Claude Paul Degryse, qui a cotoyé des chamanes à Taiwan, en Europe centrale, en Finlande, en Arizona et au Mexique, enseigne la connaissance et la pratique du chamanisme toltèque depuis 1998. Il a publié sept ouvrages, et livre à Kaizen une tribune sur le sujet, côté subversion.
Le mot « subversif » signifie révolté, contestataire, insoumis. La subversion désigne une contestation de nature sociale et politique. Dans le contexte social, elle peut être intellectuelle en rejetant les principes de bienséance, les coutumes et les lois de la société. Mais elle peut aussi être physique et violente et, dans ce dernier cas, elle n’aboutit pratiquement jamais à une amélioration de la vie sociale parce qu’elle met en jeu le principe « action-réaction » que l’on retrouve dans tous les phénomènes extrémistes.
Mais il existe un troisième niveau de subversion, le niveau métaphysique et spirituel. Le Christ était un subversif de ce genre. Ce type de subversion exceptionnel intervient quand une civilisation est sur le point de disparaître ou de basculer dans une ère nouvelle.
Dans ces circonstances, les solutions socio-politiques ne sont plus de mise. Il faut agir sur les paradigmes fondamentaux de la civilisation concernée. Sans dramatiser à l’excès, il se pourrait bien que ce soit le cas de la nôtre en ces temps incertains. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait penser, il peut être très exaltant de se trouver à ce genre de carrefour de l’évolution de la Terre plutôt que dans une période « pépère » où aucun problème d’envergure ne suscite la créativité et l’imagination de la société pour qu’elle retrouve un nouvel élan civilisateur, à condition que ses dirigeants soient suffisamment humbles pour reconnaître leurs responsabilités dans les erreurs d’itinéraire du passé.
Tous concernés et tous responsables
Alors ? Une petite poussée de subversion métaphysique serait peut-être bienvenue (sans crucifixion s’il vous plaît, ce n’est plus d’époque) pour réveiller la société et lui faire comprendre que, maintenant, il faut cesser de jouer aux idiots avec des joujoux cent fois plus puissants que la bombe d’Hiroshima et d’empoisonner la Terre-mère et toute l’humanité pour sacrifier au dieu sombre du progrès.
Bref, il est temps de devenir adultes, dirigeants et citoyens, tous concernés et tous responsables.
Voilà un thème de dialogue social qu’il serait utile et même indispensable d’aborder, car il n’est peut-être pas prudent de ne compter que sur les dirigeants de la planète pour avoir la sagesse de cette humilité. Mais encore faudrait-il que ces citoyens sachent dialoguer !
Apprendre à s’écouter les uns les autres
Dialoguer, c’est d’abord écouter, la seule manière de prendre la parole à son tour. Et pour ne pas mettre la charrue avant les bœufs, apprendre à s’écouter les uns les autres semble bien être un premier pas indispensable pour que le dialogue social soit efficace.
Il s’agit là d’une véritable éducation et même de rééducation de base qui pourrait être la forme prise par des cercles d’échanges.
Formateur pendant quinze ans en entreprise où j’enseignais la communication verbale et le management humaniste des hommes, avant de commencer à enseigner le chamanisme, je suis bien au courant de la nécessité de cette base de tout dialogue constructif.
Cette expérience d’enseignement d’un chamanisme « soft » qui passait par une meilleure conscience de soi et une meilleure maîtrise du couple émission-réception dans la relation humaine que j’avais au préalable apprises de mes maîtres chamanes m’a beaucoup servi en retour lorsque je décidai de revenir à mes premières amours.
Énergie, attention et intention
En effet, avant cette carrière de formateur, j’avais consacré dix ans à une pratique intensive et quotidienne du chamanisme mexicain et à des séjours intensifs auprès de chamanes de divers pays. Je quittai donc le monde de la formation en entreprise pour passer à l’enseignement chamanique, c’est-à-dire à l’enseignement des trois concepts et pratiques qui le fondent : l’énergie, l’attention et l’intention.
Dialogue social et chamanisme semblent, a priori, deux domaines assez éloignés. Il faut savoir, en effet, que bien que les chamanes authentiques soient presque toujours des solitaires qui vivent près de la nature donc loin des métropoles grouillantes et bavardes, ils sont plutôt sobres sur le plan verbal mais paradoxalement des experts en vraie communication.
L’énergie étant, en effet, le concept clé qui guide leur conscience, ils savent à quel point l’homme actuel est un grand gaspilleur de l’énergie verbale autant d’ailleurs que de toutes les autres formes d’énergie. Car ne se connaissant pas lui-même, il ne connaît pas non plus les techniques d’une communication sobre et efficace.
Se lancer dans le dialogue social à travers des cercles d’échange sans au préalable enseigner tous les pièges de la communication interpersonnelle qui rendent celle-ci totalement inutile me semblerait donc incohérent.
Les Quatre Accords toltèques
Les Quatre Accords toltèques, de Don Miguel Ruiz qui s’est formé aux mêmes sources que moi-même, donne déjà un échantillon de ces pièges et de la façon de les éviter.
Avant de se lancer dans le dialogue social et les cercles d’échange destinés à une plus grande harmonie sociale, il me paraît donc nécessaire que les gens sachent comment fonctionne cet outil qui sert à dialoguer : la conscience.
Une connaissance très peu répandue dans notre société pour une raison très simple : dès l’école et au bout des plus hautes études, notre système ne forme pas les gens pour qu’ils s’épanouissent et ouvrent leur champ de conscience, mais pour qu’ils deviennent de bons petits serviteurs du techno-économisme, la religion qui nous amène tout droit au suicide collectif.
Voilà pourquoi l’enseignement chamanique, qui peut fonder un dialogue social constructif et est capable d’arrêter cette folie, doit commencer par faire connaître aux citoyens la façon dont fonctionne leur conscience, ce que la science officielle réduit, à tort, au concept de « cerveau ».
Une telle proposition constitue une subversion aussi formidable que pacifique parce qu’elle répond à un besoin urgent qui a toutes les chances d’aboutir.
« Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers tout entier »
En résumant son enseignement à cette phrase inscrite au fronton du temple de Delphes, Socrate a été l’un des sages les plus subversifs de notre civilisation. Tellement subversif qu’on lui conseilla vivement de mourir…
La violence n’empêcha pas que sa sagesse soit parvenue jusqu’à nous pour nous réveiller avant qu’il ne soit trop tard.
Vu les moyens dont disposent les maîtres du monde pour détruire la vie dans les quelques décennies et, compte tenu du fait qu’ils seraient inclus eux-mêmes dans cette apocalypse, nous avons peut-être une chance, en faisant appel à leur ego de survie, de les convaincre de remettre l’humain au centre de la vie sociale. Mais pour cela, nous devons nous-mêmes apprendre, comme le suggère Socrate, à mieux nous connaître.
Soyons des subversifs qui survivent pour que le monde change enfin !
Claude Paul Degryse
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