Universitaire spécialisé en permaculture, Rob Hopkins est aussi un pionnier du mouvement des villes en transition. Face aux défis du changement climatique et du « pic pétrolier », le britannique imagine et théorise un scénario de descente énergétique à l’échelle des communautés locales.
En Angleterre, la petite ville de Totnes, 8.000 habitants et pilote du projet depuis 2006, a ainsi joyeusement adopté énergies renouvelables, monnaie locale et potagers urbains. Une multitude d’initiatives portées par les habitants eux-mêmes afin de réduire leur dépendance au pétrole au profit d’une résilience locale. Plus de 2.000 « transition towns » ont depuis essaimé partout dans le monde, dont plus d’une centaine en France.
A l’occasion d’une tournée de conférences à travers la France, co-organisée par le magazine Sans Transition !, Rob Hopkins est parti à la découverte des acteurs locaux de la transition. Rencontre à Rennes, au jardin en agroécologie des Mille Pas.
Qu’est-ce que la transition ? S’agit-il seulement de planter des carottes et d’installer des panneaux solaires dans son jardin ?
La transition, pour moi, est un mouvement de communautés qui réinventent et reconstruisent le monde. C’est une réponse positive, centrée sur les solutions, qui transforme les défis de notre époque en une opportunité de faire preuve de créativité et d’intelligence. Elle est conçue pour fonctionner à l’échelle d’une communauté locale. Objectif du processus ?
Créer des communautés plus résilientes, plus heureuses, plus nourrissantes, plus connectées et plus diverses.
Au sein du réseau du mouvement, les citoyens se réunissent pour travailler ensemble à bâtir quelque chose d’autre. Nourriture, énergie, bâtiment, éducation, économie… Les champs d’actions sont nombreux et variés. Le seul point commun à tous les groupes participants est qu’ils mettent en place des solutions concrètes à leur échelle. Aujourd’hui, sur toute la planète, il y a de nombreux exemples de groupes de transition qui mettent en oeuvre des projets incroyables et repensent l’économie de leurs territoires.
Rob Hopkins © Marion Dugrenier
Comment des initiatives locales peuvent permettre de répondre à des problèmes globaux ?
Soit on aborde la crise environnementale comme un gros problème global qui nécessite une grosse solution unique. Soit on l’aborde en se disant que, en réalité, la solution viendra d’une multitude de projets et d’initiatives différentes, mises en place par une multitude d’acteurs, unis par leur volonté de changer les choses. Le mouvement des villes en transition se fonde justement sur cette deuxième démarche.
Il s’agit de décentraliser la recherche de solutions. Les solutions sont multiples et prendront des formes différentes en fonction de l’endroit où elles sont implémentées. Ainsi, le système d’alimentation locale qui nourrira Rennes ne sera pas le même que ceux de Liège ou Amsterdam… Mais tous partageront certaines similarités. Nous pouvons – et nous devons – apprendre les uns des autres.
Il n’existe pas de solution miracle.
Il n’y a pas de modèle universel pour mettre en place un système alimentaire localisé dans toutes les villes du monde, par exemple. Chaque communauté assemblera son propre système, en fonction de sa culture, de ses besoins, de son territoire… C’est l’idée même de la transition. Nous avons un ensemble de principes simples, des valeurs et quelques outils. Chaque groupe de transition s’approprie à sa manière ces éléments et les assemble de façon unique.
Les communautés locales sont-elles l’entre-deux parfait entre les actions individuelles, souvent perçues comme insuffisantes pour répondre aux problèmes globaux, et les actions politiques, au fort potentiel mais qui peinent à se concrétiser ?
Si j’essaie d’agir tout seul, ce sera trop peu ; si j’attends que le gouvernement agisse, ce sera trop tard ! Mais si je rassemble des personnes pour qu’on agisse ensemble, il y a une chance pour que ce soit juste assez, et juste à temps. Cet adage est notre motivation au sein du réseau de la transition depuis le début.
Il y a d’un côté les actions individuelles, qui sont vraiment de bonnes choses : ne pas prendre l’avion, ne pas manger de viande ou manger local. De l’autre côté, il y a les actions prises par le gouvernement, qui avancent lentement. Et au milieu, il y a cette pièce cruciale du puzzle : ce que l’on peut faire tous ensemble si l’on a un peu d’imagination et de courage. Si toutes les villes agissent en ce sens, alors cela contribue réellement aux solutions globales.
Le Jardin des Mille Pas, à La Prévalaye, à Rennes © Marion Dugrenier
Peut-on se passer des institutions et des gouvernements, notamment de leur pouvoir et de leur argent, pour instiguer un changement significatif aujourd’hui ?
Vous n’avez pas à attendre la permission pour agir ! Vous n’avez pas besoin de la permission de votre municipalité, de l’Union européenne, ni de qui que ce soit. Commencez. Agissez à votre échelle. C’est ce que l’on a fait à Totnes. On fait sans se soucier que cela puisse ne pas fonctionner, on essaie et on voit ce qui arrive.
Il y a quelque chose d’un peu audacieux dans la transition.
Je pense que l’on peut faire beaucoup en tant que communautés, sans l’aide des gouvernements. On ne sait jamais précisément où sont les points de bascule. On ne sait jamais à partir de quel moment une idée ou un petit projet devient un courant dominant partout dans le monde. Aujourd’hui, certaines idées portées par les groupes de transition commencent à basculer, de la théorie vers le concret, partagé par un grand nombre de personnes.
Comment faites-vous pour rester optimiste sur un sujet aussi alarmant ?
L’auteur environnementaliste Paul Hawken a dit un jour :
Si vous n’êtes pas pessimiste après avoir lu des articles scientifiques sur l’état du climat, c’est que vous ne les avez pas bien lu. Et si vous n’êtes pas optimiste après avoir passé du temps parmi ceux qui essaient de faire quelque chose contre le changement climatique, comme je l’ai fait ces dernières semaines pendant mon tour de France, alors vous n’avez pas de cœur.
Nous ne savons pas à quoi le futur va ressembler. Peut-être que tout va s’effondrer, mais peut-être aussi allons nous imaginer une réponse historique, extraordinaire, intelligente et coordonnée. Avec assez d’imagination, de courage et de détermination, un sursaut est possible. Bien sûr, le pronostic n’est pas bon et la recherche scientifique autour du climat est terrifiante. Mais en même temps, les initiatives positives en faveur de l’environnement se multiplient et la conscience écologique émerge de plus en plus rapidement. De plus en plus de personnes dénoncent une situation climatique inacceptable et appellent à repenser notre système dans son ensemble.
J’ai l’impression que les prochaines cinq à dix années vont être une période extraordinaire. Peut-être que ce qui me rend si optimiste, c’est que j’ai envie d’être là assez longtemps pour le vivre. Je veux pouvoir dire à mes petits-enfants que j’ai joué un rôle là-dedans.
Pendant une semaine, avec le soutien du magazine Sans Transition !, Rob Hopkins est allé à la rencontre des acteurs locaux de la transition française. © Marion Dugrenier
Est-il plus facile de mobiliser les gens à « lutter pour » plutôt qu’à « lutter contre » ?
En fait, je pense que c’est le contraire. Les gens sont plus prompts à lutter activement contre un projet d’incinérateur de déchets derrière leur maison qu’à s’enthousiasmer pour faire du recyclage tous ensemble ! Nous sommes très bons pour résister et nous opposer. Cela se traduit aujourd’hui par d’excellentes campagnes contre le changement climatique, telles que les grèves des jeunes ou le mouvement Extinction Rébellion… Nous avons besoin d’un grand, beau et imaginatif « non », mais il doit toujours être accompagné par un grand, beau et imaginatif « oui ».
Et pour cela, nous devons devenir meilleurs à raconter des histoires où le futur tourne bien. Certes, les prévisions apocalyptiques motivent certaines personnes à agir – moi par exemple (rires). Je peux lire un article scientifique très déprimant sur l’état du climat et me dire « bon, allons planter des carottes ! ». Mais la plupart des gens sont apathiques devant les nouvelles catastrophiques qu’ils voient à la télévision.
Ce sont donc, selon moi, les récits positifs autour de la transition écologique qui sont les plus efficaces pour mobiliser.
Or, nous en avons très peu à l’heure actuelle, comparé aux récits dystopiques catastrophistes. Le mouvement environnemental a joué un grand rôle dans la diffusion de telles représentations. Aujourd’hui, nous avons aussi besoin d’histoires dans lesquelles l’avenir se révèle agréable et souhaitable. Nous devons donner vie à ce futur : comment nous nourrirons-nous ? Quels seront les sons et les odeurs ? Qu’est-ce que ce sera de vivre à cette époque ?
Manquons-nous d’imagination dans nos réponses au changement climatique ?
Le changement climatique est le plus gros échec d’imagination de l’histoire de l’humanité. Les générations futures – en supposant qu’il y en ait – regarderont en arrière et penseront : « Vraiment ? Vous n’avez pas réussi à gérer ça ? Vous aviez simplement à arrêter de brûler du pétrole, du gaz et du charbon. Ce n’était pas si compliqué… » Déclarer l’état d’urgence climatique invite à l’imagination. Est-ce que, par exemple, un objectif ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 90% d’ici 2035 ne serait pas une occasion historique pour redynamiser collectivement notre imagination ?
Propos recueillis par Marion Dugrenier
Voir aussi :
Villes en transition : la permaculture appliquée à nos cités
VIDEO. La transition selon Rob Hopkins
Paul Hawken : « Les humains sont motivés par les possibilités, pas par les problèmes »