Écoles alternatives

A Copenhague, une école enseigne la transition écologique

Par Alicia Blancher (texte et photos), le 13 septembre 2022

Dans la cour de récréation de l'école primaire, le bois est à l'honneure. ©AB

À Copenhague, la Den Grønne Friskole, littéralement « école verte libre (1) », se distingue dans le paysage éducatif danois par sa formation axée sur l’environnement et la transition écologique. Au-delà des traditionnelles mathématiques ou de l’histoire, les élèves apprennent ici à jardiner, à cuisiner, ou encore à décrypter le greenwashing.

Nichée au cœur d’Amager, ancien quartier industriel du sud-est de Copenhague, « l’école verte » ne passe pas inaperçue. À quelques mètres de l’entrée, des échos de rires et de cris se font entendre. Sur le mur, une grande mosaïque arbore son nom et son logo, une ampoule dans laquelle germe une plante. « Ce sont les élèves qui ont réalisé cette plaque à ma demande », annonce avec fierté Dorthe Junge, la directrice, tout en jetant un regard bienveillant sur ses protégés, dispersés aux quatre coins de la cour. Il est à peine midi et la récréation bat son plein. Le préau, les tables, le terrain de basket… Ici, le bois est roi. Côté bâtiments, certains ont été construits à partir de matériaux biosourcés ou recyclés.

« L’école est un lieu primordial dans le développement des enfants, car c’est le premier reflet de la société auquel ils accèdent. Quelle nourriture leur sert-on ? Dans quel cadre les faisons-nous travailler ? Tout ceci a une importance », assure Phie Ambo, l’une des fondatrices de l’établissement, qui compte à ce jour 191 élèves, âgés de 5 à 15 ans. En 2013, cette cinéaste réalise un documentaire dans une ferme au Danemark. C’est une révélation. Elle y découvre les nombreux enseignements à tirer de la simple observation de la nature. Des savoirs pratiques souvent absents des écoles traditionnelles. Avec son mari et deux autres parents sensibilisés à l’environnement, ils décident alors de fonder une « école verte » pour préparer les enfants à la transition écologique. La Den Grønne Friskole éclot en 2014.

Dans la cour de récréation de l’école primaire ©AB

Aimer la nature et s’en inspirer

Dans cet établissement, les élèves étudient souvent en extérieur. Une réalité par ailleurs répandue au Danemark, où 20 % des écoles maternelles font classe en plein air. « Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige ou qu’il fasse un froid glacial, nous sortons », sourit Dorthe Junge, vêtue d’un long imperméable noir à capuche jaune et boutons colorés. Lors d’une journée de classe, les élèves peuvent notamment écrire un poème en forêt, ou observer les oiseaux à la plage. Pour la directrice de l’école, il s’agit de leur faire ressentir à travers diverses expériences qu’ils appartiennent à la nature et qu’ils doivent en prendre soin. Leur apprendre à « “aimer” la nature, au sens fort du verbe ».

En plus d’acquérir des compétences scolaires (lire, calculer, etc.), les enfants sont encouragés à développer leurs compétences manuelles, trop souvent dépréciées dans le milieu académique : jardiner, faire du compost, récupérer l’eau de pluie, réparer un vélo… Très tôt, ils agissent pour l’environnement. C’est une étape essentielle pour leur donner confiance en eux et leur montrer qu’ils sont acteurs du changement, selon Dorthe Junge, qui s’oppose à une approche pessimiste : « Avec les plus petits, nous n’abordons pas le développement durable à grande échelle, nous ne leur disons pas que le monde va s’effondrer. Cette approche serait néfaste pour les enfants, car ils risqueraient de développer des peurs, de se paralyser face au changement climatique. » Les « plus petits », ce sont les élèves de primaire. Les collégiens, eux, peuvent aborder des sujets plus complexes, comme le greenwashing.

La directrice échange avec des élèves du primaire ©AB

L’environnement, c’est une paire de lunettes que nous posons sur chaque matière 

Pour intégrer l’établissement, privé, les frais restent élevés : 2 500 couronnes par mois, soit environ 350 euros. Mais pour aider les parents aux revenus modestes, un système de bourses est prévu au budget.Au Danemark, fonder une école privée n’est pas compliqué : l’État peut la financer à hauteur de 75 %. En contrepartie, l’école doit suivre le programme national et est soumise à des contrôles réguliers. À la Den Grønne Friskole, les élèves étudient bien les mathématiques, le danois, l’histoire, ou encore l’anglais. Mais toujours en lien avec le développement durable. Faire des calculs sur la régénération du bois, étudier grammaticalement un texte sur le sujet, et le traduire en anglais… « L’environnement, c’est une paire de lunettes que nous posons sur chaque matière, commente Dorthe Junge, qui critique vivement le cloisonnement des sujets d’étude de l’enseignement traditionnel. Il s’agit de “s’inspirer de la nature”, où tout est interconnecté via les écosystèmes. Pour les enfants, l’apprentissage est beaucoup plus concret de cette manière. »

Comment se passe le retour des élèves dans le système académique classique quand ils grandissent ? «L’école verte » a souvent dû se défendre sur ce point. D’autant plus que ses élèves ne passent pas d’examens et n’ont pas de notes ; leurs évaluations reposent sur des commentaires individualisés ou collectifs. Selon la directrice, qui semble rodée sur la question, il n’y a aucune difficulté à revenir vers le système public. Au cours de leur dernière année, les écoliers sont préparés aux examens pour accéder au supérieur. Aussi, le développement durable étant devenu une préoccupation importante au sein de la société danoise, l’établissement a plutôt « le vent derrière lui ». « Plus personne ne remet en question le sérieux de nos cours », se félicite Dorthe Junge.

Les activités manuelles sont primordiales au sein de la Den grønne friskole ©AB

Une pédagogie concrète, fondée sur les projets

À l’école primaire, la pause déjeuner touche à sa fin. Un attroupement de petites têtes blondes se forme peu à peu devant les salles de classe. Dans l’une d’elles, quelques élèves sont déjà installés et discutent entre eux. Avec sa charpente et ses multiples étagères en bois, ses chutes de tissu au sol, ses machines à coudre et ses bobines de fil, le lieu a les allures d’un atelier de bricolage. Deux petites filles, assises sur un banc, manipulent un sac en coton avec précaution. « On coud une pochette pour le pain, pour mieux le conserver », soulignent dans un anglais parfait Villum et Vigga, qui ont respectivement 11 et 10 ans. Avant cela, les deux amies ont appris en classe à faire leur pain (choisir la farine, le pétrir, etc.). Et à la fin du projet, elles devront concevoir une publicité pour leur pochette réutilisable.

«Projet »: voilà le mot-clé qui caractérise la pédagogie de la Den Grønne Friskole depuis l’arrivée de Dorthe Junge à la direction, il y a trois ans et demi. Pour aborder l’ensemble du programme, les élèves réalisent tout au long de l’année des projets de six à huit semaines, divisés en quatre phases : les recherches documentaires et scientifiques, la recherche d’idées, la réalisation et l’évaluation. Pour Dorthe Junge, il s’agit de leur donner les outils nécessaires pour réfléchir et agir en conséquence. « On cherche à développer leur curiosité, leur esprit critique. On n’ouvre pas leur cerveau pour y entasser les connaissances et refermer ensuite », illustre la directrice en mimant de sa main droite le « bourrage de crâne ».

Lors d’un projet autour du pain, les élèves fabriquent une pochette pour le conserver. ©AB

Grâce à cette pédagogie concrète, « l’école verte », OVNI éducatif à ses débuts, s’élève désormais au rang de modèle pour de nombreux établissements, publics ou privés. Néanmoins, selon Phie Ambo, la Den Grønne Friskole doit encore s’améliorer, en prenant en compte l’évolution perpétuelle des connaissances et en apprenant de ses erreurs. À sa création, l’école prônait par exemple l’enseignement démocratique ; les enfants avaient le choix de participer ou non à certains cours. L’équipe pédagogique a finalement renoncé à cette pratique, ne convenant pas à tous les élèves. L’école ne sera ainsi jamais un projet achevé pour la fondatrice : « C’est une odyssée, plus qu’une destination finale. »

(1) « Libre » désigne ici un établissement privé.

Pour aller plus loin

dengroennefriskole.dk

Lire aussi 

Le massage pour mieux vivre l’école

L’école dans la nature : une révolution verte de l’éducation ?


© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

Soutenir Kaizen Magazine, c'est s'engager dans un monde de solutions.

Notre média indépendant a besoin du soutien de ses lectrices et lecteurs.

Faites un don et supportez la presse indépendante !

JE FAIS UN DON

A Copenhague, une école enseigne la transition écologique

Close

Rejoindre la conversation