Énergie

5G, dangers et inconvénients

Par Fanny Costes, le 19 septembre 2020



Moins de dix ans après le sacre de la 4G, une cinquième génération de technologie mobile se déploie dans le monde. Elle serait le levier indispensable à l’avènement d’une société 100 % connectée. Mais, aujourd’hui, la 5G est surtout entourée d’incertitudes et d’inquiétudes sanitaires, écologiques et sécuritaires. Faut-il accepter d’avancer en aveugle ou inviter la démocratie à la table des décideurs ?

La 5G prendra le relais de la 4G, « et alors ? » questionneront certains, persuadés que l’évolution est logique, sans incidence de taille sur nos quotidiens. Mais le sujet est plus complexe. Car cette nouvelle génération de réseau mobile multipliera par dix les débits, divisera par dix le temps de latence (durée entre le moment où on clique sur un bouton et le moment où on reçoit l’information demandée), et promet de gérer simultanément des milliards d’objets connectés.

Les partisans de son déploiement sont donc exaltés. « Il s’agit d’une proposition complètement différente et plus puissante que toutes les générations précédentes en termes de normes de réseau. Avec l’arrivée de la 5G, la connectivité mobile passera d’un usage que nous expérimentons principalement par le biais d’appareils personnels à la globalisation dans le tissu de notre société, créant une infrastructure intégrée qui reliera les bâtiments, le transport et les services publics », déclarait en mars 2019, Derek McManus, directeur de l’exploitation de l’opérateur anglais de téléphonie mobile O2. Avec la 5G, télémédecine, véhicules autonomes, bâtiments intelligents ou encore diffusion d’objets connectés en tous genres pourraient donc se généraliser.

Pourtant, l’intensité permise par la 5G et les fréquences qu’elle utilisera pour tenir ses promesses sont au cœur des problèmes soulevés par cette nouvelle technologie mobile. « Lorsqu’il y avait huit antennes pour la 2G, la 3G et la 4G réunies (le système 1G n’existe plus), on en promet 64 pour la seule 5G. […] Quels seront les effets de ces milliers d’antennes sur l’exposition du public aux champs électromagnétiques ? C’est toute la question », s’inquiète Nicolas Bérard dans son ouvrage 5G, mon amour : enquête sur la face cachée des réseaux mobiles.

À haute fréquence

Personne ne sait exactement. Même l’Anses s’en est fait l’écho. Dans un rapport préliminaire du 27 janvier 2020, elle déplore « un manque important de données scientifiques sur les effets biologiques et sanitaires potentiels ». Une chose semble sûre cependant, l’exposition aux ondes électromagnétiques augmentera. Dans un rapport d’avril 2020 basé sur des mesures réalisées sur des sites pilotes utilisant la 5G, l’Agence nationale des fréquences (ANFR) fait l’hypothèse que « la consommation mensuelle en 5G sera de 28 Go par mois par utilisateur[iii]. À titre de comparaison, la consommation moyenne en 4G était au dernier trimestre 2018 de 7 Go par mois en moyenne ».

Une simulation d’ajout de signal 5G, réalisée dans le 14e arrondissement de Paris, un environnement antennaire très dense (la 2G, la 3G et la 4G y sont largement déployées), conclut également que « le niveau d’exposition moyen augmenterait d’environ 30 % et générerait environ 50 % de zones supérieures à 6 volts/m supplémentaires (ndlr : à ce qui existe actuellement). C’est le seuil d’alerte où les opérateurs sont supposés modifier des installations pour éviter d’exposer trop fortement les riverains », ajoute Stephen Kerckhove, délégué général de l’association Agir pour l’environnement, en citant une récente étude de l’ANFR. « Une étude théorique qui reste à conforter avec des mesures terrain », précise une source proche du dossier.

Concrètement, une génération de communication mobile utilise des fréquences radio pour capter et transmettre des données. Et la 5e génération utilisera, pour tenir ses promesses, deux bandes du spectre radioélectrique : celle de 3,5 GHz (gigahertz) d’abord, et dans un second temps la bande 26 GHz appartenant à la catégorie des ondes millimétriques. Tandis que les fréquences déjà utilisées pour la 2G, 3G ou la 4G dites basses (entre 600 MHz et 2,5 GHz) permettent d’avoir une couverture large et se propagent bien à l’intérieur des bâtiments, celles dites hautes utilisées par la 5G permettent de traiter de fortes capacités, mais dans un rayon plus restreint. Les ondes millimétriques surtout. « La bande 26 GHz, à ce jour la bande la plus élevée jamais utilisée en technologie cellulaire, sera la clé du très haut débit de “la fibre sans fil” que promet la 5G », estime l’ANFR. Pour cette fréquence toutefois, la France n’en est qu’au stade des expérimentations.

Pour l’heure, la 5G va s’appuyer sur le déploiement d’antennes actives autour de la bande 3,5 GHz. « Aujourd’hui, les antennes mobiles que nous utilisons sont comme de gros arrosoirs. Le même signal est envoyé partout, et les terminaux (smartphones, ordinateurs…) qui sont compatibles décryptent le signal, explique Sébastien Soriano, président de l’Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep). Avec les micro-antennes actives, le réseau devient intelligent. Elles ne vont émettre des signaux qu’à proximité des terminaux. Les ondes “traversent” donc moins de gens, mais avec une intensité plus importante pour véhiculer beaucoup plus de données. »

La vitesse à tout prix ?

Par ailleurs, au grand flou sur l’impact sanitaire de la 5G, s’ajoute un autre point de divergence entre partisans et opposants : son impact carbone. « Est-il normal, maintenant que la décarbonation est dans tous les esprits, que la mise en place de la 5G ne s’accompagne en France d’aucune évaluation mettant en balance le supplément de service rendu avec les inconvénients environnementaux additionnels – car il y en a ? » interroge Hugues Ferreboeuf, directeur du projet « sobriété numérique » au Shift Project. Ainsi, «  il y a aujourd’hui un consensus pour dire qu’un équipement 5G consomme 3 fois plus qu’un équipement 4 G ». Résultat : la consommation d’énergie des opérateurs mobiles serait multipliée par 2,5 à 3 dans les cinq ans à venir. Ce qui « représenterait environ 10 térawattheure supplémentaires, soit une augmentation de 2 % de la consommation d’électricité française ».

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Surtout, il faudra ajouter à cette consommation celle, bien plus importante encore, nécessaire à la fabrication « des milliards de terminaux et d’objets connectés que nous souhaiterons relier via ce réseau (dans le monde, l’énergie de fabrication des terminaux, serveurs et éléments de réseau représente 3 fois l’énergie de fonctionnement des réseaux, hors data centers). Alors qu’une augmentation de la durée d’utilisation des smartphones serait centrale pour réduire leur empreinte carbone, l’apparition de la 5G accélérerait leur remplacement », ajoute Hugues Ferreboeuf.

Et comme si cela ne suffisait pas, la sécurité du réseau et la surveillance des populations viennent accroître incertitudes et inquiétudes autour de la 5G. « Personne n’a investi dans la sécurité de ce réseau. On privilégie la vitesse. Les sécurités adaptées ralentiraient très légèrement, de quelques secondes, quelques millisecondes même, mais c’est trop, regrette Dominique Boullier, professeur spécialisé dans les architectures techniques et les usages digitaux. Pourtant la 5G générera précisément un système qui va faciliter avant tout les objets connectés, ce qu’on appelle l’Internet des objets (IoT). Or ces objets sont déjà la source principale des attaques de hackers, les caméras de vidéosurveillance notamment. »

De nombreux doutes subsistent donc sur ses impacts sur la santé, la sécurité, le réchauffement climatique… Même les usages promis par la 5G ne sont pas certains. Le président de l’Arcep est le premier à le reconnaître : « Les dépliants des constructeurs d’équipements de téléphonie sont là pour que les opérateurs achètent la 5G puis que les consommateurs l’utilisent. Ils projettent des usages potentiels. Mais in fine, on ne sait pas quels seront les usages de la 5G. Elle ouvre seulement des facultés, comme l’imprimerie ou l’ordinateur avant elle. »

Si l’accès à la médecine pour les plus isolés, les économies d’énergie permises par des bâtiments intelligents ou la sécurité et le désencombrement des rues attisent l’espoir, « il ne faut pas se raconter d’histoire. Pour l’heure, la 5G va surtout faciliter le streaming, profiter au secteur des jeux vidéo, et rapidement aux appareils connectés, comme les frigos. Ce qui profitera aux équipes marketing pour faire valoir leurs produits. Et le discours tourne un peu à vide. La France devrait déployer la 5G parce que les autres pays le font. J’appelle cela la tyrannie du retard. Mais s’ils font des conneries, nous aussi ? » renchérit Dominique Boullier.

La technologie, hors démocratie ?

Que dit la population de la 5G et de ses belles promesses ? Dans ses conclusions, la Convention citoyenne pour le climat estime qu’elle est « sans réelle utilité ». En parallèle, le mouvement #Halteala5G s’étend. Car l’introduction de cette nouvelle génération, comme les autres avant elle, n’a fait l’objet d’aucun débat ou autre forme de consultation démocratique. « Pourtant, les projets développés dépassent largement le montant permettant de déclencher un débat public organisé par la Commission nationale du débat public ( CNDP). On continue à le demander tout en instaurant un vrai moratoire », poursuit le délégué général d’Agir pour l’environnement.

Aujourd’hui, le déploiement de la 5G est bien en cours en France. Le processus d’attribution des fréquences 3,5 GHz a ainsi commencé début 2020. Les quatre opérateurs nationaux (Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free) ont déjà été retenus et des enchères suivront d’ici fin septembre pour « distribuer » les fréquences restantes. « À partir de novembre, les opérateurs seront libres de lancer ou non la 5G. Ils devaient initialement avoir couvert chacun deux villes d’ici la fin de l’année, mais nous avons supprimé cette obligation au regard du débat sociétal sur le sujet, précise Sébastien Soriano. Et nous avons lancé une plateforme de travail pour mettre en place des indicateurs et, si nécessaire, demander au législateur de nous permettre d’imposer des contraintes environnementales à l’avenir », ajoute-t-il.

Le 11 juin dernier en effet, l’Arcep a ouvert la plateforme « Pour un numérique soutenable », invitant associations, institutions, opérateurs et autres à contribuer lors d’ateliers, et promis un rapport pour la fin de l’année. Mais il ne s’agit ni d’un débat public ni d’un travail dédié à la 5G en particulier.

« Or il semble nécessaire de lancer un débat précis. Trop souvent les débats publics sont très généraux et donc parasités par les oppositions de principe ou de surface. Il faudrait sans doute partir des applications, qu’on nous dise voilà ce qu’on veut faire, la voiture autonome par exemple, ou la diffusion de frigos connectés chez tous les ménages, puis qu’on s’interroge et décortique collectivement. A-t-on vraiment besoin de 5G pour telle application ? Si oui, quelles sont les conditions ? Quels sont les risques ? Les bénéfices ? », propose Dominique Boullier.

De plus en plus d’organes et personnalités officiels vont d’ailleurs dans le sens de ce débat et d’un moratoire sur le déploiement de la 5G en France. Le 21 juin dernier par exemple, Olivier Véran, ministre de la Santé, et Élisabeth Borne, ministre de l’Environnement, ont écrit au Premier ministre « d’attendre l’évaluation de l’Anses avant le déploiement de la 5G », dont la publication est prévue pour la fin du premier trimestre 2021. Ces alertes et appels à la démocratie seront-ils entendus ?

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[iii] Utilisateur d’un support numérique doté d’une carte SIM 5G comme un smartphone, une tablette ou une montre connectée.

[iv] Dans une tribune parue dans Le Monde le 9 janvier 2020.


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