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mardi 3 décembre 2024
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Le Chardon, un magasin bio solidaire dans le Perche

Première boutique bio au sein du parc naturel régional du Perche, Le Chardon a vu le jour en 2019 à Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir). Si l’alimentation durable est au cœur du projet, la solidarité et le lien social sont des atouts indéniables pour les acteurs locaux. Récit d’une création inspirante.

« Je viens ici parce que j’ai envie de devenir centenaire ! », plaisante avec conviction Jean-Louis, qui tient un panier rempli de fruits et légumes bio. Ce matin-là, le sexagénaire déambule joyeusement dans les rayons du Chardon. Habitué des lieux pour faire ses courses, le retraité n’est pas peu fier d’être un fidèle soutien de l’unique magasin de producteurs bio et locaux du parc naturel régional du Perche.

« Le Chardon n’est pas uniquement un magasin mais aussi une extension de toutes nos fermes »

Né d’une aventure collective, d’un rêve qui a germé au départ dans l’esprit d’Emmanuel Godinot et de Sarah Gilsoul, jeunes maraîchers installés dans les environs, Le Chardon ne cesse d’attirer les chalands. Même en ce samedi matin, les clients défilent dans le magasin comme s’il était le prolongement du marché animé installé sur la place qui lui fait face. « Le Chardon n’est pas uniquement un magasin mais aussi une extension de toutes nos fermes », revendique Julie Graux, paysanne-boulangère.

Fruits, légumes, fromages, jus, œufs, viandes, pains, pâtes, miels, plantes aromatiques, etc. Tous les produits sont issus de vingt-cinq fermes en agriculture biologique, dans un rayon de 80 kilomètres maximum. « Nous sommes partis du constat qu’il n’existait pas de lieu regroupant les fermes bio du territoire, alors que nous faisions tous partie du Collectif percheron des producteurs fermiers, qui livre à Paris. Nous trouvions dommage qu’il n’y ait aucun accès local à ce dispositif et que les gens soient obligés de courir d’un marché et d’une ferme à l’autre », explique Sarah.

« Étant donné que beaucoup de personnes fréquentent le marché chaque samedi, nous nous sommes dit que l’ouverture d’un magasin en semaine avec un guichet commun serait utile pour tous », ajoute Emmanuel, son compagnon. D’autant que « nous formions déjà un réseau informel de producteurs et de paysans bio qui se rendaient souvent des services. Nous nous prêtons des machines, nous faisons circuler nos récup de production, etc. Cette solidarité s’est faite naturellement parce que nous partageons les mêmes sensibilités », renchérit Julie.

En intelligence collective

Au printemps 2018, sept fermes bio se regroupent pour réfléchir au projet avant de faire appel au réseau InPACT (Initiatives pour une agriculture citoyenne et territoriale) pour les accompagner dans la mise en œuvre. Grâce à un suivi qualitatif et un engagement mensuel d’une demi-journée par semaine, les producteurs parviennent à ouvrir leur magasin dès septembre 2019. « Nous nous sommes tous mis d’accord sur le cahier des charges et nous avons défini nos valeurs : produire une alimentation saine, durable et de qualité, encourager l’équité et la solidarité entre les producteurs et les productrices d’un même territoire, générer un dynamisme économique local, tisser du lien social… » résume Sarah.

Le Chardon affiche clairement ses ambitions. Parce que le magasin fonctionne en dépôt-vente associatif, chaque producteur apporte lui-même ses produits, et en assume la responsabilité et les pertes éventuelles. « Le magasin prend une petite commission sur les ventes uniquement pour assurer ses charges de fonctionnement. La somme varie en fonction du statut : 10 % pour les gérants-associés qui s’impliquent le plus en temps de permanence, la gestion, etc. ; 20 % pour ceux qui s’investissent moins et ne participent pas à la gouvernance ; 30 % pour les rachats-ventes des quelques artisans ou producteurs spécifiques, comme c’est le cas pour le vin qui est élaboré au-delà des 80 kilomètres du périmètre défini. Si, en fin d’année, des bénéfices sont générés, ils sont redistribués aux producteurs », détaille Sarah, coordinatrice et animatrice de l’association, qui est l’une des deux salariées travaillant vingt-cinq heures par semaine. Fort de cette émulation collective, Le Charbon a réussi à regrouper les ventes de quarante-cinq producteurs et artisans, avec différents niveaux d’engagement.

« Notre objectif est d’être le plus autonomes possible à l’échelle du territoire tout en encourageant une autre manière de consommer »

Ouvert deux jours et demi par semaine pour l’instant, Le Chardon a généré environ 599 000 euros de chiffre d’affaires en 2020 ; 70 % des recettes étant issues des fermes associées. « Le magasin représente de 15 à 20 % de nos ventes. C’est un vrai plus », précise Erik Lefrançois, paysan-boulanger en biodynamie avec Julie, qui propose notamment des pains, farines et pâtes au magasin. Éleveuse, Émilie voit aussi dans le projet une aubaine pour alléger son quotidien déjà très occupé par les animaux, notamment ses vaches : « Il serait trop contraignant pour moi de tenir une boutique à la ferme. L’un des avantages du magasin est de se relayer pour mutualiser notre temps de permanence. Pour chaque produit, nous avons deux producteurs. Ainsi, nous ne nous mettons pas en concurrence mais nous associons. Ce choix change tout, puisque nous sommes dans une belle dynamique qui nous fédère autour d’un projet clair pour l’agriculture paysanne. Notre objectif est d’être le plus autonomes possible à l’échelle du territoire tout en encourageant une autre manière de consommer, car le modèle actuel n’est pas soutenable. » Pour cette association soumise à la TVA, « il ne s’agit pas de faire des bénéfices car nous ne voulions pas créer une société. Le modèle est très simple, sans velléités capitalistes ni lourdeurs administratives », tient à souligner Sarah.

Photo : Pascal Quittemelle

Douze fermes adhérentes ont ainsi fait le choix de s’engager dans la gérance avec une gouvernance participative. Un mode de fonctionnement arrêté dès la conception du projet pour répondre à une forme d’intelligence collective qui ne laisse personne en désaccord. « Cette dernière ne se fait pas par vote à main levée, mais par consentement car nous ne nous sentions pas à l’aise avec le vote. Le consentement implique que personne n’ait d’objection. Et si c’est le cas, nous énonçons une nouvelle proposition et nous discutons », explique Sarah. Pour Emmanuel, cette façon de procéder « rend les prises de décision parfois longues, mais fait partie du petit challenge au service du collectif ». Les associés débattent ainsi de sujets aussi pragmatiques que philosophiques : du choix d’un fournisseur au taux de commission, en passant par l’adoption de l’écriture inclusive sur les panneaux du magasin.

Nourrir les citoyens

Dans les rayons, le client découvre le visage souriant de chaque producteur à travers une belle série de portraits où chacun pose dans son environnement. Un panneau dévoile leur nom, leur production et la ferme locale où ils exercent. Remettre de l’humain et un métier derrière chaque aliment permet ici de prendre davantage conscience de l’investissement des paysans pour nourrir les citoyens. Une reconnaissance envers ces derniers qui s’affiche, elle aussi, dans la boutique sous la forme d’un message de remerciements à tous les participants, nom par nom, qui ont contribué au crowdfunding – 25 000 euros ont été récoltés – pour aider à l’ouverture du magasin.

Dans une démarche d’économie sociale et solidaire, Le Chardon a également bénéficié d’un soutien de la mairie de Nogent-le-Rotrou qui a financé les premiers mois de location du local commercial situé en plein centre-ville. Ce jour-là, justement, dans la file d’attente de la caisse, nous rencontrons Annie, une ancienne élue municipale qui a voté pour le projet : « Il était important d’encourager et de valoriser les jeunes agriculteurs qui sont dans une démarche d’évolution par rapport à leur production et dans une recherche d’équilibre entre leur activité et leur environnement. C’est très innovant. »

« Je sais ce que je mange »

Côté clients, la satisfaction est quasi unanime : les produits bio et locaux sont la principale motivation pour venir faire ses courses au Chardon. Si certains sont des habitués des lieux, Sylvie et son jeune fils fréquentent le magasin depuis trois semaines seulement. « J’ai décidé d’acheter désormais tous mes fruits et légumes ici. Le supermarché, c’est terminé ! On connaît la provenance des aliments, qui n’ont pas traversé la planète, et je sais ce que je mange. J’ai davantage confiance. Je préfère payer un peu plus cher et avoir des bons produits. Pour mes enfants, le choix est vite fait ! » argumente la jeune maman avec un grand sourire.

Cliente depuis l’ouverture du magasin, Delphine cultive quant à elle son propre potager et vient compléter ses produits au Chardon pour soutenir l’initiative. Bernard, la soixantaine, est aussi un client fidèle, convaincu qu’il « faut prendre soin de la Terre, de la nature et des Hommes. Bien se nourrir pour être en meilleure santé. » En espérant « qu’un jour le bio sera à la portée de tous ». « Je suis un privilégié. Mais je suis sûr que, si je n’avais pas les moyens, je ferais quand même attention pour consommer bio, en n’achetant ni conserves ni produits industriels. Cela reviendrait presque au même. Car, lorsque je vois des Caddies remplis dans les supermarchés, c’est la quantité au détriment de la qualité. Il y a un effort à faire », observe-t-il.

Travail de sensibilisation

Conscient que le prix peut être un frein pour certains clients, Emmanuel porte un regard politique sur les raisons des tarifs un peu plus élevés dans le magasin : « Il reste beaucoup de pédagogie à faire sur le prix du bio, pour expliquer pourquoi ce n’est pas le bio qui est cher mais le conventionnel qui est artificiellement baissé. Les aides de la PAC [politique agricole commune], premier budget de l’Europe avec 58 milliards d’euros, ne sont reversées presque que sur le conventionnel. Grâce à elles, certains agriculteurs trop peu rémunérés sur le prix d’achat de leurs produits peuvent vivre. Or on paie aussi les produits dans nos impôts ! Donc, au bout du compte, on paie aussi plus cher. » « La vente directe permet malgré tout de proposer des produits à prix abordable, pas beaucoup plus chers. L’avantage du magasin est qu’il y a toujours un producteur présent. Si le client a besoin d’un conseil, nous sommes là », ajoute Denis Besson, maraîcher, pendant qu’il échange avec Bernard, qui acquiesce et relève le côté « inhumain des grandes surfaces ».

Dans les valeurs qui animent Le Chardon, le lien social tient une place importante aux yeux des producteurs. « Même si nous sommes une association à vocation commerciale, notre objectif est aussi pédagogique. Il est important pour nous de sensibiliser sur nos thématiques : l’agriculture paysanne, l’alimentation durable et locale. Nous avons par exemple été sollicités pour intervenir dans les écoles et des lycées agricoles viennent nous rendre visite. Nous travaillons également avec d’autres associations de la ville sur des projets d’ateliers de cuisine et d’accompagnement social et culturel auprès de familles défavorisées », raconte Sarah. Des projections de documentaires ou encore la participation à la fête de la ressourcerie sont autant d’initiatives dans lesquelles les membres du Chardon s’impliquent.

« Aujourd’hui, nous formons presque une famille »

Sarah, Emmanuel, Julie, Émilie, Mathieu… Nombreux sont ceux qui exerçaient une autre profession avant de travailler dans leur ferme : étudiant en sociologie, musicien, illustratrice, traductrice, informaticien, animateur, etc. Tous étaient en quête de sens et ont souhaité s’engager au quotidien aux côtés des plus anciens pour participer au renouveau de l’agriculture paysanne. Ensemble, ils ont fait le choix de la convergence. « Aujourd’hui, nous formons presque une famille, nous sommes une bande de potes. C’est un super projet, personne n’a de regret. L’idée à présent est de faire prospérer le magasin tout en gardant une taille humaine, de façon qu’il puisse faire vivre tout le monde », conclut Denis.

Pour aller plus loin :

• www.lechardon-asso.fr

• www.terredenvies.fr


Lire aussi : 

Transformer sa ville avec les vergers partagés
Marie Godard, comptable devenue paysanne-boulangère

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