Depuis maintenant trois semaines, la France est confinée. Indispensable pour se protéger les uns les autres pendant cette épidémie ravageuse du coronavirus, le confinement n’est pas pour autant une période facile. Le psychiatre, écrivain et « calmologue » Christophe André livre dix conseils à Kaizen pour vivre ce confinement plus sereinement.
Christophe André : Je me souviens qu’avec mes patients anxieux, nous établissions souvent en début de thérapie une échelle pour mesurer la gravité des événements de vie qui les préoccupaient. Il y avait souvent 4 niveaux : bénin (le robinet qui fuit), sérieux (l’inondation chez les voisins du dessous), grave (le cancer du conjoint), dramatique (sa mort). Histoire de savoir déjà quelle quantité d’attention et d’énergie mobiliser, ou non, pour passer l’obstacle…
Où aurions-nous placé la situation actuelle, l’épidémie de coronavirus ?
Pas dans la catégorie « situation dramatique » : la guerre est dramatique, certaines épidémies sont dramatiques ; là c’est simplement grave et sérieux. Car effectivement la situation actuelle met certains d’entre nous en danger : danger pour le corps, du fait du virus, danger pour l’esprit, du fait du confinement.
Puisque je ne suis pas virologue, je ne vais pas vous parler du Covid 19 et des conseils médicaux (je vous conseille tout de même de les suivre !). Mais en tant que « calmologue », je peux évoquer avec vous le confinement. Du moins, si vous n’en avez pas marre du déferlement de bons conseils…
Il y a beaucoup d’inconvénients, mais aussi un énorme bénéfice au confinement : il redonne du temps libre à la plupart d’entre nous, du temps pour réfléchir et pour agir… C’est important, bien sûr, de prendre soin de soi pour le temps présent, mais ça l’est aussi pour la suite : nous sortirons du confinement en plus ou moins bon état selon les efforts de maintien en équilibre que nous aurons accomplis pendant…
Voici donc 10 propositions ou plutôt 10 lignes directrices en ce sens ; il y en a beaucoup d’autres, mais celles-ci m’ont semblé prioritaires.
Cultiver l’art de l’acceptation
L’acceptation est un classique de la philosophie et de la psychologie. Il s’agit d’accepter ce qu’on ne peut changer : accepter le mauvais temps si on avait prévu un pique-nique, c’est éviter de se plaindre ou d’être de mauvaise humeur toute la journée, mais plutôt se dire « OK c’est comme ça » et garder ses forces non pour gémir mais pour s’adapter : s’organiser afin de faire autrement. Il en va de même pour le fait d’accepter de rester enfermé alors qu’il fait grand beau temps et que la nature est toute proche mais interdite (comme au moment où j’écris ces lignes). Accepter, ce n’est pas dire : « c’est bien ! » mais « c’est là ! ». Ce n’est pas se dire : « chouette, de l’adversité comme opportunité d’apprendre ! » (ça, c’est pour plus tard éventuellement, et encore…) mais : « que ça me plaise ou non, c’est comme ça, alors je fais quoi ? ». L’acceptation n’est pas la résignation, c’est une étape avant le choix des actions les plus adaptées. Face à une maladie ou une crise, face aux adversités inhérentes à toute vie humaine, on accepte mais on ne renonce pas à faire face, agir, prendre soin de soi…
Structurer son temps et créer de nouveaux rythmes
En général, ce sont les rythmes sociaux – sorties, rencontres, travail… – qui ordonnent nos journées. Mais dans le confinement, nous devons nous imposer des rythmes personnels, organiser nous-mêmes notre emploi du temps, et nous y tenir, pour éviter, le soir venu, ce sentiment pénible de n’avoir rien fait de la journée. Attention aussi à bien respecter l’alternance jour-nuit : se lever le matin avant 9h et ne pas traîner devant les écrans le soir après 22 ou 23h.
Préserver un lien avec la nature
On va passer beaucoup plus de temps au jardin, pour les archi-ultra-chanceux qui en ont un, à observer les détails des plantes, du travail des insectes ; à savourer et ne rien faire ; à jardiner… Pour les autres, on va s’occuper de ses plantes vertes et se mettre souvent à la fenêtre pour regarder le ciel, observer le passage des nuages, et respirer l’air dépollué des rues vidées de leurs voitures. Pour tout le monde, on va classer ses photos de vacances, ses vidéos, évoquer ses souvenirs, faire des projets de prochaines vacances, libres dans la nature et la verdure… Au passage, vous avez compris, vous, la décision prise par le gouvernement de fermer les parcs et l’accès aux espaces naturels durant la période de confinement ? Décision à la fois inégalitaire (par rapport aux veinards disposant d’un jardin) et antiscientifique. La nature est bonne pour la santé du corps et de l’esprit. Toutes les études concordent, comme celles qui montrent que, en séjour post opératoire, les malades ayant des chambres avec vue sur les jardins cicatrisent beaucoup mieux que ceux qui ont vue sur le parking. Les balades en forêt renforcent l’immunité, par la marche et par le lien avec la nature, et on nous impose de la sédentarité bétonnée !
Bouger son corps
En profitant bien sûr au maximum de la sortie quotidienne réglementaire dans le kilomètre réglementaire. Mais aussi en pratiquant toute forme de sport en chambre ; mes filles me chambrent, justement, quand j’utilise cette expression, me disant que c’est un euphémisme pour parle de la sexualité ; mais finalement, pourquoi pas ? Je pensais plutôt au step, au saut à la corde, au yoga ou au Pilates… En profitant des nombreuses vidéos offertes en ligne. Et puis aussi, en marchant pendant qu’on téléphone !
Savourer ses liens sociaux
C’est un des paradoxes du confinement : il nous aide à raviver nos liens sociaux, à les resserrer, à les approfondir. Certes, c’est de manière virtuelle : merci le téléphone et le web, et merci les réseaux sociaux (pour une fois) ! Mails il resserre aussi les liens réels : on peut bavarder avec les voisins par la fenêtre, aider les âgés et les handicapés de notre voisinage… Si on est confiné en famille ou en groupe, il est prudent aussi d’établir des points réguliers et quotidiens si possible, pour que chacun exprime ses besoins (sous forme constructive : « j’aimerais que… ? » plutôt que sous forme de plaintes et agacements : « j’en ai marre de… »). Enfin, pour le climat social général, il est précieux de préserver des contacts avec les passants que l’on croise, au lieu de détourner les yeux : au contraire, se regarder, se saluer, se sourire ! Après tout, nous sommes tous dans la même galère…
Apaiser son esprit en diminuant sa dose d’informations quotidiennes
Le cerveau humain a une irrésistible attraction pour les informations négatives. Il est câblé pour prioriser son attention sur les signes de danger. Ça tient aux règles de l’évolution : être automatiquement attentifs aux dangers, c’est ça qui permet la survie. Les informations inquiétantes exercent un attrait puissant sur notre esprit. Alors, si elles sont accessibles en permanence, comme sur certaines chaines télé ou radio, ou sur Internet, le risque de surdosage est grand. Ce n’est pas parce que l’information est disponible en continu qu’il faut la consommer en continu ! Une ou deux fois par jour suffisent.
Prendre conscience de son souffle et cultiver des moments de pleine conscience tout au long de la journée
C’est ce que nous enseigne la méditation de pleine conscience : s’arrêter d’agir pour simplement observer et ressentir son souffle, c’est incroyablement simple et incroyablement puissant pour nous apaiser et nous aider à mieux comprendre ou savourer ce que nous vivons. Il y a des dizaines d’enregistrements disponibles sur Internet, des applications dédiées, et bien sûr des livres accompagnés de CD. Profitez-en ! Et n’oubliez pas aussi de prendre votre temps et de savourer l’instant : quoi que vous fassiez dans vos journées – marcher, manger, cuisiner, dialoguer… – si vous le faites en pleine conscience, en étant pleinement présent à ce que vous vivez, corps et esprit, ce sera bien plus fort, profond et agréable.
Tenir un journal de gratitude
La gratitude consiste à prendre conscience d’un bien, d’un bonheur, d’une aptitude que l’on doit à autrui, et à s’en réjouir. Elle est une des émotions positives les plus agréables et les plus bénéfiques à notre santé, corps et esprit. Et si on prend la peine de l’exprimer à autrui, lors d’un coup de téléphone ou par une lettre, ses bénéfices sont partagés : elle procure alors un plaisir immense à la personne remerciée. Si vous teniez un journal de gratitude durant le confinement ? Et si vous postiez chaque jour un petit mot de remerciements à vos proches, amis et connaissances à qui vous voulez dire merci, même en quelques lignes simples ?
Rire aux éclats !
Je n’avais jamais vu un pareil déferlement d’humour sur les réseaux sociaux. Ni jamais compris à quel point c’était vital de rire. On a souvent observé que sous les dictatures, l’humour fleurit et permet aux citoyens de mieux supporter l’oppression. Nous nous en rendons compte durant ce confinement : toute cette créativité drôlatique nous rappelle à quoi sert l’humour. Il nous fait triplement du bien : 1) en nous offrant un moment d’émotion positive, 2) en nous reliant aux autres, qui nous ont envoyé la blague, 3) en nous donnant du recul sur la situation, en accentuant l’absurdité de ce que nous vivons parfois, et en nous offrant un nouveau regard. Certaines blagues sont nulles, voire nullissimes ? Pas grave, mieux vaut une blague nulle qu’une fake news.
Se sentir vivant
Le petit virus qui paralyse la planète a tué, et va tuer, beaucoup d’entre nous, qui ne demandaient qu’à vivre encore un peu. Et nous, sans l’avoir demandé ni mérité, nous sommes encore vivants, à cet instant. Sans savoir pour combien de temps encore, puisque nul ne le sait. Mais en lisant ces lignes vous êtes vivants, comme je le suis en les écrivant. Alors, pourquoi ne pas s’arrêter chaque jour quelques instants, pour se recueillir, en regardant le ciel, les arbres, tout ce qu’on aime, et se réjouir simplement de vivre ce moment ? Puis le dédier à celles et ceux qui ne sont plus là pour le savourer, et penser à eux, et respirer pour eux…
Par Christophe André
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