Créée en 2015, l’entreprise bretonne Algo Paint valorise une matière naturelle et locale, les algues, pour produire des peintures plus saines et plus écologiques. Cette société « à taille humaine », qui compte une dizaine de salariés, entend faire basculer un marché encore très dépendant de la pétrochimie.
Solvants, colorants, additifs… La liste des composants des peintures n’est pas très reluisante. « Peu de gens le savent, mais lorsque l’on peint nos murs, c’est du pétrole que l’on applique principalement », assure Lionel Bouillon, fondateur d’Algo Paint. Le président de cette société bretonne parle en connaissance de cause. Il a dirigé pendant des années Félor, entreprise familiale, fabricant de peinture sur produits techniques et pour bâtiments. Suite à un fort ralentissement économique en 2008, Lionel Bouillon décide de prendre le contre-pied du marché à l’époque, en quittant l’univers de la pétrochimie pour s’adosser à la chimie du végétal.
Le choix des algues s’est vite imposé. « L’idée m’est venue en prenant ma douche car j’avais un shampoing à base d’algues d’Yves Rocher. Je me suis dit :“Si Yves Rocher a réussi à concevoir un shampoing à base d’algues, pourquoi moi je n’arriverais pas à fabriquer la première peinture écologique à base d’algues ?“ », se souvient l’entrepreneur.
Les algues présentent en effet de nombreux avantages : elles ne nécessitent pas d’engrais, pas de pesticides, pas d’eau douce et n’empiètent pas sur les réserves foncières destinées à l’agriculture.
Après plusieurs années de recherche et développement, notamment auprès du Centre d’Etudes et de Valorisation des Algues (CEVA), et grâce au soutien de la Chambre de Commerce de Bretagne, le projet a été repéré par Leroy Merlin, qui a lancé et financé les phases test. En 2015, la société Algo Paint a pu voir le jour et s’installer près de Rennes, à Vern-sur-Seiche.
Une matière première naturelle et locale
Pour produire la peinture, les petites plantes vertes sont récoltées de mai à octobre sur le littoral breton par les goémoniers et acheminées dans des centres de transformation. Les algues rouges sont récoltées sur la côte sud, et les algues brunes sur la côte nord essentiellement. « Plus que de l’économie circulaire, on peut parler de filière courte», se félicite Lionel Bouillon.
Les algues sont ensuite lavées à l’eau claire, séchées à basse température, broyées, distillées afin de récupérer une huile utilisée dans l’agroalimentaire et les cosmétiques. Mais la distillation génère aussi un co-produit, un « déchet » qu’Algo Paint a décidé de valoriser.
Cette poudre issue des algues, a l’avantage de remplacer les charges et les additifs des peintures conventionnelles et d’apporter de l’opacité aux produits. Les peintures présentent d’ailleurs un bon rendement grâce à cette matière première bretonne : 12m² pour un litre, alors que la moyenne des peintures chimiques est fixée à 10m² par litre environ.
Préserver la qualité de l’air intérieur
Pour les autres ingrédients que l’on retrouve dans une peinture classique, la société privilégie les composants naturels. Comme l’eau pour les solvants, une résine bio-sourcée à 98% pour le liant, et des pigments naturels pour les colorants, tels que l’ocre du Roussillon. L’entreprise projette aussi de lancer dans quelques mois une gamme avec des plantes tinctoriales (plantes dont certaines parties peuvent servir à préparer des colorants et des teintures, ndlr). Seuls les conservateurs, à hauteur de 2% dans la composition, ne seront pas d’origine naturelle.
Grâce à ces ingrédients, ces peintures émettent ainsi moins de 0,5 grammes par litre de composés organiques volatils (COV), ces composés, classés perturbateurs endocriniens, qui s’évaporent des peintures et qui participent à la pollution de l’air intérieur. Du fait de la dangerosité de certains composants des peintures, un étiquetage aux émissions de polluants volatils est obligatoire pour les fabricants depuis 2012. Mais comme l’a révélé l’UFC-Que choisir, qui n’hésite pas à parler de « belle occasion ratée », « les valeurs limites retenues pour étiqueter un produit en classe A+, c’est-à-dire à très faibles émissions, ou en classe A, à faibles émissions, sont bien trop élevées pour protéger les consommateurs. » Car un produit classé A est autorisé à émettre jusqu’à 60 µg/m3 de formaldéhyde, substance catégorisée cancérigène certain, et 1 500 µg/m3 de composés volatils.
« Une petite sardine » face à des « grosses baleines »
L’entreprise présente à ce jour 140 teintes dans son catalogue, mais seulement 20 en magasin. Les demandes spécifiques sont alors commandées en ligne et préparée dans un Établissement et service d’aide par le travail (ESAT) à Cesson-Sévigné, près du siège, tandis qu’un autre ESAT localisé à quelques kilomètres lui aussi se charge du conditionnement. « Cette collaboration locale avec des personnes en situation de handicap s’inscrit dans la démarche sociétale de l’entreprise », assure Lionel Bouillon.
Plus chers globalement que les peintures classiques – le pot de 0,5 litres Algo coûte 18,90 euros – les prix restent compétitifs comparés aux grandes marques. Pour autant, l’entreprise bretonne ne souhaite pas communiquer sur ses chiffres de vente. « On est une petite start-up, une petite sardine, et en face de nous on a de grosses baleines, qui nous voient se développer, et nous on ne veut pas être écrasé par une grosse baleine », explique avec métaphore Lionel Bouillon, qui rappelle que le monde de la peinture est dominé par cinq grands groupes internationaux, comme Azco Nobel et PDG Industries qui pèsent à eux deux plus de vingt milliards d’euros.
En France, d’autres petites entreprises ont investi le segment des peintures bio-sourcées, telles que Colibri, Argilus ou encore Anachromie. Parmi les alternatives aux composants issus de la pétrochimie employées, on retrouve l’huile de lin, l’argile ou encore des coquilles Saint-Jacques, dernière innovation d’Algo.
Pour aller plus loin
« Peindre en préservant la qualité de l’air intérieur », rapport du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) de 2019
Medieco, bureau de conseil en ingénierie de santé dans le cadre bâti et urbain