Au cœur du désert sahélien, en Mauritanie, les habitants de Maaden, en coopération avec le Fonds de Dotation Pierre Rabhi, créent un village totalement écologique. De la terre à l’école en passant par l’énergie, la gestion de l’eau, le reboisement ou la lutte contre l’érosion des sols. Une belle utopie… en chantier !
« Nous ne sommes pas là pour faire uniquement de l’agroécologie, ce projet est politique, dans le sens noble du terme », explique Pierre Rabhi. En échangeant avec les agriculteurs, les enseignants, les responsables du dispensaire, il mesure l’ampleur des attentes du millier d’habitants du village de Maaden 1. « Cette coopération nous apportera énormément. Le village était presque au point mort, il commence à revivre… », assure Djibril Niang, paysan.
Difficile d’accès, Maaden est un village singulier en Mauritanie. Réputée pour son humanisme et sa solidarité, cette oasis a été fondée en 1975 par le soufi 2 Cheikh Mohamed Lemine Sidina. Cet érudit était un fervent défenseur de l’égalité : égalité entre hommes et femmes comme entre êtres humains, peu importe la couleur de peau. Depuis sa disparition, en 2003, des dissensions étaient nées à Maaden. Ce projet est une occasion de rassembler et d’unifier la communauté. Mohamed Djibril Niang, ancien ministre de la Jeunesse et des Sports, fait partie des fondateurs, il est particulièrement confiant : « Les habitants adhèrent à 100 %. Le fait que Maaden soit un village soufi nous fait gagner beaucoup de temps. Nous réactivons des valeurs existantes : la simplicité et le respect de la terre. Le développement ne signifie pas devenir riche sous forme d’argent, mais plutôt que chacun ait ce dont il a besoin, de manière autonome. À ma connaissance, aucun village entièrement écologique n’existe en Mauritanie ni même en Afrique, il est important que cela aboutisse. »
Femmes, diplômés, personnes âgées, chaque villageois est acteur du projet. « Créer un village écologique est le fleuron de toute une vie d’implication et militante, s’enthousiasme Pierre Rabhi. Maaden pourrait être un modèle. » Dans la continuité du centre de formation d’agroécologie de Gorom-Gorom, au Burkina Faso, fondé par Pierre Rabhi et Maurice Freund dans les années 1980. « À Gorom-Gorom, nous avons réalisé cette approche écologique au niveau d’un campement, rappelle Maurice Freund, membre du Fonds de Dotation Pierre Rabhi et gérant de la compagnie aérienne Point-Afrique. À Maaden, nous voulons le faire au niveau d’un village tout entier. »
Promouvoir l’autonomie
Les habitants se nourrissent encore, en grande majorité, de produits importés. Certaines familles sont endettées. Elles consomment à crédit dans les petites épiceries du village.
Le chantier prioritaire est donc de retrouver de l’autonomie alimentaire et de travailler la terre autrement. L’agriculture est de loin la première activité. Les dattes et les carottes sont les deux principales cultures. « Avant j’utilisais un peu d’engrais chimique, peu car je n’ai pas beaucoup d’argent, raconte Djibril Niang. Désormais, j’utilise du compost. C’est une grande chance. Je dépense moins d’argent. L’achat des semences et des engrais chimiques représentait 40 % de mon budget. »
Pierre-François Pret, ingénieur en agriculture et consultant en agroécologie, travaille pour le Fonds de Dotation Pierre Rabhi. « Les véritables programmes de développement s’inscrivent dans le temps, détaille-t-il. Les paysans commencent à mettre du compost dans leur parcelle. Ils constateront une meilleure fertilité des sols et des économies d’eau. Je crois beaucoup aux échanges entre paysans pour transmettre ces savoir-faire. » Aujourd’hui, les soixante paysans de Maaden ont considérablement diversifié leur production : oignons, betteraves, navets, tomates, pommes de terre, orge, aubergines… Une douzaine expérimentent des techniques issues de l’agroécologie sur leur parcelle. L’an dernier, pulvériser la décoction des feuilles de neem s’est avéré être très efficace pour repousser les insectes.
Autre point essentiel : travailler en collaboration avec les habitants sans imposer une vision. « Il faut être vigilant à maintenir une bonne coordination entre l’association locale, Maaden au service de la société, et le Fonds de Dotation, souligne Mohamed Mahmoud Sidina, ingénieur agronome. Par exemple, nous nous sommes réunis au sujet du suivi de la quantité d’eau pompée afin que la nappe ne soit pas épuisée. Puis nous avons désigné les personnes chargées de réaliser un inventaire des puits et des forages. » Depuis, une étude a été réalisée par un hydrogéologue. Un bilan nécessaire avant l’utilisation des dix pompes solaires prévues au sein du projet.
La forte motivation des habitants
La sensibilisation à la collecte des déchets a, quant à elle, déjà débuté. Auparavant, le village était jonché de détritus. Aujourd’hui, des journées de nettoyage sont régulièrement organisées. Venu en France pendant deux mois, Taha Sidina, imam, témoigne : « J’ai convaincu le directeur du collège d’organiser des journées de nettoyage avec les élèves. Ces collectes sont aussi bénéfiques pour accueillir au mieux les touristes. »
À l’école, les enfants ont également été sensibilisés à la problématique de l’eau et plus largement à celle des ressources limitées de la planète. Cependant, certains problèmes, plus éloignés des thématiques environnementales, prennent le dessus : manque de fournitures, de professeurs, bâtiments vétustes… Le désenclavement du village est également une préoccupation forte des habitants, qui sont nombreux à militer en faveur d’un investissement pour construire une route : « Cela est crucial pour vendre le fruit de notre travail, ou pour évacuer plus facilement les malades et les femmes enceintes », insiste Fatimatou Mint Bouh, présidente du Collectif des coopératives féminines. Le Fonds de Dotation Pierre Rabhi a fait livrer une concasseuse de pierres pour fabriquer des pavés. Afin d’améliorer le quotidien du village, la liste du matériel envoyé ne s’arrête pas là : un broyeur de palmes pour réaliser un meilleur compost, un moulin à henné pour réduire la pénibilité et gagner du temps, cent lampes solaires pour permettre notamment aux enfants de réaliser leurs devoirs à domicile, etc.
La compagnie aérienne Point-Afrique contribue également à la réussite du projet. Depuis près de deux ans, des touristes, en grande majorité français, découvrent de nouveau la Mauritanie. Une partie du territoire a été sécurisée par l’État. Le spectre du terrorisme s’éloigne. « Réaliser ce village écologique montre qu’il est possible de vivre heureux et autonome, même dans des conditions difficiles, comme au Sahel », précise Maurice Freund. Les étapes sont cependant encore nombreuses : « Nous sommes bien relayés sur le terrain grâce à la dynamique de l’association et beaucoup de réalisations ont déjà vu le jour, précise Bernard Chevilliat, président du Fonds de Dotation Pierre Rabhi. Mais nous savons aussi qu’un tel projet s’inscrit dans la durée, sur cinq à dix ans a minima. »
La détermination des villageois ne faiblit pas. Le initiatives se multiplient, comme la création d’une banque de semences reproductibles. « C’est en valorisant les ressources locales que nous pourrons réaliser un modèle de développement différent », conclut Mohamed Mahmoud Sidina. Denis Coste, médecin de l’association Kibouj qui œuvre en lien avec le Fonds de Dotation Pierre Rabhi, participe à l’agrandissement du dispensaire et à améliorer les équipements médicaux. Il a parcouru le Niger, Madagascar ou encore le Pérou et il ne cache pas son enthousiasme : « Je n’ai jamais constaté une motivation aussi importante. Les propos et les actions sont authentiques et réfléchis. Ce projet arrive non pas en terrain conquis, mais sur un terreau fertile. »
- La population exacte de Maaden est difficile à établir. Sans les hameaux, on compte 800 habitants. Avec les hameaux, le village s’étale sur plus de 20 kilomètres et peut compter jusqu’à 2000 habitants. Pendant les périodes de récolte, la population peut considérablement augmenter.
2. Le soufisme met l’accent sur la dimension intérieure, mystique et spirituelle de l’islam