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jeudi 21 novembre 2024
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Monastère de Solan – Cultiver la terre et le ciel

Les écolieux ne sont pas tous fondés par des néoruraux aspirant à changer de vie. Parfois, la démarche  est plus intérieure, spirituelle, voire religieuse. C’est le cas de la communauté du Monastère orthodoxe de Solan dans le Gard. Sobres, voire ascétiques, les 20 religieuses qui y vivent pratiquent l’agroécologie avec une efficacité rare : grâce à un travail considérable et des méthodes simples, elles tendent vers l’excellence.

Juste devant les portes des cellules où vivent les sœurs, sous le débord de toiture, cinq nids d’hirondelles sont installés. Les oiseaux virevoltent et le bruissement des ailes se mêle à celui des robes des religieuses dans un ballet silencieux, recueilli et affairé. Vingt âmes vivent au monastère de Solan, une congrégation orthodoxe établie dans le Gard.

Elles cultivent environ 20 hectares sur un domaine qui en couvre 60. Les terres se répartissent en 5 ha et demi de vignes, un petit hectare d’oliviers, 3 gros ha d’arbres fruitiers (abricotiers, figuiers, pommiers, cerisiers…, dont 2 ha de châtaigniers) et un magnifique jardin potager d’1 ha, sans compter quelques prairies et des friches. Le tout est entouré de 40 hectares de forêt et traversé par un ruisseau jamais sec, merveille de biodiversité – abritant des écrevisses à pinces blanches…

Arrivées ici au début des années 1990, les sœurs découvrent des ruines et des champs exploités de manière conventionnelle pendant les décennies précédentes. Elles décident aussitôt d’adopter les principes de l’agroécologie pour l’ensemble des terres, encouragées et accompagnées notamment par Pierre Rabhi et Terre et Humanisme.

Arrivées au début des années 1990, les sœurs découvrent des ruines et des champs exploités de manière conventionnelle pendant  des décennies

Les sœurs produisent du vin, du vinaigre, des confitures, des pâtes de fruits, des compotes, du caviar d’aubergines, des tomates séchées, vendues dans leur boutique et chez quelques distributeurs, ou consommées par la communauté (lire notre encadré). Elles sont ainsi autonomes pour leurs consommations de légumes et, en partie, de fruits. En revanche, elles achètent encore des céréales, des légumineuses, leurs huiles et le sucre. Cette exigence agroécologique semble faire écho à une tradition d’innovation agricole issue en fait du Moyen Âge. Forts de leur capacité de travail, leur taille et leurs moyens, les monastères étaient alors le fer de lance de l’innovation agricole.

Vingt hectares de travail et de ferveur

Opération éclair d’arrachage de chiendent sur une parcelle de vignes, paillage, récolte de pois, repiquage de salades, remplissage de milliers de bouteilles, confection de confitures, débroussaillage,etc… Voilà le programme d’une seule journée de printemps – il en existe toutefois des plus calmes –, sans oublier la vie spirituelle et notamment les offices : en accompagnant les sœurs dans leur quotidien, on prend vite conscience de l’ampleur de leurs tâches.

Il a fallu une dizaine d’années pour atteindre l’équilibre économique qui tient cependant encore à un fil

L’ensemble des activités du monastère représente un travail considérable, que complexifient les aléas climatiques et la grande pauvreté initiale des sols. Depuis deux à trois ans, la communauté a atteint l’équilibre économique en dépit de mauvaises années à répétition, entre épisodes de grêle et de sécheresse. Cet équilibre est rendu possible par le fait que la congrégation transforme sa production agricole, pour réaliser une meilleure valeur ajoutée. Mais il « tient encore à un fil », d’après les religieuses, qui réussissent à accumuler un petit stock de bouteilles de vin : une pratique fréquente, afin de pallier les années difficiles (une sur cinq environ).

« Se donner le temps : c’est la clé »

L’équilibre économique de l’organisation tient à un ensemble de facteurs. Parmi eux ressortent tout particulièrement l’organisation qui associe une mutualisation très poussée, voire totale, une grande discipline où l’avis de chacune est peu sollicité dans un souci d’efficacité (lire notre second article) et une recherche absolue de sobriété. Jusqu’à l’ascèse. Cette dernière est consubstantielle de la religion orthodoxe et imprègne chaque instant du quotidien dans une forme de pleine conscience permanente. Chaque achat, chantier, aménagement, chaque choix est le résultat d’une recherche de simplicité. « C’est une base du monachisme » souligne sœur Nicodomi, responsable des activités agricoles, qui insiste sur le fait que cette quête de sobriété implique tout particulièrement de la retenue dans l’action (de la patience) et une anticipation.

Elle explique :  « La clé, c’est de se donner le temps de la bonne idée et des bonnes occasions. Le pressoir est, par exemple, une machine que nous ne pouvions pas nous offrir. Nous avons demandé à un ami concessionnaire viticole de nous prévenir s’il voyait une bonne occasion. Pendant trois ans il n’est pas revenu vers nous, puis un jour il est arrivé avec une opportunité parfaite et nous avons pu l’acquérir, se souvient-elle. De même, nous ne pouvions pas nous offrir de chaudronnière pour fabriquer la confiture. Cet instrument indispensable permet de faire pivoter l’énorme récipient en cuivre et de verser le mélange brûlant. Mais, neuf, il coûte une fortune ! On a acheté en Suisse des chaudrons à gruyère – beaucoup moins chers –  qu’on a montés sur un châssis de bétonnière ! La machine convient très bien. » Ce principe d’anticipation vaut également pour toutes les pratiques agroécologiques du monastère, autant que pour les achats de fournitures. Par exemple, les sœurs achètent la paille lorsqu’elle coûte le moins cher (en juillet), tout comme le bois déchiqueté, puis les stockent pour qu’ils sèchent et se bonifient.

Le rôle des bénévoles

Le bénévolat est l’autre sésame de leur organisation. Lorsqu’on évoque la forte présence des bénévoles aussi bien dans les jardins, les vignes, en cave qu’en cuisine ou à la lingerie (lire notre encadré), l’higoumène (la mère supérieure) rappelle d’abord que nous sommes en haute saison et qu’ils sont beaucoup moins nombreux habituellement. Elle reconnaît toutefois que l’activité agricole, dans sa forme (et sa taille) actuelle, dépend de leur présence : « Sans eux, ce ne serait pas possible ».

Tout comme certaines fermes biologiques qui – dans un système de prix contestable, n’intégrant jamais les bénéfices apportés à l’environnement –  s’appuient également sur des renforts volontaires. Cette question du temps de travail et des compétences nécessaires à réunir dans tous ces écolieux, religieux ou pas, est centrale. Elle pose certainement une limite – une incompatibilité ? – vis à vis de divers modèles économiques et organisations professionnelles traditionnelles, avec les marchés et les prix actuels des produits agricoles, même en bio. Ce bénévolat souvent nécessaire peut alors créer des tensions au sein des structures (ce n’est pas le cas au monastère), les mettre en difficulté vis à vis du droit du travail actuel, alors que le travail à fournir dans une ferme agroécologique est énorme et peut épuiser certains collectifs… Cette question, essentielle, du bénévolat dans les écolieux fera l’objet d’une enquête spécifique à venir.

Les sourires un peu ironiques des paysans voisins, qui savent les sols pauvres, ont bientôt laissé place au respect

Dans ce cas, pourquoi le monastère de Solan n’a-t-il pas imaginé s’installer sur un domaine plus petit ? « Les bénévoles ne viennent pas pallier à un manque, rétorque sœur Iossifia. Souvent, ce sont d’abord des hôtes qui viennent chez nous du fait de notre tradition d’accueil. Ils se sont intégrés au projet dès le départ en proposant leur aide, qu’il s’agisse de voisins ou de visiteurs plus lointains. Cela s’est fait naturellement et sans que nous les sollicitons. Nous n’avons jamais diffusé d’annonce ni d’appel en ce sens. Ils se proposent spontanément de venir apprendre à jardiner ou simplement faire le vide en eux. C’est alors un véritable échange, ajoute-t-elle. Nous les logeons et les nourrissons dans de bonnes conditions, nous leurs transmettons nos savoirs agroécologiques sans lien de subordination – ils sont libres de prendre part aux tâches ou non. Nous accompagnons leur recherche spirituelle lorsqu’ils en expriment le besoin. Certains voient là le moyen de nous côtoyer et de se rencontrer. »

Rayonnement local et international

L’épanouissement écologique du Monastère franchit désormais les hauts murs qui protègent le site et influence subtilement tout le territoire de La Bastide-d’Engras où il s’établit et dont les pratiques et mentalités sont encore proches de l’agriculture conventionnelle. Les sourires un peu ironiques des paysans voisins, qui savent les sols pauvres, ont bientôt fait place au respect, et les nouvelles générations sont souvent convaincues par l’agriculture biologique.

« Bien sûr, l’inscription des terres du monastère au réseau européen Natura 2000 (sites naturels à haute valeur environnementale, NDLR) a suscité quelques craintes, explique la mère supérieure. Certains ont eu peur d’obligations environnementales supplémentaires ». La crainte est infondée car l’inscription en site Natura 2000 n’a pas obligé les voisins à changer leurs pratiques. Elle incite toutefois les riverains à demeurer plus vigilants en matière écologique. Ce qui n’a pas empêché l’installation récente d’une carrière à moins de deux kilomètres à vol d’oiseau ! L’eau de la rivière en dépend et la communauté de Solan est sur le qui-vive pour défendre cette ressource.

Leur expérience inspire d’autres monastères, orthodoxes, mais aussi catholiques ou bouddhistes, conviés à Solan pour y suivre des formations

Leur expérience essaime désormais bien au-delà du territoire : elle inspire d’autres monastères, pas seulement orthodoxes, mais aussi catholiques ou même bouddhistes, conviés à Solan pour y suivre des formations animées par l’association Terre et Humanisme. Outre le soin à apporter au sol, aux plantes, les participants (beaucoup de femmes) s’intéressent surtout à la construction d’un modèle économique résilient. Le sœurs sont aussi invitées à participer à des rencontres nationales et internationales (telles que le rassemblement de la Conférence des évêques 2020 finalement annulé) pour témoigner de leur aventure agroécologique. Un succès inspirant, mais à l’organisation probablement impossible à répliquer hors de la sphère religieuse.

Par Lionel Astruc et Colibris.

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