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vendredi 22 novembre 2024
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Paysannerie féministe : des groupes de femmes transforment leur modèle agricole

Pour lutter contre les stéréotypes de genre sur les exploitations agricoles, des éleveuses se rassemblent et se forment en non-mixité choisie. Un rapport des CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) pointe les changements apportés par ces groupes dans le fonctionnement des exploitations en polyculture élevage.

«Nous, femmes rurales du réseau des CIVAM, affirmons jouer un rôle majeur de transformation du modèle agricole vers plus d’agroécologie et plus de diversification des activités. », introduit le plaidoyer porté notamment par les Elles de l’Adage, un collectif composé d’agricultrices  bretilliennes  du réseau des CIVAM. Dirigées par des agriculteurs depuis 60 ans, 130 associations étalées dans tout l’hexagone composent ce réseau qui travaille de manière collective à la transition agroécologique de leur territoire.

Marie-Édith Macé est cheffe d’exploitation en Ille-et-Vilaine et l’une des fondatrices des Elles de l’Adage. ©Adage 35 CIVAM

« Au départ Marie-Édith Macé, la fondatrice du collectif Les Elles de l’Adage, était réticente à créer un groupe non-mixte, explique Anaïs Fourest, animatrice agricole au CIVAM d’Ille-et-Vilaine. Bien qu’elles soient nombreuses dans les fermes, Marie-Édith Macé était la seule femme à siéger au conseil. Sur le modèle d’un collectif de paysannes de Loire-Atlantique, on lui a proposé de créer un groupe composé exclusivement de femmes. Elle a bien voulu tenter l’expérience et depuis elle trouve beaucoup d’intérêt à proposer un lieu d’expression et de formation en non-mixité choisie où l’auto-censure n’est pas de mise. » Depuis 2007, une quinzaine de groupes portant sur des problématiques liées au genre ont été créés au sein du réseau.

Les agricultrices des Elles de l’Adage questionnent la répartition genrée des tâches à la ferme. ©Adage 35 CIVAM

« Quel regard porte-t-on sur ton activité agricole ?  Est-il facile de concilier vie pro et vie perso ? Pourquoi ne fais-tu pas certaines tâches ? » Telles sont les questions que se sont posées les éleveuses bretilliennes à l’instar des paysannes de la Drôme et de l’Ardèche présentes dans le film Je, Tu, Elles… Femmes en Agriculture réalisé par Aurélia Etienne. « Les discussions en non-mixité choisie ont permis d’identifier le caractère systémique des attributions genrées des tâches », précise Anaïs Fourest. Dans ce reportage de la fondation Good Planet Amande, agricultrice et membre du collectif, abonde en ce sens, « les femmes sont souvent cachées dans les bureaux, à la comptabilité et à l’administration ou au laboratoire pour la confection des fromages, rarement sur le tracteur et aux bêtes ».

Source : Adage35 2019 – Infographie : Simon Renou

Le sexisme ordinaire criant dans le monde agricole

« Il est où le patron ? » Céline Berthier, éleveuse de chèvres et cheffe d’exploitation en Drôme Ardèche a supporté cette question durant des années. Pied-de-nez, Il est où le patron ? est aussi le nom de la bande dessinée qu’elle ont co-écrit avec la dessinatrice Maud Bénézit et le collectif d’éleveuses drômois-briançonnais Les paysannes en polaire. Elles rapportent les remarques sexistes qu’elles ont subies lors de leur installation : « Peut-être auriez-vous un conjoint pour qu’il s’occupe des tâches les plus physiques ? » ou encore : « Il faut des couilles pour investir ! ». Les répliques témoignent de la reproduction des rapports genrés lors de la transmission familiale de la ferme et, plus inquiétant, des situations de harcèlement lors des stages.

Il est où le patron ? Chroniques paysannes, par Maud Bénézit et Les paysannes en polaire ©Marabout édition 2021

Le machisme présent dans le milieu agricole s’additionne aux contraintes sociales des territoires ruraux. « Nous pouvons y déplorer les difficultés criantes d’accès aux services publics, confirme le CIVAM dans son plaidoyer, notamment de santé, de la petite enfance, de transport… Ces manques peuvent alourdir le quotidien mais sont compensés par un surinvestissement des femmes dans ces domaines. » En plus de ne pas être associé aux prises de décisions, il est plus difficile pour les femmes d’approcher les machines agricoles.

L’association pointe des raisons ergonomiques (matériel non adapté), de socialisation et de formation (l’apprentissage informel n’inclut pas les femmes) et de sexisme ordinaire (sourires en coin et autres blagues sur la conduite des femmes). « Toutes ces raisons génèrent des postures d’autocensure liées à la faible légitimité actuelle que nous avons dans le domaine du machinisme ou des métiers d’extérieur », abondent-elles. « Nous organisons des stages de formation en non-mixité choisie pour éviter ces phénomènes de délégitimation et pour inventer des outils adaptés aux femmes », explique Anais Fourest.

Il est où le patron ? Chroniques paysannes, par Maud Bénézit et Les paysannes en polaire ©Marabout édition 2021

Changements de comportements

Flora Dupuy et Raphaëlle Biatry sont ingénieures agronomes et ont étudié conjointement l’apport des femmes et des groupes en non-mixité choisie dans les changements vers une transition agroécologique. Elles ont analysé que « les groupes entre paysannes favorisent l’empowerment des agricultrices étudiées », c’est-à-dire leur pouvoir à amorcer le changement. L’agronome Flora Dupuy a fait apparaître que « les réunions créent des espaces ressources de formation, d’exemplarité, de sororité et de libération de la parole ».

Pour Flora Dupuy, les réunions en non-mixité créent des espaces ressources de formation, d’exemplarité, de sororité et de libération de la parole. ©CIVAM44

L’agronome a observé que « le collectif a permis aux agricultrices de mieux s’affirmer et d’oser modifier l’organisation et le rythme de travail ». Raphaëlle Biatry abonde en ce sens : « Pour les femmes, l’injonction à la prise en charge des enfants rend impossible l’exécution des tâches chronophages et éloignées du domicile. Elles doivent donc adapter l’activité si elles veulent une meilleure répartition des rôles. Le temps ainsi libéré bénéficie à tout le monde et permet notamment de développer des liens avec l’extérieur, de se former, de mieux s’occuper du bien-être des associés, de la famille et des animaux. »

« PARCE QU’ON LEUR A ATTRIBUÉ LE TRAVAIL DE CARE, DONNER PLUS DE POUVOIR AUX FEMMES GÉNÈRE DES CHANGEMENTS FAVORABLES POUR L’ÉCOLOGIE ET LE VIVRE ENSEMBLE. »

Flora Dupuy va plus loin. « Les groupes de femmes viennent compenser des manques de compétences et du mal-être lié au patriarcat. Parce qu’on leur a attribué le travail de care, c’est-à-dire de prendre soin des autres, les femmes mettent en place des systèmes résilients au niveau économique, sociétal et écologique. » L’agronome Raphaëlle Biatry explique que « la diversification des activités amorcées par certaines agricultrices peut venir d’un besoin d’autonomie individuelle. Mais cette diversité apporte à l’exploitation une résilience plus importante. »

Les Elles de l’Adage se forment à la soudure et confectionnent des outils plus ergonomiques. ©Adage 35 CIVAM

Le collectif des Elles de l’Adage met en place ensemble de nouvelles pratiques écologiques. La spécialiste explique que « les agricultrices ont besoin de mettre en adéquation leurs convictions et leurs pratiques. Souvent engagées politiquement, elles donnent l’exemple et jouent la transparence en ouvrant la ferme au public pour pouvoir mettre en place des circuits courts comme le marché à la ferme. Revers de la médaille, cette valeur ajoutée à l’activité initialement présente sur la ferme s’accompagne d’une charge mentale supplémentaire à celle déjà portée dans la sphère domestique. »

Il reste encore du chemin à parcourir. Sixtine Prioux, coordinatrice au réseau CIVAM confie que « tout ce travail de dé-genrer l’activité agricole peut être balayé lors de l’installation de nouveaux ruraux qui sous prétexte de prôner un retour à la terre, reviennent à des valeurs traditionnalistes et malheureusement patriarcales ». Le chantier n’est donc pas terminé…


Pour en savoir plus :

Les Elles de l’Adage

Progression de l’égalité femmes-hommes en agriculture


Pour aller plus loin :

Jeanne Burgart Goutal l’écofeminisme est un nouvel humanisme

L’agroécologie

Parité femme-homme : la Suède montre l’exemple

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