Quand la majorité des parents perpétuent la tradition du Père Noël, certains préfèrent s’en défaire et expliquer dès le départ à leurs enfants que le Père Noël n’existe pas. Faire croire ou ne pas faire croire ? La question anime chaque fin d’année parents et psychologues !
Se lever la nuit pour déposer discrètement les cadeaux au pied du sapin, laisser un tissu rouge près de la cheminée, vider le verre de lait offert au Père Noël, émietter quelques restes de carotte laissés pour les rennes… La nuit du 24 au 25 décembre, les parents déploient des trésors d’imagination pour faire croire aux enfants que le Père Noël est passé. « Le mythe du Père Noël est un rite familial qui s’est imposé au milieu du XIXe siècle dans la plupart des pays occidentalisés avec l’apparition d’un personnage bienveillant qui apporte des cadeaux [lire encadré], explique Dominique Tourrès, pédopsychiatre, psychiatre et psychanalyste. C’est un rite de plaisir autant pour les enfants que les parents qui retombent en enfance et leur transmettent un monde de rêverie. »
Est-il pourtant sain pour le développement de son enfant de transposer un personnage fictif dans le réel quand lui-même ne peut pas bien faire la part des choses ? « C’est un “mensonge” sans danger qui stimule l’imaginaire de l’enfant, répond Dana Castro, psychologue-clinicienne et psychothérapeute, autrice de Petits silences, petits mensonges. Le jardin secret de l’enfant (Albin Michel, 2012). Toutefois, dans Pédagogie scientifique, Maria Montessori écrivait déjà à propos du Père Noël : « Mais comment ce qui est le fruit de notre imagination pourrait-il développer l’imagination des enfants ? Nous seuls imaginons et non eux : ils croient, ils n’imaginent pas. » Inspirés de sa pédagogie, les créateurs du blog Famille épanouie, Fabien et Émilie, parents de trois enfants, ont fait le choix de ne pas célébrer ce mythe collectif : « Nous ne voulions simplement pas mentir à nos enfants et jouer avec leur crédulité, explique Fabien. Le but, c’est vraiment de ne pas créer de faux espoirs et provoquer une forte désillusion en découvrant la vérité. »
Le Père Noël : un rite initiatique ?
Cette désillusion, Floriane, mère d’un fils de 4 ans, l’a vécue elle-même à l’âge de 6 ans : « Sur le moment, je me suis sentie trahie, écrit-elle sur son blog Parents naturellement. Comment réagir lorsque l’on se rend compte que les personnes à qui on fait le plus confiance nous ont caché un si gros secret pendant si longtemps ? Un enfant ne peut rester indifférent à cela. C’est un risque que je ne veux pas prendre. »
« Il est tout à fait compréhensible de ne pas vouloir reproduire la croyance auprès de ses enfants si cela reste un souvenir désagréable, souligne Dominique Tourrès. Mais si certains peuvent vivre cette découverte comme une trahison, la majorité des enfants l’acceptent très bien et comprennent qu’ils font maintenant partie des initiés, des “grands”. » Une étape de désillusion nécessaire au développement de l’esprit critique de l’enfant, selon la psychiatre : « Le mythe du Père Noël est un rite initiatique pour les enfants qui n’ont pas atteint “l’âge de raison” [vers 7 ans, NDLR] puisqu’ils font l’expérience de la réalité au fur et à mesure qu’ils découvrent les incohérences de l’histoire, avec des déductions logiques ou par des conversations avec leurs camarades. Aux parents ensuite d’accompagner ce passage de l’illusion à la réalité et de ne pas persévérer dans le mensonge face à un enfant qui a des doutes. »
« Le cadeau ne doit pas être le résultat d’un comportement attendu »
Si le Père Noël peut stimuler l’imaginaire des enfants et les aider à grandir, il peut aussi devenir un moyen de chantage : « Sois sage, sinon le Père Noël ne passera pas ! », menacent certains parents. « La psychanalyse n’est pas très favorable à cette notion du bien et du mal que l’enfant peut intégrer comme “Il faut faire cela pour plaire ; si tu ne fais pas cela, tu ne seras pas digne d’amour…”, détaille le psychanalyste et praticien en psychothérapies Christophe Perrot. Le cadeau ne doit pas être le résultat d’un comportement attendu. Et d’autres enfants qui auraient été sages ne vont pas comprendre pourquoi ils n’ont pas reçu ce qu’ils voulaient. » Une autre raison pour Floriane de s’être défaite de la tradition du Père Noël : « On fait croire aux enfants que tous ces cadeaux tombent littéralement du ciel. Et ensuite, on se plaint qu’ils deviennent des “enfants gâtés” qui réclament toujours plus de cadeaux, ne se rendent pas compte de leur valeur, manquent de reconnaissance envers ceux qui leur offrent… »
D’autant plus que la figure du Père Noël, bien que véhiculant les symboles de la générosité et du don, est intimement liée à la société de consommation avec la frénésie d’achat de cadeaux. « Il est compréhensible que cette image rebute certains parents, car elle va à l’encontre de leurs valeurs, précise Christophe Perrot. Le problème n’est pas dans la figure même du Père Noël, mais dans le fait de ne pas intégralement satisfaire le désir de l’enfant ; sinon il reste tout puissant en intégrant l’idée de “ce que je demande, je l’obtiens”. »
« C’est l’esprit de Noël qui est essentiel »
« C’est important pour nous de sensibiliser nos enfants à l’aspect mercantile et commercial de l’événement, souligne Catherine, mais cela ne nous empêche pas de les faire rêver avec des histoires de Père Noël. On leur fait partager cette croyance plus comme un conte ou une histoire. Quand ils me disent : est-ce que le Père Noël existe ? Je ne réponds jamais “oui”, mais : “et toi, qu’en penses-tu ?” Et s’ils insistent : “C’est une histoire un peu magique, tu es libre d’y croire si tu le souhaites, ou pas.” »
Une histoire magique au même titre que La Petite Sirène et Le Petit Chaperon rouge pour Dana Castro : « La notion de “faire croire” est un peu autoritaire, je préfère “raconter l’histoire du Père Noël” qui est magique, comme tout conte inscrit dans la culture familiale, souligne-t-elle. Finalement, libre à chacun de faire croire ou non au Père Noël puisque c’est l’esprit de cette fête qui est l’essentiel : décorer et ouvrir les cadeaux ensemble et se retrouver en partageant un moment intergénérationnel. »
Par Maëlys Vésir
L’invention du Père Noël
Inspiré de saint Nicolas, la figure moderne du Père Noël apparaît en 1823 dans le poème La Nuit avant Noël du pasteur américain Clement Clarke Moore, publié dans le journal new-yorkais Sentinel. Dans ce poème qui fit le tour du monde, un bonhomme à barbe blanche, assis dans un traîneau tiré par des rennes, apporte des cadeaux aux enfants le soir de Noël. De 1862 à 1886, l’illustrateur Thomas Nast réalise trente-trois dessins sur le thème de Santa Claus dans le journal américain Harper’s Illustrated Weekly, où il invente que le Père Noël habite au pôle Nord. Il façonne graphiquement le Père Noël et change régulièrement les couleurs de son costume dont le rouge qu’on lui connaît. C’est en 1931, qu’une publicité de Coca-Cola qui démocratise les couleurs rouges et blanches actuelles du Père-Noël. La marque s’empare alors du mythe devenu populaire et habille le vieillard à ses couleurs en le faisant boire la célèbre boisson pour qu’il reprenne des forces pendant sa distribution de jouets… par milliers !
En savoir plus :
Retrouvez cet article dans notre dossier spécial « Préparer un Noël écologique » dans le numéro 47 de Kaizen !
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