La litière fermentée serait une possible alternative agroécologique aux intrants de synthèse. Développée en Asie et en Amérique Latine, cette méthode fait tout juste son entrée dans le milieu agricole français. Depuis 2016, au sein de ses jardins et avec des paysans testeurs, l’association Terre & Humanisme a mené plusieurs essais concluants de production de litière forestière qu’elle a renommée « Li-Fo-Fer. »
La forêt serait-elle capable de soigner les sols agricoles ? Si bactéries, levures et champignons pullulent par millions dans les sols forestiers, lorsque cette litière subit un processus de fermentation, ses microorganismes sont démultipliés et seraient capables de régénérer les sols sains. En 2013, Felix Dorian, ingénieur agronome pour l’association Terre & Humanisme, observe à Cuba cette technique au sein du mouvement agroécologique local, et revient en Ardèche avec la recette de la litière forestière. Inédite en France. Rebaptisée Li-Fo-Fer, testée dorénavant dans un milieu plus tempéré, la technique semble s’adapter à différents climats.
« Les microorganismes sont capables de coloniser tous les milieux, y compris les plus extrêmes », rappelle Paula Fernandes, chercheuse au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). Dans le petit jardin pédagogique de Terre & Humanisme, un espace témoin d’expérimentation laisse entrevoir des résultats de la Li-Fo-Fer. Valo Dantinne, jardinier y expérimente la méthode depuis 2015 et constate de nombreux effets : « On a confronté la tomate à plusieurs recettes naturelles tels que des huiles essentielles ou du bicarbonate de soude. C’était avec la Li-Fo-Fer que le fruit mûrissait le mieux ! » Autre expérience sur deux rangs de salade : « 26 % de poids en plus pour les salades traitées à la Li-Fo-Fer ! », souligne-t-il.
Mélange de la litière forestière avec le petit lait, la mélasse et l’eau ©Valo Dantinne
Des atouts pour l’agriculture et l’élevage
Le jardinier note également « une diminution de nombres de maladies dans le jardin dès la première année, ainsi qu’une meilleure résistance et vigueur des plantes ». Si les expérimentations agronomiques en milieu réel démarrent et les résultats sont en cours d’acquisition, les effets de la Li-Fo-Fer sur la vigueur des plantes s’avèrent prometteurs.
Au CIRAD, Paula Fernandes dresse le même constat : « Les effets que nous avons pu observer jusqu’à présent au travers de nos études préliminaires en laboratoire et en serre, montrent que les effets peuvent s’observer très rapidement, avec des effets notables sur la vigueur des plantes après germination en quelques jours, par exemple. »
Éleveuse en exploitation porcine 100% plein air à Venthon, Karen Marin-Lamellet a elle aussi remarqué les bienfaits de la li-fo-fer sur la végétation depuis deux ans : « Lorsqu’on en pulvérise sur une partie du parc où broutent les porcs, la partie traitée permet une repousse nettement plus importante. » L’éleveuse relève également une dégradation plus rapide des matières fécales grâce à la Li-Fo-Fer : « Lorsque les cochons sortent de la cabane pour faire leurs déjections, le lieu devient humide et sent vite mauvais. Mais en pulvérisant la Li-Fo-Fer immédiatement, l’odeur disparaît, surtout en été. »
De son côté, Jean-Christophe Finantz expérimente et commercialise la Li-Fo-fer en tant que membre de Rézomes, une coopérative de producteurs de fertilisants naturels et locaux. Le fermier de la commune d’Albertville a pu observer un résultat répulsif sur les mouches « Trois jours après projection de la Li-Fo-Fer, il n’y en a plus du tout ! »
Dans les jardins de Terre & Humanisme, Valo Dantinne constate également une action efficace sur l’épuration des eaux : « Dans le sud, on a des problèmes de cuves qui se remplissent d’algues et les eaux pétrissent vraiment mal pour arroser les jardins. Cela cause des problèmes sur le matériel d’irrigation et des pompes. Le côté épurateur de la Li-Fo-Fer est si flagrant que beaucoup d’amis m’en demandent pour nettoyer l’eau de leurs cuves et de leurs sources. » Un phénomène expliqué par Pierre Christen, chercheur à Institut de recherche pour le développement (IRD), par l’acidité du milieu et la baisse du pH causées par la Li-Fo-Fer. « Ce qui est peu propice au développement des algues qui aiment des pH plus neutres. Ainsi les microorganismes de la Li-Fo-Fer rentrent en compétition avec les algues pour les nutriments, ce qui doit limiter l’expansion de celles ci. »
Jet de Li-Fo-Fer sur les algues dans la mare ©Valo Dantinne
Les premières analyses moléculaires réalisées en partenariat entre le CIRAD et l’IRD ont montré que de nombreux microorganismes, connus pour leurs propriétés probiotiques, sont contenus dans la Li-Fo-Fer. Comparables aux bienfaits des aliments lacto-fermentés pour notre flore intestinale d’humains, ces effets sur les animaux sont expliqués par Paula Fernandes : « Notre collègue cubain, le docteur vétérinaire Yuvan Contino Esquijerosa, a pu vérifier que les LFF (Li-Fo-Fer) permettaient de réduire les maladies gastro-intestinales des animaux testés grâce à leurs propriétés probiotiques et d’améliorer leur croissance en rendant plus digestibles les aliments via une pré fermentation. »
Une vertu confirmée sur le terrain par Karen Marin-Lamellet qui administre en période de grande humidité dans l’air de la Li-Fo-Fer aux portions de nourriture des cochons. « Leur santé s’améliore d’une manière générale quand on leur en donne à boire. » Fournisseur de LFF pour d’autres éleveurs, Jean-Christophe Finantz observe de son côté un engraissement plus rapide et plus harmonieux des cochons. « Il y a un an, on s’est aussi rendu compte que là où les animaux piétinaient la litière forestière, comme dans les écuries, les pathologies du pied se réduisaient », constate avec surprise le fermier.
Une recette simple et économique
Elaborée de manière artisanale dans les années 1990 par des fermiers du Costa Rica, à partir des recherches du japonais Teruo Higa, la litière forestière fermentée est une technologie à base de Microorganismes Efficaces (EM). Son procédé est simple et économique. « « On va chercher des feuilles mortes en voie de décomposition, bien colonisées par des champignons dans des forêts qui sont peu touchées par l’homme », explique Valo Dantinne pour la préparation de la Li-Fo-Fer. La litière forestière doit ensuite être mélangée à une source de fibres végétales, du son par exemple ; une source de sucres facilement fermentables comme de la mélasse ; une source naturelle de lactobacilles tel que du petit lait ; et pour finir de l’eau. La préparation doit reposer entre 21 et 30 jours dans un récipient fermé, à l’abri des rayons du soleil. Une préparation liquide peut être obtenue en dissolvant la base solide, pour faciliter son utilisation et améliorer l’efficacité des EM via leur multiplication.
Un paysan cubain qui utilise la Li-Fo-Fer ©Felix Dorian
L’essentiel est que cette préparation soit locale pour les souches microbiennes. « Au moment de l’appliquer, il faut choisir les conditions, on balance un tas de bestiole qui viennent de la forêt. L’idée qu’il est y en ait le plus possible qui s’implantent », remarque l’ingénieur agronome Felix Dorian.
Les chercheurs comme les utilisateurs de la Li-Fo-Fer estiment ainsi qu’il faudrait encourager les paysans à opter pour cette solution. Simple dans l’utilisation et dans la fabrication, ce catalyseur bio-économique favoriserait également leur autonomie en matière d’intrants.
Intégré au programme d’expérimentation de Terre & Humanisme depuis 2018, Jean-Christophe Mari, arboriculteur bio en Ardèche, attend quant à lui les premiers résultats depuis quelques mois : « Il est encore trop tôt pour noter les effets sur mes arbres fruitiers. » « Le seul frein serait le temps de préparation. C’est pourquoi je serais plus intéressé de l’acheter à un petit artisan local », confie-il. Fermier dans la commune d’Albertville, Jean-Christophe Finantz commercialise sa préparation depuis deux ans. À hauteur de « 50 € les 20 litres applicable sur un hectare » explique-t-il. « C’est beaucoup moins cher et plus efficace que les intrants chimiques. »
Valo Dantinne imagine quant à lui la fabrication de la Li-Fo-Fer par un groupe d’agriculteurs pour économiser du temps et travailler en collaboration. « J’ai été surpris de la vitesse de l’appropriation de la recette par le monde paysan », constate celui qui a formé une cinquantaine de personnes à la technique.
Litière forestière fermentée après 1 mois de fermentation © Valo Dantinne
Dépollution du sol
« On sait bien que les champignons du sol sont capables d’isoler les polluants et d’assainir certains sols pollués. Les molécules toxiques comme les pesticides seront plus vite dégradées si le sol est riche », explique Pierre Christen de l’IRD. « Il y a beaucoup de pistes à étudier là-dessus », ajoute Valo Dantinne. Le jardinier a en effet observé après avoir injecté de la colle PVC dans des éprouvettes avec de la Li-Fo-Fer « qu’au bout d’un mois, il restait des microorganismes qui décomposaient les polluants ». Pour Paula Fernandez, la Li-Fo-Fer pourrait restaurer la diversité des sols dégradés par les cultures intensives. Une piste qui fera l’objet des prochaines études du CIRAD.
Économique, simple et écologique, la Li-Fo-Fer pourrait donc devenir une solution efficace pour le monde agricole.
Par Louna Boulay
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