Depuis près de six mois, des revendications sociales traversent le pays, sans qu’un dialogue ne parvienne à prendre forme au sein de la société. Liant crises démocratique, écologique et sociale, le collectif Gilets Citoyens propose la constitution d’une assemblée citoyenne.
Gilets Jaunes : acte XXVIII. Cela fait 28 samedis consécutifs que la contestation sociale gronde dans des rues de France, demandant plus de justice fiscale, environnementale et démocratique. Le dialogue semble rompu entre une partie des Gilets Jaunes et les institutions politiques.
Une crise de la démocratie, à laquelle Emmanuel Macron a tenté de répondre par l’annonce de mesures lors des vœux du 31 décembre 2018. Mais celles-ci n’ont pas convaincu.
Deux semaines plus tard, le président lançait la plateforme en ligne du Grand Débat national, pour une consultation citoyenne à grande échelle. Près de 2 millions de contributions ont été déposées en ligne, autour de quatre thèmes : la transition écologique, la fiscalité et les dépenses publiques, la démocratie et la citoyenneté, l’organisation de l’État et les services publics.
En parallèle, les mairies ont mis à disposition des cahiers citoyens, et plus de 10 000 réunions d’initiative locale ont été organisées sur l’ensemble du territoire.
Le 8 avril 2019, près de 1 500 pages de synthèse ont été restituées au Président de la République, qui en a tiré des « orientations » pour la suite de son quinquennat, présentées lors d’une allocution le 25 avril 2019.
Une convention citoyenne contre les « angles morts » des politiques publiques
Parmi ces orientations, Emmanuel Macron annonce souhaiter « changer la démocratie en profondeur » tout en faisant face à la transition écologique.
Le Président de la République a ainsi annoncé la mise en place d’un Conseil de Défense Écologique (dont la première réunion a eu lieu jeudi 23 mai), rassemblant douze ministres pour coordonner leur action écologique.
Emmanuel Macron envisageait également de faire participer des citoyen.ne.s au Conseil Économique, Social et Environnemental (le CESE) « pour représenter la société dans sa diversité ». Dès le mois de juin, 150 Français.es seraient tiré.e.s au sort pour constituer un Conseil de la participation citoyenne, qui lèverait le voile sur les « angles morts » des politiques publiques.
Une annonce peu développée, mais qui a fait mouche auprès du collectif Gilets Citoyens.
Ce collectif a été créé en 2019 par certaines personnalités à l’origine d’une lettre ouverte destinée au Président de la République, publiée le 23 janvier 2019. À travers cette lettre, des militant.e.s de mouvements sociaux, écologistes, pour la démocratie, mais aussi des universitaires et des élu.e.s établissaient des conditions de « réussite du Grand Débat national ».
L’idée d’une « assemblée réunissant quelques centaines de personnes, bénéficiant d’un temps suffisant et suivant une méthodologie rigoureuse ayant fait ses preuves » y figurait déjà. Les signataires annonçaient même avoir amorcé des réflexions sur la mise en place d’une telle assemblée, dans le cas où le gouvernement ne s’engagerait pas en ce sens : « Notre pratique démocratique doit devenir plus régulière, plus concrète, à toutes les échelles et sur tous les thèmes ! », peut-on lire dans la lettre ouverte.
« Il ne s’agit pas de reproduire le fiasco du Grand Débat »
À la suite de l’allocution présidentielle du 25 avril jugée incomplète, le collectif Gilets Citoyens a précisé la proposition de convention citoyenne. Une proposition ambitieuse, qui tire des enseignements de la consultation menée par Emmanuel Macron. « Il ne s’agit pas de reproduire le fiasco du Grand Débat, met en garde Priscillia Ludosky, membre du collectif Gilets Citoyens et figure des Gilets Jaunes. Nous avons défini des « lignes rouges », des conditions de réussite de cette convention citoyenne. Les respecter signifiera que le gouvernement a une vraie volonté de faire les choses correctement. »
Le principe de cette convention citoyenne est de tirer au sort 150 citoyen.ne.s, pour se saisir de sujets qui ne font pas consensus au sein de la société. En termes d’écologie par exemple, « il ne faudrait pas parler de chaudières », ironise Priscillia Ludosky, la nécessité d’une meilleure isolation thermique étant partagée par tous. Le gouvernement adresserait une lettre de mission à la convention, qui prendrait ensuite six mois pour aborder les différents aspects du sujet et soumettre des mesures.
Ces mesures seront ensuite soit traitées par voie réglementaire, soit soumises au vote du Parlement, soit proposées dans un référendum. Cette répartition des mesures devra être précisée par la convention citoyenne. Cependant, comme le rappelle Priscillia Ludosky, « à la fin, c’est le Président qui a le pouvoir, d’un point de vue constitutionnel. »
Pour mener à bien ce projet, Priscillia Ludosky estime à 5 millions d’euros le budget à allouer. Un budget qui pourrait grossir si le nombre de citoyen.ne.s tiré.e.s au sort augmentait, par souci d’une meilleure représentativité.
Du nucléaire au libre échange : pas de sujet tabou ?
Mais pour le moment, ces réflexions restent théoriques. Dans une interview accordée au Parisien dimanche 19 mai, le ministre en charge de la Transition Énergétique François de Rugy a tenté d’apporter des précisions sur la proposition d’assemblée citoyenne qu’a fait miroiter Emmanuel Macron en avril dernier. François de Rugy annonce que cette convention citoyenne sur le climat commencerait à travailler dès le mois de juin, et ce pendant six mois.
Les priorités affichées sont : un plan biodiversité, un plan climat, « puis d’autres sujets comme la rénovation thermique », précise le ministre, qui n’exclue pas que la question de la taxe carbone pourrait être remise sur la table. « Tant qu’il reste dans le cadre, à savoir réduire nos émissions de gaz à effet de serre, et qu’il respecte une responsabilité budgétaire (à chaque dépense, il faut créer une recette), il n’y aura pas de tabou », assure François de Rugy.
Pas si sûr, cependant. La convention citoyenne pourra-t-elle traiter de la question du nucléaire par exemple ? Ou revoir les traités européens de libre-échange ? Pour le savoir, la lettre de mission qu’espère le collectif Gilets Citoyens devra être particulièrement limpide sur les sujets à aborder. Une limpidité dont ne fait pas encore preuve le gouvernement d’après Priscillia Ludosky, alors que nous sommes à moins d’un mois du lancement annoncé de cette convention citoyenne.
Se saisir de son pouvoir de citoyen.ne
En attendant plus de précisions de la part d’Emmanuel Macron, la proposition des Gilets Citoyens pourrait-elle apporter des réponses à la crise démocratique qui secoue le pays ? En instaurant cet outil de démocratie directe, en permettant à des citoyen.ne.s de prendre part à la proposition de mesures concrètes, cet outil pourrait redonner confiance en l’appareil démocratique. Le collectif envisage une campagne de médiatisation d’envergure pour que tous les Français.es se saisissent des questions abordées dans la convention citoyenne. Il faudrait également que chacun.e puisse à son tour émettre des suggestions à la commission.
Mais pour Priscillia Ludosky, mettre en place une convention citoyenne ne suffira pas à répondre aux attentes des Gilets Jaunes. D’après elle, si certain.e.s pourront y voir une possibilité de faire porter des revendications, ce sont des mesures fiscales fortes qu’attendent les Gilets Jaunes. « On aura peut-être avancé sur le volet démocratique, concède-t-elle. Mais on aurait voulu un abaissement des taxes sur les produits de première nécessité, ce qui serait une réponse rapide pour remplir le frigo. »
Néanmoins, la mise en place d’un tel outil démocratique nouveau pourrait ouvrir la voie à d’autres – à l’instar du référendum d’initiative citoyenne (le RIC), l’une des revendications fortes des Gilets Jaunes. Priscillia Ludosky admet que ces deux outils pourraient être mobilisés de manière complémentaire. Dès qu’une pétition serait lancée et obtiendrait un certain seuil de signatures, cela déclencherait la mise en place d’une convention citoyenne. Celle-ci débattrait de la proposition, puis la soumettrait à un référendum. Une alliance de deux outils de démocratie directe, promesse de propositions fortes émergeant de la société civile. Par exemple ? L’inscription de l’état d’urgence climatique dans la loi, une mesure portée par de nombreuses figures politiques et par le collectif Gilets Citoyens, pour mettre la France à la hauteur de son objectif de « championne de la Terre »…
Par Cypriane El-Chami
Pour en savoir plus :
La convention citoyenne des Gilets Citoyens à la loupe
La thématique débattue par cette assemblée serait définie par une lettre de mission rédigée par le gouvernement. Le collectif Gilets Citoyens donne pour exemple : « quelles mesures structurantes pour parvenir à réconcilier fin du monde et fin du mois afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France d’au moins 50 % d’ici 2030 (par rapport à 1990) ? » Deux comités accompagneraient les citoyen.ne.s dans cette tâche :
- Un comité de pilotage mixte : constitué à ⅓ de membres du CESE, ⅓ de spécialistes de la transition écologique et ⅓ spécialistes de la démocratie participative et délibération citoyenne. Ce comité serait en charge des choix méthodologiques et du contenu des dossiers. Le gouvernement nomerait un président ou deux co-présidents de ce comité parmi une liste dressée par le comité de garants.
- Un comité de garants : constitué de 3-6 chercheur.se.s et/ou spécialistes des questions démocratiques et écologiques. Ils et elles seraient choisi.e.s par l’association Démocratie Ouverte et le collectif Gilets Citoyens. Ce comité évaluerait en temps réel le travail de la convention citoyenne
Un conseil médiatique, composé des présidents de France Télévision et Radio France, ainsi que 3-8 experts des médias seraient également choisis par le comité de pilotage. Ce conseil conseillerait le comité de pilotage pour s’assurer d’une couverture médiatique massive et transparente.
Qui participerait à la convention citoyenne ?
- 150 citoyen.ne.s tiré.e.s au sort, sélectionné.e.s avec un système de quotas par souci de représentativité
- Des citoyens défrayés et rétribués, comme une journée de salaire
Quand la convention citoyenne aurait-elle lieu ?
- Le processus de tirage au sort durerait au moins deux
- Les délibérations dureraient au moins six mois
- Chaque thème de délibération serait traité pendant trois week-ends
- Le premier week-end de délibération se tiendrait fin août ou début septembre au plus tôt
- Un référendum serait déclenché avant fin 2020
Quelle serait l’issue aux délibérations ?
Aboutir à des propositions qui seraient soit soumises à référendum, soit au vote du Parlement, soit au règlement direct. La convention citoyenne serait assistée par des juristes et/ou administrateurs pour que les propositions soient directement applicables.
Quelles sont les cinq lignes rouges à respecter ?
Le collectif Gilets Citoyens envisage cinq fondamentaux méthodologiques pour assurer le bon déroulé de la convention citoyenne :
- un engagement politique et financier
- ne pas confondre urgence et précipitation
- indépendance : pas d’interférence gouvernementale
- une représentativité maximale
- une médiatisation massive
Pour aller plus loin sur la convention citoyenne ou sur la déclaration d’état d’urgence climatique, rendez-vous sur le site du collectif Gilets Citoyens !
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