celui-ci suit le cahier des charges de l’agriculture biologique sans pour autant obtenir le label, dans le respect anticipé du nouveau règlement bio européen adopté en 2018, dont l’entrée en vigueur est reportée du 1er janvier 2021 au 1er janvier 2022 en raison du Covid-19.

Nous avons perdu pas mal d’argent en graines et en plans, mais aussi en temps salarié. – Hélène Brethes

Le chemin vers des récoltes saines fut toutefois semé d’embûches. Six mois après l’acquisition du site par commodat**, Les Cols Verts Rennes apprennent qu’il est pollué. Ils décident alors de fabriquer grâce à des artisans locaux des bacs en bois, protégés par une membrane d’étanchéité***, accueillant désormais des radis noirs et des fraises. Un investissement de 30.000 euros, soit plus d’un tiers de leur budget.

«Le coup dur, c’est que, pendant le confinement, la ville nous a prévenus que la terre qui avait été mise dans ces bacs était aussi polluée, déplore Hélène Brethes, 28 ans. Nous avons perdu pas mal d’argent en graines et en plans, mais aussi en temps salarié.» Le budget participatif remporté en 2018 – entre 8000 et 10.000 euros – sert heureusement à financer l’étude de sol. Désormais, ils réfléchissent à un partenariat avec Agrocampus afin d’effectuer un suivi sur ces analyses.

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«Ce n’est pas un fantasme de bobos»

Le ciel s’éclaircit. D’autres bénévoles rejoignent Laurent et s’attellent à la réhabilitation des bacs. Fourche à la main, ils recréent du sol en appliquant la technique de permaculture «en  lasagne» (des copeaux de bois, des feuilles mortes, des déchets de tonte, du fumier, du compost…), avec une terre végétale testée, originaire d’un site extérieur à Rennes. Une tâche consommant trois heures d’efforts collectifs.

«C’est pratique et concret. C’est local, pour que la verdure devienne la partie intégrante de la ville. Mais il y a aussi un côté social, les récoltes qu’on va faire ce matin, on va les donner à des associations pour des personnes en difficulté (à l’épicerie sociale Ty Sol)», se réjouit Laurent, qui défend l’obligation de fermes urbaines dans les villes, y compris dans les quartiers populaires. «Le but est qu’ils viennent voir ce que l’on fait, travaillent et changent les choses. Il faut qu’ils sachent que ce jardin est fait pour eux, ce n’est pas un fantasme de bobos.»

Laurent crée un nouveau sol pour les bacs. (© Marie Boetti)

Le projet patine un peu quant à l’impact sur la jeunesse. Pour le moment, les jeunes en décrochage scolaire ne viennent pas d’eux-mêmes. Ils sont le plus souvent accompagnés de leur professeur. Aline se souvient d’une visite la semaine passée : «Ils trouvent ça très vite dégoûtant. Mais quand quelqu’un dit “ma grand-mère, elle fait ça aussi”, tout d’un coup, ça change un petit peu le regard des autres sur la terre et les légumes.»

Les Cols Verts Rennes travaillent aussi avec une classe de SEGPA (section d’enseignement général et professionnel adapté). Le but ? Découvrir les métiers de l’agriculture accessibles en CAP et déconstruire les idées reçues sur ce type de formation. Le tout avec une dimension environnementale de transition.

Nous avons retrouvé des légumes éclatés au sol sous la halle du Triangle. – Hélène Brethes

Du côté des habitants, Aline explique que certains avaient quelques réserves. «Dans ce coin, il y a une quinzaine d’hommes qui traîne tous les jours. Au début, ils me regardaient un peu bizarrement et ne me disaient pas bonjour. Cela a vraiment changé, depuis que je suis là tous les jours. Il y en a même deux qui sont venus aider.»

Seulement, la cohabitation devient parfois difficile. Cet été, l’association a déploré plusieurs vols, soit 30% de la production selon Hélène Brethes. «Des dégradations aussi, nous avons retrouvé des légumes éclatés au sol sous la halle du Triangle. Nous espérons que les vols vont diminuer avec de la médiation, en faisant comprendre que c’est donné à des gens en situation de précarité.»

Avis de recherche pour un plus grand site

Pour tenir sur la longueur et gagner en autonomie financière, Les Cols Verts Rennes échangent avec la municipalité. Ils espèrent trouver un plus grand site de production en pleine terre, «de minimum 5000 mètres carrés». L’association subsiste grâce à ses animations, à des subventions du secteur public et à des dons de fondations. Un budget global de 100.000 euros par an ayant déjà permis de toucher 4000 personnes.

«Pour connaître les difficultés du secteur associatif, le risque c’est que ce soit un super projet qui marche pendant un an ou deux et qu’après ça s’arrête, parce qu’il n’y a pas de moyens. Aline est toute seule et a l’air d’avoir beaucoup de travail», prévient Chloé, ancienne coordinatrice pour Batik International en reconversion. La femme de 30 ans effectuera un stage à la ferme dans les mois à venir, aux côtés de plusieurs services civiques. Elle fera bientôt l’expérience du maraîchage entre averses et bourrasques.


*Les Cols Verts correspondent à un réseau regroupant six collectifs indépendants en France et en Tunisie (Albi, Valenciennes, Rennes, Montpellier, Martinique, Mahdia).

**«Un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi», selon l’article 1875 du Code civil.

***Ce système, appelé Delta-MS, permet au bois de ne pas pourrir.

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