L’humoriste Esta Webster innove en proposant des spectacles à la demande pour prévenir et informer sur des sujets allant de la contraception à l’économie sociale et solidaire en passant par l’agriculture bio. Découverte d’un spécimen décomplexé et détonnant.
Sur la vidéo, on la voit qui étire un préservatif. Et interprète une adolescente gênée, sommée d’énumérer à sa mère les méthodes contraceptives. Sa queue de cheval rouge dodeline à mesure qu’elle dégaine ses vannes et déclenche les rires. Bien à l’aise derrière ses lunettes rectangulaires, Esta Webster est humoriste à la demande, avec options information et sensibilisation. « Cette scène remonte aux années 2000, je ne la joue plus car les réactions sont maintenant différentes lorsque l’on montre un préservatif à des jeunes ! Je fais évoluer mes sketchs, ça me bouscule les neurones », se réjouit la professionnelle du rire.
Pour cette quadragénaire journaliste de formation, « l’humour est le meilleur moyen de prendre suffisamment de distance sur des sujets qui nous touchent trop ou qui sont trop lambda pour nous intéresser ». Depuis 1998, elle a créé 260 spectacles. D’abord intermittente du spectacle, puis présidente de son association, elle a fondé une entreprise individuelle en 2007. Ses sujets de prédilection ? L’égalité femmes-hommes, les addictions, les chocs générationnels et la contraception. En revanche, jamais elle n’a disserté sur le sida : « Ça ne me fait pas rire, ou les blagues ont déjà été faites. » Ni même sur les violences conjugales – « d’une extrême brutalité ». « Je ne suis ni maman, ni tata, je ne m’inspire jamais de mon histoire pour écrire, je me sers de la vie des autres », complète-t-elle.
Le rire pour informer et prévenir
Ses clients sont variés : des structures publiques, des mairies ou l’Éducation nationale ; des entreprises privées ou des associations. Mais, dans quasiment tous les cas, le spectacle d’Esta Webster est suivi d’un débat. Régulièrement, elle intervient pour les Centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), des structures qui sensibilisent les citoyens aux stéréotypes de genre et qui les orientent vers des interlocuteurs pour des sujets tels que la réinsertion professionnelle et les violences conjugales. Virginie Virey, directrice du CIDFF de l’Aube, reconnaît l’efficacité de la méthode Webster : « Elle innove pour parler de sujets tabous. C’est sa force. »
En général, le public – adultes et jeunes – se bidonne. Le message circule. Après quarante-cinq minutes de show, le terrain est lissé pour les juristes du CIDFF chargés d’informer sur l’accès au droit dans les domaines de la famille, du travail et de l’immigration. Ils animent la discussion et interpellent les spectateurs. « On se doit de chercher des outils différents, ludiques et pédagogiques, pour que le droit ne soit pas uniquement perçu comme rébarbatif. Esta donne à réfléchir et change les perspectives », confirme Virginie Virey.
En 2016, le Comité départemental olympique et sportif (CDOS) de la Meuse avait quant à lui commandé une représentation sur les clichés sur les femmes et le sport. Dans la salle, quatre-vingts personnes attentives : « On n’en rassemble qu’une quarantaine habituellement pour nos événements », vante Jérémie Daumas, chef de projet.
En novembre 2016, pour le Mois de l’ESS (Économie sociale et solidaire), la Chambre régionale de l’ESS de Champagne-Ardenne (Cressca) cherchait de son côté un moyen atypique de communiquer auprès des scolaires sur les principes de solidarité et d’utilité sociale propres à l’ESS. Stéphanie Chenet, chargée de communication pour la Cressca, croise alors la route d’Esta Webster.
Le pari de l’humoriste : replacer l’ESS dans notre quotidien pour « prouver que c’est un concept bien concret ». En imitant par exemple des jeunes qui s’ennuient dans leur village et en viennent à créer une association. « Esta a une facilité à dialoguer sur des sujets compliqués. Et elle peut garder l’attention des jeunes pendant une heure ! » s’enthousiasme Stéphanie Chenet.
Lorsque l’un de ces organismes la contacte pour une demande de spectacle, Esta Webster « ne di[t] jamais non ». Elle rencontre, interroge, cherche à comprendre. Elle écrit trois, quatre, cinq versions d’un spectacle avant de parvenir à « faire oublier que le sujet est compliqué ». « Je suis comme beaucoup de monde, l’économie sociale et solidaire par exemple, je savais que ça existait, mais je n’avais pas de mots à mettre dessus. »
Une artiste engagée qui sort des sentiers battus
Faire rire pour prévenir donc, mais aussi chanter, photographier, filmer. Esta Webster a de nombreuses cordes à son arc. Chanteuse, elle enregistre des albums. Pédagogue, elle anime des ateliers d’écriture. Vidéaste, elle monte des films personnalisés. Son dernier projet, un épisode de Trace ton ciné sur la laïcité. De sa voix rocailleuse, elle a interviewé quatre-vingts personnes pour offrir une « photo de la laïcité, en France, en 2017 ». À l’initiative de la demande, l’Espace animation jeunesse (AEJ) de Romilly-sur-Seine, répondant aux attentes de la préfecture de l’Aube, qui était désireuse de « sensibiliser aux risques de la radicalisation ». « Esta a une capacité à cerner et à analyser les demandes. Sa proposition nous permet de sortir des sentiers battus », explique David Buda, animateur à l’AEJ.
Même constat chez Chlorophylle, une structure d’insertion par l’activité économique (SIAE) spécialisée dans les travaux d’espaces verts et la vente de paniers de légumes bio. « Esta a créé un spectacle avec les salariés. Il y avait des sketchs, des chansons, des vidéos. L’idée était de travailler sur la confiance en soi et le regard des autres, deux freins à l’emploi que l’on essaye de gommer ici », développe Karine de Souza, accompagnatrice socioprofessionnelle. Ali est l’un de ceux passés derrière la caméra d’Esta Webster : « Lorsqu’elle m’a filmé dans le potager, je stressais beaucoup. Elle m’a dit de respirer, de ne pas avoir peur. En me voyant à l’écran, j’ai ri. Cet exercice me servira, je penserai aux conseils d’Esta lors de mes entretiens d’embauche. »
Ses spectacles sont-ils vécus comme une thérapie ? Elle admet recevoir des messages qui le sous-entendent. Celle qui est convaincue que « la connerie est une forme d’intelligence », assume être « militante de tous [s]es sujets ». « Il est difficile de faire rire, mais je n’ai pas le trac de savoir si je vais remplir mes salles », indique Esta Webster, qui œuvre toujours à guichets fermés. Spectacles à la demande obligent, « salariés ou scolaires sont bien souvent contraints d’y assister », plaisante-t-elle.
Esta Webster pastiche une femme de 75 ans venue la féliciter à la fin d’un spectacle : « Vous savez quoi, la semaine dernière, je suis allée voir un vrai humoriste, eh bien c’était moins drôle. » Des félicitations « touchantes », mais qui la perturbent malgré ses presque vingt ans d’expérience. Esta Webster communique peu, par choix : « Je ne m’intéresse pas assez à moi-même pour oser penser que je pourrais être connue. Je ne recherche pas la célébrité. Je trouve qu’il est mieux de faire que de paraître. » Pas de hasard donc, si l’artiste se produit partout en France, « sauf à Paris ».
Par Léonie Place
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