Plus robuste, plus léger, plus confortable… Le bambou aurait toutes les qualités requises pour remplacer l’acier ou l’aluminium sur les cadres de nos vélos. Depuis quelques années, des artisans mettent à profit ce matériau naturel et produit en France, pour fabriquer des vélos sur-mesure. Si les prix restent élevés, ces professionnels tentent de réduire les coûts, en proposant par exemple aux clients de concevoir eux-mêmes leur petite reine.
Au départ, Louis Segré voulait simplement « s’amuser » à construire un vélo. Il a alors décidé de fabriquer un cadre en bambou, une matière qu’il pouvait récolter à même son jardin. « Et j’en ai fait un deuxième, un troisième, un quatrième… J’ai vite compris l’intérêt de ce matériau, solide et léger », relate cet ancien navigateur. Quelques années plus tard, en janvier 2021, il lance sa propre marque de vélos en bambou sur-mesure, Gamory Cycles. Depuis, treize spécimens sont déjà sortis de son atelier, niché à Saint-Maurice-des Lions, en Charente-Limousine.
Louis Segré n’est pas le seul à se positionner sur ce marché en plein essor. A Lyon, Félix Hubert a également créé sa propre boîte de vélos en bambou, Cyclik, en 2017. Cet ancien coureur cycliste de haut niveau a fait pendant des années des compétitions sur des deux roues en carbone, ce qui lui causait de nombreuses douleurs dorsales. Après avoir fini ses études, il est remonté en selle, et a commencé à chercher des matériaux plus confortables : « J’ai découvert les propriétés mécaniques intéressantes du bambou, qui absorbe davantage les vibrations lors des courses. Sans rien enlever au dynamisme du vélo », se réjouit Félix Hubert.
Un cadre 100% Made in France
Ce passionné de la petite reine a aussi été séduit par les atouts écologiques de ce matériau. « Je trouve fabuleux que la nature nous fournisse ces tubes de bambou », témoigne-t-il. Comme d’autres fabricants, Cyclik utilise pour le cadre une résine bio-sourcée et des fibres de lin produites en France pour lier les tubes de bambou. Le lin, une plante locale peu gourmande en eau et en intrants, tout comme le bambou. L’entreprise lyonnaise, qui compte quatre salariés, s’approvisionne dans une bambouseraie près de Nîmes et achète du lin cultivé en Normandie. « J’apprécie avoir une relation directe avec les fournisseurs. Et on voit bien aujourd’hui que c’est de plus en plus important de s’approvisionner localement face aux problématiques de pénuries au niveau mondial », explique le fondateur de Cyclik.
Selon ce dernier, l’utilisation de ressources naturelles locales permettrait à son entreprise de réduire de 90% l’émission de CO2 de la production d’un cadre, en comparant avec un cadre conçu en carbone en Asie. Et en prenant en compte le mix énergétique du pays, le type d’électricité utilisé, et les transports. Pour les périphéries (roues, freins, pédales, etc.), Cyclik privilégie les pièces de fabrication française « de qualité ».
Tout comme Louis Segré. L’ancien navigateur reconnaît qu’il n’est pas possible de fabriquer des vélos 100% français, mais il s’engage avec Gamory Cycles à « donner la part belle aux produits français ». « Il est important de rappeler aux consommateurs que de petites industries tournent encore sur cette terre historique du vélo », tient à rappeler Louis Segré. Ce dernier aimerait par la suite concevoir des vélos en bambou électriques avec l’équipementier français Valéo.
« Fabriquer que des vélos vendus »
En proposant ses vélos en bambou sur demande, personnalisables, Thomas Mazurié entend quant à lui maîtriser sa chaîne de production et éviter tout gaspillage. Son leitmotiv : « Fabriquer que des vélos vendus ». Ce Brestois, qui a lancé Breizh Bamboo Bike en 2019 dans la capitale du Finistère, regrette en effet que le monde du vélo soit très commercial : « On achète et on revend des produits, sans chercher à adapter le vélo à la personne, sans prendre en compte les valeurs écologiques », fustige le jeune homme, avant d’illustrer son propos : « On me demande souvent si le bambou est assez robuste, si le cadre ne va pas casser au bout d’un certain temps. Mais comment peut-on encore fabriquer des vélos dont le cadre se casse ? », dénonce-t-il en pointant du doigt les vélos conçus en fibres de carbone.
Thomas Mazurié le confesse. Il a une affinité particulière avec le bambou. Du bambou qu’il récolte lui-même dans un jardin exotique à Saint-Renan (10 à 15 cannes par an), à quelques kilomètres de Brest, et qu’il fait ensuite sécher dans son garage. Pour façonner un cadre à partir de ce bois, et assembler le vélo, il compte environ une cinquantaine d’heures. Depuis l’ouverture de son atelier, où il organise également des stages de fabrication, il a vendu une quinzaine de vélos en bambou. Pour ce passionné, qui développe actuellement des prototypes (tandems, vélos couchés, etc.), non à vocation commerciale, cette activité n’est pas suffisante pour en vivre exclusivement. Tout comme Louis Segré, qui travaille dans le domaine de l’ingénierie en parallèle, Thomas Mazurié ne vit pas de la fabrication de ses vélos, et gère à côté un magasin de réparation de cycles.
Des prix encore élevés
Pour acheter un vélo dont le cadre est en bambou, il faut compter environ 3 500 euros. Un prix qui réserve ces deux roues à un certain public. Pour le fondateur de Cyclik, qui propose également des vélos sur mesure, ces produits s’adressent principalement à des cyclo-sportifs, des personnes qui pratiquent régulièrement du vélo et qui achètent déjà des deux-roues dans ces prix et cette gamme-là.
Thomas Mazurié, qui ajoute de l’importance à l’accessibilité de ses fabrications, présente différents composants à ses clients selon leurs besoins et leur porte-monnaie. Quitte à faire un compromis sur le « Made in France ». « En France, on a des produits qui ont le même prix qu’ailleurs, et d’autres qui sont beaucoup plus onéreux. Je donne la priorité aux composants français abordables, et je propose les plus chers seulement en options », explique le gérant de Breizh Bamboo Bike. Ses vélos sont disponibles à partir de 2 300 euros.
Aussi, il organise des stages dans son atelier qui permettent aux bricoleurs, amateurs ou chevronnés, de concevoir leur propre cadre en bambou et d’assembler leur cycle, en cinq jours (1 000 euros le stage de cinq jours). Avec cette fabrication personnelle, les clients économisent 300 à 500 euros, s’ils achètent les pièces à Thomas Mazurié. Mais ils peuvent également apporter leurs propres pièces issues d’un ancien vélo, ce qui réduira encore les coûts.
Développement de modèles en série
Le Brestois reconnaît que le prix est difficilement plus réductible. Cette valeur s’explique par le travail artisanal, et l’absence d’économies d’échelle dans son cas. « Si je faisais des modèles en série, avec trois tailles standardisées par exemple, le coût de fabrication diminuerait. Mais je suis tout seul et je n’ai pas le temps de porter un projet de cette envergure », confie Thomas Mazurié. Dans ses desseins à court terme, il souhaiterait déjà fabriquer des fourches en bambou. « Je peux les fabriquer d’avance, sur des temps morts en hiver. Mais je dois ensuite les tester sur 500, 1 000 kilomètres. C’est très empirique », précise-t-il avec enthousiasme.
Cyclik a fait le pari des modèles en série. Leur objectif à long terme : démocratiser le végétal dans les modes de transports doux. Pour ce faire, ils ont développé deux activités parallèles : d’une part, la fabrication artisanale des vélos plutôt sportifs, et d’autre part, la fabrication à l’échelle plus industrielle de vélos électriques en série, le Relief. Ce deux-roues en bambou est toujours conçu dans leur atelier à Lyon, mais son cadre est réalisé en cinq heures et non plus en une quarantaine d’heures. Il sera commercialisé au prix de 3 500 euros dès avril prochain. Cyclik, qui écoule une trentaine de vélos par an, espère vendre une centaine de Reliefs dans des magasins partenaires pour 2022.
Pour en savoir plus :
–https://breizhbamboo.bike/
–https://cyclik.fr/
–https://gamory-cycles.fr/
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