Depuis 2016, l’association Entourage met à profit internet dans plusieurs villes françaises pour accompagner les plus démunis dans leur réinsertion sociale. Reportage
« Avec ou sans le moral j’essaye de garder le sourire et positiver même si ce n’est pas toujours facile. Mais justement une petite discussion, un échange, un regard, c’est un grand shoot de motivation pour le reste de la journée », confie Jimmy, un homme de la rue discutant avec Léa, Manon et Aina, ambassadeurs de l’association Entourage à Rennes.
Alors qu’il avait depuis 6 mois tissé une amitié avec un sans-abris « toujours tout sourire », qu’il croisait chaque jour en se rendant à son travail, Jean-Marc Potdevin le revit un matin d’hiver en larmes, les dents cassées suite à une agression . « Comment veux-tu que je sourie si maintenant je ne peux même plus manger mon sandwich », lui dit-il.
A cette époque le futur fondateur de l’association créée en 2016, ne savait pas vers qui se tourner ni quelles structures solliciter pour aider son ami. Il prit alors l’initiative de lancer une bouteille à la mer sur les réseaux sociaux demandant si un dentiste pouvait recevoir cet homme en détresse. Un appel payant qui sonna comme un déclic.
La volonté de créer une plateforme d’entraide et un réseau pour les personnes précaires et isolées était née. « Nous sommes tous hyper connectés aujourd’hui mais les réseaux sociaux nous enferment avec ceux qui nous ressemblent. On rêve avec Entourage d’avoir deux mondes qui ne se connaissent pas mais qui partagent le même trottoir », argumente Jean-Marc Potdevin.
« Le premier pas vers l’activisme c’est un bonjour, un sourire »
Entourage s’articule ainsi autour d’une application qui permet à des personnes dans le besoin de faire une demande de vêtements, de logement, de nourriture que n’importe qui peut consulter et accepter. Mais c’est surtout l’occasion de créer une rencontre, un échange entre le demandeur et l’offreur. Car l’objectif premier est de créer du lien et de la chaleur humaine. Entourage ne se limite pas à cette application et agit de façon complète par le biais d’un spectre large d’actions allant de la sensibilisation du grand public à la réinsertion sociale de personnes en situation précaire.
« Le premier pas vers l’activisme c’est un bonjour, un sourire, un contact visuel. Ça ne parait rien mais c’est déjà énorme », dit Quitterie Ducret, responsable du déploiement de l’association en Ille-Et-Vilaine. C’est ce à quoi sensibilise le guide créée par Entourage « simple comme bonjour » et qui constitue pour eux le premier palier à franchir.
Des rencontres nomades, pour ne pas dire maraude sont également organisées. Autour d’une soupe, d’un thé, d’un café, les ambassadeurs discutent et prennent le temps d’échanger avec ceux qui le veulent.
Ce jour-là, malgré l’humeur changeante du temps passant du vent aux nuages, des nuages à la pluie et de la pluie à la grêle, c’est avec Jean-Pierre, sans abris depuis 25 ans et célébrité locale rennaise que Léa, Manon et Aina passèrent le plus de temps. Au détour d’un thé vert, Jean Pierre partage les quelques vers qu’il avait écrit le matin même avachi contre l’arbre à qui il a donné vie : « Sous mon arbre paresseux j’étais cool, c’est bien ça se déroule. De temps en temps je lui parle, quelque fois il verse des larmes. Mais en vieillissant il rend ses armes ».
« Le but c’est vraiment de les accompagner dans un réseau chaleureux où ils ne vont pas se sentir jugés et ramenés à leur situation sociale », précise Quitterie Ducret.
Ambassadeurs Entourage
Une plateforme dédiée
Entourage ne cesse d’innover notamment avec la plateforme de réinsertion sociale Linkedout en développement. L’association aide ainsi les personnes en situation précaire à développer leur CV, les accompagner dans leurs démarches, tout en accompagnant également des entreprises à leur embauche, pour leur expliquer leurs différences, leurs forces, et comment les aborder. Une promotion de 80 personnes a récemment fini sa formation parmi lesquels 55 ont trouvé un travail, à l’image de l’un des participants qui brasse aujourd’hui des bières à Lille.
Les restrictions sanitaires actuelles ont poussé l’association à se réinventer, se réorganiser. Alors qu’ils proposaient auparavant de nombreux évènements et activités, comme des soirées jeux ou musique, aujourd’hui ils ont multiplié les rencontres nomades, et également créé « Bonnes ondes » grâce à quoi il est maintenant possible d’être actif à distance.
« Les confinements ont multiplié les cas d’isolement et de détresse sociale, nous avons voulu mettre en place quelque chose qui pourrait pallier ce problème », explique Quitterie. Avec l’initiative Bonnes ondes, Entourage rassemble un petit groupe de personnes localement proches, où un habitant isolé entre en appel plusieurs fois par semaine avec deux citoyens volontaires dans le simple but de discuter, prendre des nouvelles et apprendre à se connaitre.
« Nous ne voulons pas que ces relations se cantonnent à quelques appels, nous voulons créer de véritables amitiés. De belles histoires sont déjà nées comme ça, je peux prendre l’exemple de Rozane et sa bande qui continuent de se voir, qui dînent ensemble, font des randonnées », affirme la responsable en Ille-Et-Vilaine.
Devenir acteurs
D’après les chiffres de la fondation Abbé Pierre, au moins 300 000 personnes seraient sans abris en France. Les chiffres ne cessent d’augmenter. Toutes ces femmes, hommes et enfants aux destins uniques sont presque devenus invisibles par leur statut social. Un simple signe de reconnaissance et d’existence dans une société où l’ignorance, la gêne et l’exclusion à leur égard sont encore trop présents, constitue déjà une grande avancée. « L’humain est un être de relation, à quoi bon me lever, me laver, me nourrir, m’en sortir si je n’existe pas. L’amitié est tout aussi important qu’un toit et un repas », déclara le fondateur d’Entourage à l’occasion d’une conférence.
L’association est présente à Paris, Lyon, Grenoble, Lille et Rennes. L’application compte 130 000 utilisateurs, les ambassadeurs sont au nombre de 180. Ils sont ainsi nommés par leur implication qui va au-delà du statut de bénévole ; ils sont porteurs d’un message, ils ont une mission de sensibilisation auprès de leurs proches, de leurs écoles et de leur travail.
Aina et Manon, ambassadeurs à Rennes tout en étant étudiant.e.s en mécanique et en droit prennent par exemple 2 à 6 heures de leur temps par semaine alors que Léa, au chômage partiel en vue des restrictions actuelles s’implique davantage. Pour eux, une chose est certaine, leur implication leur apporte tout autant que ce qu’ils peuvent apporter : « Le fait d’accompagner sans se placer en supérieur ou en sauveur donne du bien-être, créer du lien que l’on vit aussi en retour. Même lorsque nous enlevons notre badge associatif nous restons en contact avec eux ».
Des associations pour aller plus loin :
