Faut-il vraiment que « le masculin l’emporte sur le féminin » ? Au delà des « règles », la langue est une matière vivante, d’une créativité infinie. Pour porter les revendications philosophiques et sociales contemporaines, instituer l’égalité femmes-hommes ou l’existence d’un troisième genre, le français inclusif et le genre grammatical neutre font de la résistance.
L’avis d’Éliane Viennot, professeuse1 émérite de littérature de la Renaissance
On parle d’« écriture inclusive » mais cette démarche est valable aussi pour l’oral ; il s’agit de ne parler des femmes qu’au féminin, de les nommer quand on évoque des populations mixtes : dire « les étudiantes et les étudiants » ou du moins les évoquer (« la communauté étudiante »). C’est aussi refuser que « le masculin l’emporte sur le féminin », dogme mis au point au xviie siècle et toujours enseigné. La solution la plus simple, employée par Racine ou Montaigne, c’est l’accord de proximité. Par exemple : « les veaux et les vaches sont mortes » ou « les vaches et les cochons sont morts ». Le dernier mot écrit ou prononcé donne ses marques. Autre possibilité, l’accord au choix. On peut estimer que dans l’énumération, il y a un nom plus important parce qu’il représente une plus grande quantité, ou par préférence personnelle. Il n’y a aucune raison d’écrire « la vieille dame et son déambulateur ont été percutés » : le déambulateur n’est pas plus important que la vieille dame ! Le langage inclusif, c’est aussi ne pas utiliser le mot « homme » quand on parle de l’humanité. Donc, « les droits humains », « l’humain de Néandertal », etc.
À l’écrit, il y a un élément supplémentaire : l’abréviation pour les doublets (les Français·es, les étudiant·es). C’est le ministère de l’Intérieur qui l’a inventée il y a cinquante ans, pas les féministes ! Si vous regardez votre carte d’identité, vous verrez qu’il y est écrit « né(e) ». Les féministes ont amélioré le système parce que la parenthèse n’est pas satisfaisante. Mais le point médian n’est qu’une abréviation, on n’est jamais obligé·e de l’utiliser. Il faut en populariser les meilleures pratiques. C’est normal que les gens ne les connaissent pas puisqu’elles ne sont pas enseignées. Il s’agit de retrouver les ressources de notre langue, les trois quarts sont là. Quand on parle de féminiser la langue, c’est une erreur.
L’idée d’aller vers un langage non sexiste est propre à notre temps. On n’a pas eu cette idée avant parce qu’on ne vivait pas dans une société égalitaire. Aujourd’hui, une collectivité, une entreprise qui communique en langage inclusif manifeste publiquement sa volonté de s’adresser aux électrices, aux habitantes, de s’intéresser à leurs problèmes. Et c’est important aussi pour les gens qui travaillent dans la structure. Cela autorise les salarié·es à exiger plus d’égalité dans d’autres domaines : on ne peut pas adopter le langage inclusif et refuser l’égalité salariale, par exemple. On peut prendre la direction à son propre jeu, la mettre face à ses responsabilités.
C’est un acte politique de vouloir que l’égalité continue de progresser partout. Donc on veut des textes égalitaires dans les lois, la Constitution et la devise nationale. La « fraternité » n’a rien à y faire. Pour la remplacer, le mot « solidarité » est là, il suffit de le mettre au bon endroit.
- Ce texte est rédigé en langage inclusif.
Pour aller plus loin
www.elianeviennot.fr
Bio express
1951 :Naissance à Lyon
2008 : Chevalière de la Légion d’honneur
2014 : Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française (Éditions iXe)
2018 : Le langage inclusif : pourquoi, comment (Éditions iXe)
L’avis d’Alpheratz, enseignanx-cherchaire1 spécialiste du français inclusif et du genre neutre
Le genre neutre est une catégorie grammaticale qui fait partie du français inclusif. Il existait déjà en ancien français, avec le pronom personnel « el » et ses variantes « al » et « ol » par exemple. On voit cependant au xxie siècle l’apparition de néologismes et divers procédés langagiers. Les plus connus sont l’introduction de caractères typographiques au sein des mots, par exemple « lecteur·rice ». Des morphèmes sont spécifiques au genre neutre : le « x » ou le « z », par exemple « je suis contenx », « les propos et affirmations nuancez » (Céline Labrosse). Il y a aussi la ligature « æ » : « je suis blessæ », où la prononciation est similaire au féminin ou au masculin. Puis on voit l’apparition de mots-valises comme « lecteurices ». Et je propose le mot « lectaire », comme le terme « destinataire » : on ne sait pas de quel genre sont les personnes évoquées.
Parfois, les marques du neutre sont prononcées, parfois non, cela dépend de chaque politique linguistique individuelle. Les personnes se réapproprient une langue qui a été confisquée par les élites au pouvoir qui ont imposé l’idée que seul un « bon usage », défini par elles, devait exister. Les peuples qui créent des langues inclusives sont en train d’abandonner cela.
On ne parle jamais de l’aspect identitaire, intime et politique de l’utilisation du français inclusif. Par le genre neutre s’exprime une identité non reconnue politiquement en France : le genre social neutre ou non binaire. En revanche, nous avons la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 qui reconnaît le droit à une identité de genre, mais qui ne dit jamais que celle-ci doit être masculine ou féminine. Par ailleurs, la France appartient à l’Union européenne, qui elle, dans ses résolutions 2048 et 2191, recommande à ses États membres de reconnaître le droit à l’autodétermination de genre et la création d’une troisième option.
En plus d’une identité personnelle et intime se jouent des enjeux politiques et anthropologiques conséquents à travers l’utilisation du genre neutre. On voit des enfants qui réclament aujourd’hui de changer de genre très jeunes. Ce « trouble dans le genre » (Judith Butler) commence à se poser de façon concrète aux législataires et à touz les actaires de la société.
On sort de la collectivité, je crois, quand on utilise du neutre. Pour créer une autre idée de la collectivité bien sûr, mais il faut assumer de sortir de celle qu’on nous vend actuellement. La bonne nouvelle, c’est qu’on est nombreuz à pratiquer ces usages. Car si on estime qu’être non binaire, c’est refuser les stéréotypes de genre, ça englobe beaucoup de monde ! Ces débats conduisent à une redéfinition de ce que sont le féminin et le masculin. Être une femme, un homme, ça n’a plus rien à voir avec ce que c’était dans la Rome antique, ni même au siècle dernier. Tout cela est en mouvement perpétuel. C’est pourquoi le genre est qualifié de « fluide » parce qu’il peut évoluer en fonction du développement de l’individu. Le genre est en réécriture permanente.
- Ce texte est rédigé en français inclusif selon les régularités de la Grammaire du français inclusif d’Alpheratz.
Pour aller plus loin
www.alpheratz.fr
Bio express
1970 : Naissance
2015 : Requiem, roman qui introduit le pronom de genre neutre « al » en littérature
2018 : Grammaire du français inclusif (Vent Solars), écrite au genre neutre
2019 : Enseigne la linguistique, la sémiotique et la communication à Sorbonne Université