Agences de l’énergie, États, ONG, ingénieurs et experts engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique, tous intègrent le déploiement des énergies renouvelables aux solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais qu’entend-on par énergies « renouvelables » ? Comment sont-elles produites ? Sont-elles si vertes ? Et sont-elles en mesure de se substituer intégralement aux énergies fossiles ? Enquête.
Encenseurs des énergies renouvelables ou critiques à leur égard, la majorité des acteurs de la filière est néanmoins d’accord sur un point, rappelé par Philippe Bihouix, ingénieur expert des énergies et auteur de L’Âge des low tech 1 : « Elles sont évidemment bien moins impactantes que des énergies fossiles, d’un point de vue climatique et pas seulement. » Mais peuvent-elles se substituer à l’ensemble des énergies fossiles qui constituent la base de notre économie ? Peut-on produire à partir de renouvelables les 160 000 TWh d’énergie que nous consommons chaque année dans le monde ?
Depuis dix ans, les investissements dans les énergies renouvelables (EnR) se sont intensifiés, et ont atteint 332,1 milliards de dollars en 2018 selon le cabinet Bloomberg New Energy Finance (BNEF). De plus, les capacités de production « propre » ont crû de 7,9 % en 2018 selon l’Agence internationale des énergies renouvelables (Irena).
Mais les seules énergies fossiles couvrent toujours plus de 80 % de la consommation d’énergie mondiale. Laquelle ne cesse de croître : + 2,3 % en 2018 selon l’IAE (International Energy Agency, Agence internationale de l’énergie). Et dans cette hausse, pour la seule électricité, « les parts des deux combustibles pétrole et gaz (36 %) et du charbon (38 %) en 2018 restent inchangées par rapport à leurs niveaux d’il y a vingt ans », déplore Spencer Dale, économiste en chef de BP, dans le rapport « BP statistical review » 2019 sur l’énergie dans le monde, établi par le groupe.
Renouvelables = propres ?
La lutte contre le changement climatique exige un tournant majeur. Les énergies fossiles non seulement s’épuisent, mais contiennent aussi du carbone qu’elles libèrent sous forme de CO2 pour fournir de l’énergie. Cette teneur en carbone diffère selon la source : selon Enerdata, en moyenne, le charbon émet 3,5 tonnes de CO2 par tonne d’énergie consommée, 1,5 fois plus que le gaz et 1,3 fois plus que le pétrole. Ce qui n’est pas vrai pour le soleil, le vent, la chaleur souterraine, l’eau ou les vagues.
Attention toutefois. La production d’énergies renouvelables a elle aussi un impact. « Bien que la source, comme le soleil ou le vent, soit en effet inépuisable, ce qui ne l’est pas, c’est le convertisseur. Car quelle que soit l’énergie, on ne peut l’utiliser sans la capter, la convertir ou la stocker. Or pour fabriquer ces capteurs et convertisseurs, il faut des ressources métalliques », rappelle Philippe Bihouix.
Avec les énergies fossiles, on connaissait donc les centrales et les moteurs thermiques. Avec les énergies renouvelables, on parle de panneaux photovoltaïques, d’éoliennes, de pompes à chaleur, ou de méthaniseurs. Pour mettre au point les panneaux photovoltaïques aujourd’hui commercialisés, il faut ainsi de la silice, disponible en grande quantité et bien répartie sur la planète. Mais il faut aussi de l’argent, voire de l’indium ou du gallium, trois métaux rares et contraints géographiquement. De la même manière, il faudra du lithium, du cobalt ou du nickel dans les batteries destinées à stocker l’énergie renouvelable ou à l’utiliser dans des motorisations électriques. Ou encore du béton, de l’acier, et des terres rares, comme le néodyme et le dysprosium, pour fabriquer des éoliennes. « Et en éolien offshore, par exemple, il faut ramener le courant à des sous-stations à terre à l’aide de câbles en cuivre, ajoute Philippe Bihouix. Globalement il faudra donc puiser dans le stock de ressources de manière accélérée. Ce qui pose problème ».
Mais pour Thierry Salomon, ingénieur énergéticien et fondateur de l’association négaWatt, « ces questions-là sont extrêmement exagérées. Les progrès déjà réalisés et les promesses des recherches actuelles montrent que la fabrication de panneaux photovoltaïques ou d’éoliennes demandera de moins en moins de métaux, sensibles ou non. » Les chercheurs sont au travail : pour remplacer l’argent par l’aluminium, ou l’indium par le zinc, plus disponible et plus aisé en termes d’exploitation. De nouvelles technologies sont aussi au banc d’essai, comme l’hétérojonction dans le solaire, permettant d’utiliser les deux faces d’un panneau tout en réduisant l’épaisseur de silicium requise.
« Par ailleurs, il faut avoir à l’esprit des mécanismes plus grands de substitution. Prenons l’acier : à partir du moment où se produira un basculement important de la construction béton avec armatures acier vers de l’ossature bois par exemple, à partir du moment où l’on arrêtera de construire des voitures de plus de 1,5 tonne, il sera possible de reporter le stock d’acier inutilisé vers les renouvelables. Ce sont donc des problématiques à prendre en compte, mais en aucun cas des raisons pour diminuer la vitesse de diffusion des EnR », poursuit Thierry Salomon.
Cependant, l’extraction de ces ressources aussi pose problème. Il faut, pour les collecter, utiliser de l’énergie, laquelle se trouve aujourd’hui être du charbon dans la plupart des cas. Surtout, les métaux extraits doivent être purifiés. C’est notamment le cas de la silice pour les panneaux photovoltaïques. « Il faut la purifier de l’oxygène qui la compose pour obtenir du silicium. Et pour ce faire, il faut fondre les matériaux dans des fours lancés à plus de 1 000 C°, explique Delfina Muñoz, chercheuse spécialisée sur les technologies solaires au CEA. Or ce processus est majoritairement réalisé à base de charbon et de gaz en Chine. Mais il est possible de fabriquer des panneaux, ou autres technologies renouvelables, à partir d’énergies renouvelables. Il existe aujourd’hui une usine de production de panneaux photovoltaïques en Norvège dont tout le processus est basé sur l’hydroélectricité. »
De la même manière, il est tout à fait possible de recycler les matériaux nécessaires aux installations renouvelables lorsqu’ils arrivent en fin de vie.
Du solaire partout ?
On l’aura compris : les énergies renouvelables sont imparfaites, mais meilleures que les fossiles. Comment, alors, les déployer plus vite et mieux ? Lesquelles choisir et pourquoi ?
« Il existe plein de moyens de produire de l’électricité avec des renouvelables. Les vrais soucis se trouvent plutôt du côté de la chaleur, de celle nécessaire aux bâtiments, et du côté du transport », souligne Thierry Salomon.
« Une ambition plus forte et un soutien politique renforcé sont nécessaires pour accroître l’utilisation des énergies renouvelables pour le chauffage et pour améliorer l’efficacité énergétique dans les bâtiments et dans l’industrie », confirme en effet l’AIE dans un récent rapport 2.
Si les filières de l’éolien et du solaire font beaucoup parler d’elles, elles ne sont pas les uniques énergies renouvelables et ne pourront à elles seules tout remplacer. D’autant qu’elles ne sont pas légitimes partout.
« Celles dont on parle le plus sont celles qui comptent le moins en France, juge Jean-Marc Jancovici, ingénieur énergie-climat et président du think tank The Shift Project. Chez nous, il faut opter pour celles qui décarbonent le plus à investissement donné. Non pas les éoliennes et les panneaux solaires, mais les pompes à chaleur, les poêles à bois, et le biogaz pour des usages de niche (engins agricoles, transports en commun). » Celles qui produisent de la chaleur et un peu de carburant donc. Car, à ses yeux, l’électricité nucléaire décarbonée suffit, tandis que le solaire et l’éolien nécessitent trop d’espace, et surtout ont l’inconvénient de produire seulement quand il y a du vent et un bon taux d’ensoleillement.
Un avis que tempère et complète Delfina Muñoz : « Les scientifiques s’accordent pour dire que certaines technologies vont pouvoir être “reproduites” dans plusieurs pays avec un niveau de production correct et un impact environnemental fortement réduit. Le solaire, l’éolien, l’hydroélectricité et le bois en font partie. Mais d’autres technologies auront toute leur légitimité et un fort potentiel en fonction de l’endroit. La géothermie est un bon exemple. Et des expériences se multiplient pour utiliser l’énergie des vagues (houlomotrice). C’est la combinaison de tout cela qui va donner une solution à la planète. Évidemment, on n’envisage pas de mettre des panneaux partout. »
Un avis que soutient l’AIE qui cite aussi, dans son rapport, la progression encore importante à venir en matière d’installations solaires thermiques dans les bâtiments ou le développement des bioénergies (issues de la biomasse, de ses résidus ou des déchets).
Cependant tous les experts interrogés pour notre enquête s’accordent sur un point : à consommation d’énergie égale, les énergies renouvelables ne pourront pas tout remplacer. Elles ne pourront donc permettre de produire 160 000 TWh par an. Et pourtant la population augmentera – les prévisions de l’ONU sont de 10 milliards d’individus en 2050 –, et les aspirations des pays en développement aussi. Quelles sont les solutions alors ?
Un mot d’ordre : sobriété
« Il faudra sortir de notre modèle extractiviste », certifie Philippe Bihouix. La question n’est donc pas de tout remplacer : il faudra réduire fortement nos consommations d’énergie. « Avec notre scénario négaWatt, nous avons démontré qu’un mix 100 % renouvelable était possible en France, rappelle Thierry Salomon. Mais, en effet, il ne l’est qu’à condition d’introduire dans la transition un volet efficacité et un volet sobriété. Pour réussir, nous avons estimé qu’il faudrait réduire de 60 % nos consommations d’énergie. »
Une « décroissance » qui, selon Jean-Marc Jancovici, ne pourra se faire qu’en s’appuyant sur l’énergie nucléaire. « Le nucléaire dans cette histoire est un parachute ventral. Ne compter que sur les renouvelables, c’est s’exposer à un effondrement social. » Car pour l’expert, qui dit EnR dit incertitudes de production et difficultés de stockage de l’énergie produite, alors que les centrales actuelles peuvent produire quasi sans arrêt, quelque 8 000 heures par an. Il pense ainsi qu’il sera difficile de demander aux citoyens de baisser leurs consommations tout en exigeant qu’ils le fassent à certaines heures par exemple.
Cette opinion tranchée est toutefois loin de faire l’unanimité. « Il ne faut pas que de l’uranium 235 ou 238 pour faire fonctionner des réacteurs. Il faut aussi plein de métaux comme du cobalt, du nickel, du zirconium. De troisième ou de quatrième génération, une centrale nucléaire, c’est quoi qu’il en soit un “tableau de Mendeleïev 3 sur pattes”, image Philippe Bihouix. Et pour le coup, on ne peut pas faire d’économie circulaire : quand vous avez irradié pendant quarante ou cinquante ans votre circuit primaire au nickel et au cobalt, croyez-moi, on n’en fera ni des boîtes de conserve ni des batteries de vélos électriques ! »
Si ce débat est loin d’être clos, il n’en efface pas moins le constat, à savoir que pour espérer limiter le réchauffement climatique et réduire fortement notre impact sur la planète, le monde devra consommer beaucoup moins d’énergie. Comment ? En modifiant tous nos habitudes de consommation alimentaire, de chauffage, de mobilité ou encore numériques. En mettant en place des dispositifs très incitatifs voire contraignants du côté des États. Certainement aussi en donnant une vraie valeur à la rareté. « Étant donné les services rendus par l’énergie d’un côté et la nécessité de diminuer notre impact sur l’environnement de l’autre, il serait normal de payer beaucoup plus pour un voyage en avion par exemple », avance Delfina Muñoz. Mais « sans nous faire forcément mal, ajoute Philippe Bihouix, nous avons déjà beaucoup de solutions sous le pied pour agir. Chauffer nos intérieurs à 19 °C au lieu de 21 en moyenne par exemple. »
par Fanny Costes
Illustrations : Le Cil Vert
- Philippe Bihouix, L’Âge des low tech. Vers une civilisation techniquement soutenable, Seuil, 2014.
- « Renewables 2019. Market analysis and forecast from 2019 to 2024 », International Energy Agency (IEA), octobre 2019.
- Le chimiste russe Dmitri Mendeleïev est l’inventeur du tableau périodique des éléments dit « tableau de Mendeleïev ».
Pour aller plus loin