L’acidification des océans est l’un des enjeux environnementaux les plus critiques de notre époque. Ce phénomène découle de l’absorption croissante du dioxyde de carbone (CO2) par les océans, un processus qui modifie leur chimie et perturbe les écosystèmes marins. Ce processus, parfois qualifié de « l’autre problème du CO2 », est en grande partie passé sous silence par rapport aux préoccupations plus immédiates liées au réchauffement climatique. Pourtant, l’acidification des océans pourrait avoir des répercussions tout aussi graves pour l’avenir de notre planète. Le franchissement de cette 7e des 9 limites planétaires identifiées par les scientifiques souligne l’urgence d’agir face à ce problème mondial.
Comprendre l’acidification des océans
Les océans jouent un rôle central dans la régulation du climat en absorbant environ un tiers des émissions de CO2 résultant des activités humaines. Cependant, ce processus n’est pas sans conséquences. Lorsqu’il se dissout dans l’eau, le CO2 forme de l’acide carbonique, ce qui réduit le pH de l’eau et augmente son acidité. Ce changement chimique est appelé acidification des océans.
Depuis le début de la révolution industrielle, le pH des océans a diminué d’environ 0,1 unité, ce qui peut sembler négligeable, mais cela représente une augmentation de 30 % de l’acidité. À l’avenir, si les tendances actuelles de l’émission de CO2 se poursuivent, les océans pourraient connaître une augmentation de leur acidité de 100 % d’ici 2100. Ces changements rapides sont inédits en termes de vitesse et d’ampleur.
Les impacts sur les écosystèmes marins
Les effets de l’acidification des océans sont multiples et affectent principalement les organismes marins qui dépendent du carbonate de calcium pour former leurs coquilles et squelettes, tels que les mollusques, les coraux et certains types de plancton. À mesure que l’acidité augmente, il devient plus difficile pour ces organismes de construire et de maintenir leurs structures, ce qui les rend plus vulnérables à l’érosion.
L’un des écosystèmes les plus touchés par l’acidification des océans est celui des récifs coralliens. Les coraux, qui sont essentiels pour la biodiversité marine, sont particulièrement sensibles aux changements de pH. La destruction des récifs coralliens ne menace pas seulement les espèces qui en dépendent, mais aussi les moyens de subsistance des communautés humaines qui profitent de la pêche et du tourisme liés aux récifs.
En outre, l’acidification affecte également le plancton, un élément clé de la chaîne alimentaire marine. Les coquilles du zooplancton, qui constituent une source importante de nourriture pour de nombreuses espèces de poissons, deviennent plus fragiles, ce qui pourrait perturber l’ensemble des réseaux trophiques marins.
Conséquences sur la chaîne alimentaire et l’économie humaine
Les répercussions de l’acidification des océans ne se limitent pas aux écosystèmes marins. Elles ont également des implications pour l’économie humaine. Les populations qui dépendent de la pêche pour leur alimentation et leurs moyens de subsistance pourraient être gravement touchées. Les mollusques, comme les huîtres et les moules, sont particulièrement vulnérables, et une baisse de leur population pourrait entraîner une réduction significative des rendements de la pêche.
Les secteurs de l’aquaculture, qui produisent une grande partie des fruits de mer consommés dans le monde, pourraient également subir des pertes économiques importantes en raison de la diminution de la productivité des mollusques. L’acidification des océans représente donc non seulement une menace écologique, mais aussi une menace socio-économique majeure pour de nombreuses régions du monde.
L’acidification des océans, qualifiée de « l’autre problème du CO2 », menace non seulement les écosystèmes marins, mais aussi la stabilité écologique globale.
Une des 9 limites planétaires
Le concept des « limites planétaires » a été introduit en 2009 par un groupe de scientifiques dirigé par Johan Rockström du Stockholm Resilience Centre. Ces limites représentent des seuils physiques que l’humanité ne doit pas franchir si elle veut éviter des changements environnementaux dangereux. Ces limites couvrent des domaines aussi variés que le changement climatique, la perte de biodiversité, la déforestation et les cycles biogéochimiques (comme ceux du phosphore et de l’azote).
L’acidification des océans est l’une de ces neuf limites. Alors que certaines de ces limites, comme le changement climatique et la perte de biodiversité, sont déjà largement franchies, l’acidification des océans représente une menace imminente. Le franchissement de cette limite signale que nous entrons dans une zone de risque, où des changements brusques et irréversibles pourraient se produire.
Les scientifiques avertissent qu’en dépassant cette limite, nous risquons de compromettre la stabilité de l’ensemble du système terrestre. L’acidification des océans n’est pas un phénomène isolé, mais fait partie d’un ensemble complexe d’interactions entre les systèmes climatiques, écologiques et humains. La poursuite de l’inaction pourrait accélérer ces dynamiques et rendre la planète moins habitable pour l’humanité.
Les efforts pour limiter l’acidification
Pour réduire l’acidification des océans, il est impératif de diminuer les émissions mondiales de CO2. La transition vers des sources d’énergie renouvelable, la promotion de l’efficacité énergétique et la réduction de la consommation de combustibles fossiles sont des mesures essentielles pour ralentir le processus. Cependant, même avec des efforts significatifs pour réduire les émissions, l’acidification des océans continuera probablement d’augmenter pendant plusieurs décennies, en raison de l’inertie du système climatique.
Des efforts sont également en cours pour protéger les écosystèmes marins vulnérables. La création d’aires marines protégées, la restauration des récifs coralliens et l’amélioration des pratiques de gestion des pêcheries peuvent aider à renforcer la résilience des océans face à l’acidification. Des recherches sont également menées pour mieux comprendre les impacts de l’acidification sur les différents écosystèmes marins et pour développer des stratégies d’adaptation.
Un problème mondial nécessitant une réponse mondiale
L’acidification des océans est un problème mondial qui ne connaît pas de frontières. Bien que certaines régions soient plus vulnérables que d’autres, les impacts se feront sentir à l’échelle planétaire. Les océans couvrent environ 70 % de la surface de la Terre et jouent un rôle crucial dans la régulation du climat et de la biodiversité. Par conséquent, protéger les océans est essentiel pour maintenir un équilibre écologique global.
Des accords internationaux, comme l’Accord de Paris sur le climat, représentent des étapes importantes vers la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cependant, l’acidification des océans n’a pas encore reçu l’attention qu’elle mérite dans les discussions internationales. Il est nécessaire de renforcer les engagements mondiaux pour inclure explicitement ce problème et d’accélérer les efforts pour réduire les émissions de CO2.
Conclusion : un avenir incertain
La Terre est confrontée à des défis environnementaux sans précédent, et l’acidification des océans en fait partie. Le franchissement imminent de la 7e limite planétaire montre que nous sommes proches d’atteindre un point de non-retour dans la perturbation de notre environnement global. L’inaction face à cette crise pourrait entraîner des conséquences écologiques et socio-économiques dévastatrices, non seulement pour les océans, mais aussi pour l’ensemble de la planète.
Si les décideurs politiques, les industries et les citoyens du monde entier ne prennent pas des mesures immédiates pour réduire les émissions de CO2 et protéger les écosystèmes marins, l’acidification des océans pourrait devenir une des principales causes de déstabilisation écologique dans les décennies à venir. Cependant, il existe encore des moyens d’atténuer ce phénomène et d’éviter un avenir encore plus sombre. La science nous a donné les outils pour comprendre le problème ; il appartient maintenant à l’humanité de réagir avant qu’il ne soit trop tard.
Source : Potsdam Institute for climate impact research
https://www.pik-potsdam.de/en