Depuis des millénaires, glaciers, lacs et torrents ornent les splendides paysages de montagne. Une beauté aujourd’hui fragilisée par le réchauffement climatique, les sécheresses, les crues… Dans les Hautes-Alpes, la fonte des neiges précoce et la sécheresse perturbent le grand cycle de l’eau. Reportage.
Serons-nous la dernière génération à admirer la beauté des glaciers ? A s’émerveiller devant leur paysage immaculée ? Sur le glacier de la Girose dans les Hautes-Alpes, la parfaite lumière du ciel et de la terre éblouit notre regard. Mais pour combien de temps encore ? Car «60 glaciers ont déjà disparu depuis 1980, soit environ la moitié de ceux référencés au milieu du XXè siècle dans les Alpes ! », prévient Richard Bonet, responsable du service scientifique au Parc national des Ecrins.
Le biologiste quinquagénaire rappelle qu’à quelques kilomètres de là, le glacier de Sarenne, sur lequel il skiait enfant, aura disparu d’ici un à trois ans seulement. Les glaciers des Ecrins perdent désormais 1km2 par an en moyenne. Ils recouvraient 100km2 en 1980, et ne représente aujourd’hui que 60 km2. Alors que le célèbre alpiniste français Gaston Rébuffat qualifiait, au milieu du XXè siècle, le massif des Ecrins d’Himalaya des Alpes.
La cause ? Le réchauffement climatique, dû aux activités humaines… Dans son dernier rapport en février 2022, le GIEC consacrait un chapitre supplémentaire sur les conséquences climatiques plus importantes que prévues dans les zones de montagnes ; dans toutes les Alpes les glaciers fondent, les périodes de sécheresses augmentent et les chutes de pierre se font plus fréquentes.
Sur le glacier de la Girose, le paysage se meut. La fonte de la glace et du permafrost qui cimente les roches, ont légèrement décalé une partie des installations du téléski. Si ici on contemple aussi la beauté des couleurs luisantes de la glace vive entre reflets bleus et gris, Richard Bonet nous rappelle qu’en ce mois d’avril il est rare d’observer ce décor, car en temps normal la neige recouvre la glace. « Cette année il a très peu neigé, il fait plus chaud et la neige fond plus tôt et plus vite. Même s’il ne faut pas faire d’une année une généralité, car en 2021 il est tombé beaucoup de neige par exemple, les observations sur le long terme vont toutes dans la même sens: globalement les températures augmentent et on a perdu un mois d’enneigement à 1800m d’altitude», explique le scientifique. Selon les évaluations du groupe de recherche climatique Euro-Cordex, en 2040, 40 % des glaciers alpins auront disparus !
Faire évoluer nos pratiques
Quelles sont les effets de tels changements ? « Cela a des conséquences globales sur tout le système d’approvisionnement en eau des rivières. Car même avec une année bien enneigée, la fonte a désormais lieu beaucoup plus tôt dans l’année. L’eau s’écoule plus tôt dans les cours d’eau et, au moment le plus chaud l’été en août, les névés ou les glaciers qui fondaient à cette période, ne sont plus là depuis le mois de juin. Cela créé un déphasage des pics de crues, et donc un déphasage de la disponibilité en eau. Surtout l’été. Cela ne veut pas dire qu’il y aura forcément moins d’eau à moyen ou long terme, car il peut tomber les mêmes précipitations, ou pas, mais la fonte n’aura pas lieu au même moment, et cela changera la gestion et la disponibilité de l’eau. Cela va demander des adaptations, analyse Richard Bonet. D’où le débat actuel sur la création des bassines par exemple : faut-il créer des réservoirs d’eau partout pour la stocker ou faut-il arrêter de modifier le milieu naturel et faire évoluer nos pratiques, notamment sur ce que l’on cultive, comment on se nourrit et la manière dont on consomme. Je pense qu’il n’y a pas de solution unique, mais un équilibre à trouver. »
Ici c’est au pied des sommets enneigés et des glaciers que naissent les cours d’eau. L’enjeu est d’autant plus vital, que le régime hydraulique dans cette zone de montagne est glacio-nival : il dépend à la fois de la fonte des neiges et des pluies. Au confluent de la Durance et de la Clarée, David Doucende, ingénieur hydrobiologiste, chargé de mission à la Fédération de pêche des Hautes-Alpes, explique qu’ «ici on a de l’eau en permanence que s’il pleut et qu’il neige, parce qu’il n’y a pas de nappes phréatiques dans le département, pas de plaine alluviale. Nous n’avons que des nappes d’accompagnement qui longent les cours d’eau. Il n’y a pas de stock : c’est une particularité de ces milieux de montagne ».
Patrimoine biologique précieux
Les eaux translucides de la Clarée, situées dans l’une des plus belle vallée des Alpes du Sud, abrite un patrimoine biologique précieux avec les adoux ; zones de résurgences des nappes d’accompagnement essentielles pour la protection et la reproduction des espèces. « Même si les rivières sont encore de très bonne qualité, fraiches et bien oxygénées en altitude, on observe désormais des algues dues au réchauffement climatique. Pour l’instant cela n’a pas d’impact sur les truites sauvages, les Fario méditerranéennes, seuls poissons à vivre dans ce milieu. Les eaux des rivières sont préservées jusqu’à la ville d’Embrun, avec une Durance encore sauvage», soutient David Doucende.
Ici comme ailleurs dans l’hexagone, les épisodes de sécheresse sont de plus en plus nombreux depuis les années 2000. Cette année, le déficit en eau est particulièrement visible : les rivières ont moins de débit, certaines n’ont déjà plus d’eau, et le lac de Serre-Ponçon avec son barrage est déjà à 12m en dessous de son niveau estival. Un manque qui pourrait impacter le milieu agricole, les activités touristiques et la production d’hydro-électricité.
Vitale, précieuse et fragile, la ressource en eau sert autant la biodiversité que les activités humaines. En milieu de montagne, le grand cycle de l’eau dépend ici plus encore, des forces de la nature. Des forces qui ne pourront s’apaiser que si nos sociétés feront le choix de tempérer leur frénésie consommatrice, pour préserver les équilibres subtiles de la nature.