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jeudi 21 novembre 2024
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Homoparentalité – Quand le livre jeunesse se fait inclusif 

Les livres jeunesse mettant en scène des parents LGBT+ se développent. Ils permettent aux enfants concernés de se sentir représentés, mais aussi de normaliser la diversité des modèles familiaux. Et d’œuvrer ainsi pour l’inclusivité. 

Alyx, 3 ans, a deux mamans, et adore qu’on lui lise des histoires dans lesquelles elle se retrouve… « Elle aime bien Camille veut une nouvelle famille (1), qui raconte l’aventure d’un hérisson découvrant d’autres types de foyers. Cet album permet d’amorcer des discussions sur le sien, mais aussi de souligner que tous les modèles familiaux sont légitimes », raconte Stéphanie, sa mère. La littérature jeunesse a en effet son rôle à jouer dans la normalisation de la diversité des familles. 

Talents Hauts vient ainsi de publier Mes deux mamans (2), où une petite fille ayant deux mamans répond avec humour et astuce à son ami qui lui demande avec insistance : « C’est laquelle, ta “vraie” maman ? » Cet album pour les 3-7 ans « met le doigt sur les questions subies par les enfants de familles homoparentales : la légitimité sociale, affective et biologique… », souligne Laurence Faron, directrice de la maison d’édition, créée en 2005 pour publier des ouvrages « qui bousculent les idées reçues ». 

Selon l’Insee, en France, plus de 30 000 enfants vivent avec un couple de même sexe. Pourtant, le nombre d’ouvrages de littérature jeunesse représentant des familles homoparentales est estimé à une quarantaine seulement, à laquelle s’ajoute une trentaine de livres aux thématiques LGBT+. Cependant, ces sujets se développent depuis le début des années 2000. « Les personnes LGBT+ se cachent de moins en moins et osent revendiquer leurs besoins », constate Gabriel Lucas, attaché de presse pour plusieurs maisons d’édition jeunesse. « Les éditeurs évoluent en même temps que la société ; depuis le mouvement #MeToo paraissent davantage de livres dits féministes ou LGBT+, mais ce ne sont pas toujours de bons livres… Je pense que cette inclusion restera marginale, car les maisons d’édition y voient un risque commercial, voire politique », analyse Laurence Faron. 

©Magalie Maricot

Banaliser pour normaliser 

Si plusieurs livres jeunesse représentent la diversité des familles, ceux où la différence n’est pas le sujet principal, mais un simple contexte, sont plus rares. « Dans Lila. La Voix bleue (3), le thème est l’écologie, mais l’héroïne a deux mamans. Tout de suite, mes filles ont réagi en s’exclamant : “C’est génial !” Pour elles, c’est important de voir que c’est normal », explique Constance, mère d’une fille de 8 ans et de triplées, âgées de 5 ans. 

« Ma fille aime beaucoup P’tit Panda fait un gâteau au chocolat (4), car il y a deux mères ; elle s’identifie », souligne Stéphanie, qui fait partie du collectif Famille.s, créé en 2020. « L’un des axes d’action sera justement de créer une collection de livres. » Pour Gabriel Lucas, également rédacteur en chef du site de littérature jeunesse La mare aux mots, « si on veut faire avancer la société, il faut aussi des familles homoparentales dans des collections grand public ; si Petit Ours Brun avait un copain qui avait deux papas, cela aurait plus d’impact ! » Il cite plusieurs livres mettant en scène des pères homosexuels : Tango a deux papas, et pourquoi pas ? (5), Marius (6) ou encore Moi, mon papa (7). 

Carole Jaillot aussi aimerait trouver un jour des parents homosexuels dans des séries populaires comme T’choupi. « Ma fille, âgée de 2 ans et demi, aime beaucoup ce style de collections qui parlent de la vie quotidienne, mais on doit changer les textes sur les parents quand on lui lit les histoires… » Forte de ce constat, Carole a lancé sa propre maison, Little Rainbow Éditions, et créé en 2020 la série Oli le petit nuage, dont le personnage principal a deux mères. 

©Magalie Maricot

« La représentation dans les œuvres de fiction est importante pour tout type de différence. La fiction permet la création d’un imaginaire collectif qui se diffuse dans les esprits. C’est d’autant plus vrai pour les œuvres dont ce n’est pas le sujet principal ; ce dernier est alors banalisé », explique le psychiatre Guillaume Fond. Pour lui, « plus l’enfant aura accès à des histoires différentes de familles homoparentales, plus il pourra s’y identifier et se sentira moins isolé ». 

Le livre jeunesse aborde également le thème de la conception. « Pour expliquer à ma fille la naissance de son petit frère, nous avons utilisé Le Mystère des graines à bébé (8) ; il ne parle pas spécifiquement de la PMA, mais nous avons raconté notre histoire à partir de ce support visuel », explique Stéphanie. Pour Carole, « l’avantage avec les histoires, c’est que les messages passent plus facilement, car tous les enfants aiment qu’on leur lise des histoires ». Dans le conte Le Fils des géants (9), rien n’est dit, mais tout laisse à penser que les deux géants qui élèvent leur fils adoptif forment un couple… « Les livres favorisent l’imagination des enfants », souligne Constance. 

Le pouvoir des livres a cependant ses limites… « Mes filles sont habituées aux livres inclusifs, mais l’influence de la société n’est pas facile à contrer. Alors que je lisais un album à l’une d’elles, elle m’a demandé d’un air interrogateur : “Une fille avec une fille ?”, et je lui ai rappelé d’autres histoires qu’on avait lues et lui ai parlé des personnes dans notre entourage qui étaient en couple… Elle m’a répondu : “Ah oui !” », raconte Gabriel Lucas. Le livre ne fait pas tout, la discussion avec les parents reste essentielle. « L’environnement de l’enfant, ses enseignants, ses proches auront de l’influence pour qu’il sache raconter son histoire », confirme le Dr Fond. 

Pour Laurence Faron, « le livre est lu par un adulte qu’on aime ou respecte, une personne médiatrice de confiance. Même une fois qu’on sait lire, le livre garde une sacralité ; c’est écrit, donc vrai. Le livre dit la norme, d’où l’importance que les enfants voient d’autres façons de vivre, d’aimer, de “faire famille”. Les livres jeunesse doivent refléter le monde tel qu’il est et tel qu’on le voudrait ; et il n’y a pas qu’un seul type de monde… » 

Un outil pédagogique 

« Le livre entre partout, dans les bibliothèques, les écoles… Tous les enfants écoutent des histoires racontées par leur enseignant », souligne Gabriel Lucas. Avec ses élèves, Justin utilise des histoires mettant en scène des familles homoparentales : « Avec les CP-CE1, je lis par exemple Je ne suis pas une fille à papa (10) pour travailler la compréhension. En maternelle, j’ai choisi l’album Heu-reux (11), le récit d’un prince qui décide de se marier avec son copain. Je vais également leur lire Camille veut une nouvelle famille  pour montrer la pluralité. » 

« Si, dès leur plus jeune âge, tous les enfants lisent des histoires qui banalisent les schémas familiaux homoparentaux, ceux dont les parents sont homosexuels ne se sentiront pas exclus et ne seront plus pointés du doigt », explique Carole Jaillot, qui espère que le développement de cette littérature inclusive « permettra de lutter contre l’homophobie ». 

Princesse Pimprenelle se marie12, Jérôme par cœur (13), Boum boum et autres petits et grands bruits de la vie (14)… D’autres livres jeunesse montrant des personnages LGBT+, qui découvrent souvent leurs sentiments, œuvrent à une société plus inclusive. Selon Justin, tous ces livres « créent un imaginaire pour les enfants, leur ouvrent un champ des possibles pour plus tard […]. Ils les équipent pour la vie. L’école doit montrer aux enfants que la société est plurielle ». 


  1. Yann Walcker et Mylène Rigaudie (Auzou, 2013).
  2.  Bernadette Green et Anna Zobel (Talents Hauts, 2021).
  3.  Caroline Fournier et Elsa Kedadouche (On ne compte pas pour du beurre, 2021).
  4. Anna-Victoria Val et Ninou (2019).
  5.  Béatrice Boutignon (Le Baron perché, 2014, nouvelle édition).
  6.  Latifa Alaoui Margio et Stéphane Poulin (L’Atelier du poisson soluble, 2002, deuxième édition).
  7.  Julie Salzmann et annejulie (Talents Hauts, 2006).
  8.  Serge Tisseron et Aurélie Guillerey (Albin Michel Jeunesse, 2014).
  9. Gaël Aymon et Lucie Rioland (Talents Hauts-Amnesty International, 2013).
  10. Christophe Honoré et Antoine Guilloppé (Thierry Magnier, 1998).
  11.  Christian Voltz (Rouergue, 2016).
  12. Brigitte Minne et Trui Chielens (CotCotCot Éditions, 2020).
  13. Thomas Scotto et Olivier Tallec (Actes Sud Junior, 2015).
  14.  Catherine Latteux et Mam’zelle Roüge (Pourpenser, 2018).

Pour aller plus loin 

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