Nos choix alimentaires ne sont pas neutres : ils prennent une place prépondérante dans nos modes de vie, et influent sur notre santé comme sur celle de la planète. Chirurgien en cancérologie, membre de l’Académie des sciences de New York, le Dr Edouard Pélissier a, dans son dernier livre Végétarien, végan ou flexitarien ? Ce qui est bon pour votre santé (Odile Jacob, 2019), décortiqué de multiples études scientifiques pour comparer les habitudes alimentaires. Quels sont les avantages et les inconvénients de ces trois modèles ? Avis d’un expert.
Comment a-t-on prouvé que l’être humain est, depuis ses origines, un omnivore ?
La paléontologie a montré que les premiers hommes mangeaient de la viande. On a retrouvé des traces de leurs habitudes alimentaires dans tous les sites archéologiques depuis environ deux millions d’années, à l’époque du genre homo. On en a les preuves, parce qu’on a retrouvé notamment des armes, des pointes de flèches, de javelots et des racloirs qui servaient à récupérer la viande sur les os des animaux qui avaient été tués. On a également découvert des os d’animaux avec des traces de raclage.
C’est probablement le fait de manger de la viande qui a permis aux hommes d’occuper toute la surface du globe. Car s’ils s’étaient contentés de fruits et de plantes qu’ils trouvaient dans leur milieu, ils n’auraient pas pu aller dans les contrées nordiques par exemple. On ne peut pas imaginer que les Inuits auraient pu survivre en mangeant uniquement des végétaux.
Les premiers hommes étaient des chasseurs-cueilleurs mais aujourd’hui, avec l’évolution, est-il encore pertinent d’être omnivore, notamment pour la santé ?
Oui, parce qu’en réalité, l’homme n’est pas né du jour au lendemain, il est le fruit d’une évolution qui a duré des millions d’années. Pendant cette période, notre métabolisme s’est adapté en fonction du milieu dans lequel on vivait. En mangeant des végétaux et de la chair animale, on a formaté notre organisme pour cela. Dire que l’on est omnivore ne signifie pas qu’on peut manger de tout : cela veut dire qu’on a besoin de tout.
L’exemple de la vitamine B12 est révélateur parce qu’on ne sait pas la fabriquer. Elle est indispensable pour l’hémoglobine des globules rouges. Si on en manque, on risque l’anémie, mais pas seulement. Car la vitamine B12 a des fonctions encore plus importantes pour le système nerveux. Elle est indispensable. Or on ne la trouve que dans les produits d’origine animale, essentiellement dans la chair des animaux terrestres et des poissons, moins dans le lait par exemple. Si l’on s’est constitué au cours de l’évolution avec ce besoin, on ne peut pas du jour au lendemain s’en passer.
Dans votre livre, vous relevez les avantages du modèle pesco-végétarien*. Pourquoi ?
Car c’est probablement le meilleur. À trois reprises dans les études que j’ai lues, il arrive en premier. Les bienfaits du poisson sont connus depuis longtemps. D’ailleurs, les populations qui ont la plus longue durée de vie sont les Japonais et les Méditerranéens qui mangent beaucoup de poisson. Ce dernier doit y jouer un rôle important, parce qu’il apporte des omégas 3 qui ne sont pas aussi abondants dans les aliments d’origine végétale. Certains végétaux comme les graines de lin ou de chia en contiennent, mais ils n’ont pas la même fonction et sont beaucoup moins actifs que les omégas 3 que l’on trouve dans le poisson.
Les pesco-végétariens sortent aussi en tête de certaines études sur le cancer. À ne pas confondre avec les végétariens, qui ne consomment pas de poisson. Car contrairement à ce que l’on dit parfois, les végétariens n’ont pas moins de cancers que les omnivores. Ce sont les pesco-végétariens qui semblent le moins exposés, notamment pour le cancer de l’intestin.
Vous soulignez également les avantages du régime méditerranéen…
Oui, c’est un modèle flexitarien qui n’est pas très éloigné du pesco-végétarien. Il y a eu énormément d’études qui montrent son intérêt, sa valeur sur le plan médical : c’est très largement prouvé. Son alimentation est basée sur une large variété de végétaux, du poisson et une consommation de viande moindre comparé aux Américains par exemple.
Pourquoi faut-il privilégier le bio ?
L’alimentation bio est meilleure dans la mesure où elle ne contient pas de pesticides. Toutefois, bio ne veut pas dire nécessairement équilibré ! Je vais souvent dans les magasins bio et je me «bats» avec ma femme parce qu’elle achète des biscuits bio. L’industrie s’est aussi engouffrée dans les produits transformés. Un aliment peut être bio et trop sucré, trop salé ou trop gras. Le bio non transformé est bien meilleur et il est préférable d’équilibrer ses repas.
Vous insistez sur les fruits, les légumes et les graines et vous dites surtout qu’il est indispensable de s’informer si l’on fait le choix d’un modèle alimentaire. Pourquoi ?
Parce que si l’on décide du jour au lendemain de supprimer la viande, on s’expose aux carences. Il ne faut pas oublier que notre alimentation physiologique, fondamentale, est omnivore. On ne peut pas être carencé en vitamine B12, il faut donc en prendre sous forme de complément. Si l’on choisit un modèle végétarien, on peut arriver à trouver sa ration de protéines quotidienne en identifiant bien les végétaux riches en protéines, comme les graines par exemple.
On parle souvent du quinoa. Mais sait-on que dans un sachet de quinoa tout prêt, il y a seulement 4 grammes de protéines pour 100 grammes. C’est très peu, alors que la moyenne officielle est de 0,83 gramme par kilo de poids corporel : pour un poids de 70 kilos, cela équivaut à environ 60 grammes de besoin journalier.
Dans votre livre, vous mettez en garde contre les carences alimentaires, notamment pour les végans, qui sont les plus exposés…
Je cite en effet plusieurs études où l’on constate qu’ils ont plus souvent une carence en protéines. Dans une des études de NutriNet-Santé par exemple, menée en 2009 et basée sur plus de 90 000 personnes ayant tous types de modèles alimentaires (omnivore, végan, végétarien…), il apparaît que 15 % des végétariens et 27 % des végans ont un apport en protéines insuffisant. Cela veut dire que si l’on veut vraiment adopter un de ces modèles alimentaires, il faut bien s’informer en mangeant ce qu’il faut. Ça ne s’improvise pas, car des études montrent aussi qu’il y a 30 % de plus de fractures d’ostéoporose chez les végans. C’est beaucoup ! Or, chez les personnes âgées, c’est une cause de mortalité.
Les végans disent par exemple que les haricots contiennent autant de protéines que la viande. D’accord en ce qui concerne les haricots secs, mais on ne les mange pas crus, il faut les faire tremper, puis les faire cuire. Or, une fois cuits, ils contiennent trois fois moins de protéines. Il en est de même pour le quinoa et les pâtes cuits ; il faudrait en manger environ 800 grammes pour couvrir les besoins journaliers. Or il ne faut pas oublier que si l’on en consomme davantage, on augmente aussi l’absorption de glucides et si on ne fait pas de sport, on les stocke. C’est pourquoi je donne plusieurs exemples et modèles dans mon livre.
Vous insistez également sur la nécessité d’adapter son modèle alimentaire en fonction de son âge, de sa santé et de son activité.
Oui, notamment pour les femmes enceintes et allaitantes, les enfants en croissance, les adolescents, les sportifs et les personnes âgées : ils ont tous besoin de beaucoup plus de protéines. Les sportifs doivent doubler leur dose. Pour les personnes âgées, il faut ajouter 50 % des besoins quotidiens en protéines, pour éviter la fonte musculaire et les risques de chute. On sous-estime souvent leurs besoins nutritionnels. Elles ont aussi besoin de plus de calcium.
Si, dans notre civilisation, le calcium provient principalement des laitages, il est également présent dans les végétaux : légumes, noix, amandes… Mais les proportions sont très différentes. Par exemple, on trouve environ 100 milligrammes de calcium pour 100 grammes dans les végétaux, alors que dans un fromage à pâte dure comme le parmesan, le taux de calcium s’élève à 1 gramme pour 100 grammes, soit dix fois plus. C’est pourquoi, dans mon livre, je donne une liste avec les équivalences pour adapter son alimentation.
Les études montrent que 20 à 30 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) proviennent de la chaîne alimentaire. Le changement de modèle alimentaire peut-il être aussi une solution pour lutter contre la pollution et le changement [1] climatique ?
On sait que l’élevage représente environ 14,5 % des émissions de GES selon la FAO, soit moins que le transport (23 %). Tout le monde est d’accord qu’il est aujourd’hui nécessaire de réduire la consommation de viande. Pour autant, il paraît difficile de cesser, pour tous, de manger de la viande, d’arrêter de se déplacer en voiture, en avion et en bateau. Des études montrent qu’en réduisant simplement de moitié la consommation de viande des Américains (qui s’élève à 300-400 grammes par jour !), on peut faire passer l’agriculture américaine à un modèle beaucoup plus durable.
D’autres études montrent que lorsque l’on combine un indice d’émission de GES et un indice nutritionnel, de nombreux aliments ne donnent pas satisfaction. C’est-à-dire que même si les cultures émettent moins de GES que l’élevage, il faudrait beaucoup plus de surfaces agricoles pour couvrir tous les apports nutritionnels.
Pour tenter de trouver le bon équilibre entre santé et environnement, une étude anglaise a élaboré un régime à base de 372 grammes de viande par semaine, plus d’oléagineux, de haricots, de graines, moins de sucre, etc. et moins d’alcool – car il a lui aussi un impact non négligeable. Elle conclut que ce modèle est moins coûteux, libère moitié moins de GES et est meilleur pour la santé.
La diminution des émissions de GES par rapport à un régime omnivore est de 26,6 % pour le régime flexitarien et 29,6 % pour le régime végétarien ; la différence est modeste.
Je pense qu’il va falloir tout corriger. Modifier l’alimentation, les transports, la production d’énergie, la construction industrielle, etc. C’est logique.
Animées par des motivations biologiques et écologiques, certaines personnes adoptent aussi le modèle végan ou végétarien pour des convictions idéologiques ou spirituelles, dénonçant essentiellement la souffrance animale…
On les comprend. Surtout lorsque l’on voit ces images atroces révélées par l’association L214. Mais je pense que c’est surtout le mode l’élevage et d’abbatage qu’il faut changer. On ne reproche pas – même les végans – au loup de manger des agneaux, au lion d’attraper des antilopes parce qu’ils sont carnivores. Si l’on admet que nous sommes omnivores, il faut aussi accepter d’une manière ou d’une autre que l’homme continuera de tuer des animaux ou de pêcher des poissons. Ce qui ne va pas, dans notre monde, c’est la façon dont on le fait, à cause de l’industrialisation.
Il existe déjà une autre manière d’élever les animaux, dans les champs en les nourrissant d’herbe, et pas dans des boxes à l’étroit, où on les nourrit d’aliments qui n’ont rien à voir avec la nature (du soja importé, des OGM…). Ils sont mal nourris, ne font pas de la bonne viande et sont malheureux. Si on consomme moins de viande, on pourra revenir à un élevage traditionnel. Le plus efficace serait d’attribuer une nouvelle étiquette obligatoire sur la condition d’élevage des animaux.
Vous proposez d’ailleurs de créer un nouveau label. Lequel ?
Je propose un label « Welfare-Score » sur les conditions d’élevage des vaches, des poules, des cochons… En choisissant ces produits, les consommateurs feraient indirectement pression sur les producteurs et les distributeurs pour changer de modèle.
Vous présentez également la solution étonnante des insectes ! Pourquoi ?
Car même en modifiant nos modes de consommation dans les pays riches en général, il sera probablement difficile de couvrir tous les besoins de la population mondiale dans le futur, car nous sommes déjà trop nombreux sur cette terre, et nous le serons de plus en plus. Or les insectes sont riches en protéines, plus que le bœuf ! Ils ne boivent pas d’eau car ils se nourrissent essentiellement de végétaux. Ils n’ont pas besoin de grands espaces et n’ont pas de carcasse. Ils ont un rendement extraordinaire. Comme les vers par exemple. Les insectes sont consommés partout dans le monde sauf en Occident.
En raison des réticences culturelles ?
Oui. Mais il est possible de fabriquer des farines de protéines d’insectes et de les introduire dans des aliments industriels. La plupart des insectes ne doivent pas être mangés crus, à l’instar des grillons que l’on consomme en Afrique. Il faut les faire cuire.
Propos recueillis par Sabah Rahmani
* Quels sont les différents modèles alimentaires ?
Omnivores : ils consomment de tout sans limite de fréquence (végétaux, poisson, viande, lait et œufs).
Flexitariens : appelés aussi semi-végétariens, ils mangent de tout, consomment de la viande et du poisson plus ou moins une fois par semaine.
Végétariens : ils excluent la viande et peuvent être regroupés en deux sous-catégories :
- lacto-ovo végétariens : ils excluent la viande et le poisson, mais consomment des produits laitiers et des œufs ;
- pesco-végétariens : ilsmangent de tout sauf de la viande, ils n’excluent pas les poissons et les fruits de mer.
Végans : appelé aussi végétaliens, ils mangent uniquement des végétaux, excluant viande, poisson, œufs, laitages.
[1] À lire : Pourquoi la viande est-elle si nocive pour la planète ? Le Monde du 11/12 /2018, Les Décodeurs
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