D’un côté les bonnes nouvelles et les initiatives citoyennes, de l’autre les crises et les catastrophes, voici comment on pourrait résumer le paysage médiatique actuel. Pour Cyril Dion, co-réalisateur du documentaire Demain, co-fondateur de Kaizen et auteur du Petit manuel de résistance contemporaine, ces différentes pratiques journalistiques sont, au contraire, profondément complémentaires pour assurer le rôle des médias au sein de la démocratie.
Comment définissez-vous la notion de journalisme d’impact ?
Le journalisme c’est une façon de décrypter le monde, de le comprendre, de le retraduire, de permettre aux gens d’avoir accès à une information qui leur permet d’avoir un point de vue et une vision sur ce qui les entoure. Donc à ce titre-là, il me semble que le journalisme d’impact peut également participer à montrer un certain nombre d’évolutions dans la société, à raconter des histoires ‘’positives’’. Cela nous permet d’envisager que l’humanité ne se résume pas simplement à des gens qui s’entretuent mais qu’il y a aussi des gens extraordinaires. Des personnes qui inventent, qui comprennent le monde d’une autre façon et qui participent à faire évoluer notre culture d’être humain sur la planète.
Pourtant, il est courant d’entendre que les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne…
J’ai entendu cela pendant des années au moment où je recherchais des financements pour réaliser le film Demain. Tout le monde disait qu’un documentaire sur des initiatives positives n’intéresserait personne parce que les gens ne sont intéressés que par les drames, les catastrophes, les choses qui émotionnellement vont les saisir. Je pense que c’est absurde. Ce qui intéresse les gens c’est de comprendre le monde en leur racontant des histoires qui les touchent. Quand un journaliste traite l’héritage de Johnny dans la presse people, il raconte une histoire. Quand un journaliste explique comment l’État Islamique est né en Syrie ou dans d’autres pays du Moyen-Orient, il raconte une histoire. Alors pourquoi, tout d’un coup, il serait moins intéressant de raconter l’histoire d’une personne qui a sorti tout son village de la pauvreté en mettant en place du recyclage. A quel titre ? J’ai du mal à comprendre l’argument.
Mais en insistant sur les solutions n’y a-t-il pas le risque de s’éloigner des problèmes de fond ?
Tout dépend de la manière dont le sujet est traité ! Si cela reste très anecdotique comme on peut le voir sur certains sites, où ce ne sont pas vraiment des journalistes qui travaillent mais plutôt des relayeurs d’informations, je comprends qu’on puisse trouver cela vraiment léger. Mais il y a toute une partie du journalisme d’impact qui au contraire s’intéresse à décortiquer les situations, à les comprendre, à les remettre en perspective… Ce n’est pas simplement du fait divers positif. Par exemple, si j’ai parlé de San Francisco dans Demain, c’est grâce à un journaliste du Monde. Il est allé là-bas pour réaliser toute une série de reportages pour la rubrique Planète. Il a pris le sujet sous plusieurs angles différents : la création d’emploi, le recyclage, l’économie… C’était super et c’était vraiment du registre de l’analyse.
Selon vous, pour inviter les lecteurs à agir, faut-il insister sur les problèmes ou les solutions ?
Je pense qu’il faut les deux. Dans ce que nous avons fait avec Demain par exemple, il y a des moments où nous essayons de montrer, expliquer, décoder la réalité des faits. Pourquoi les grandes entreprises ont tant de pouvoir ? Pourquoi la pollution s’est généralisée ? Pourquoi est-ce qu’on détruit l’habitat d’un certain nombre d’espèces alors qu’elles disparaissent… Il est nécessaire de comprendre tous ces éléments. Mais ce journalisme [traditionnel] aujourd’hui prend toute la place. Le journalisme d’impact essaye de proposer une deuxième jambe : voilà le problème mais voilà aussi des analyses, des reportages, des histoires, des portraits sur des personnes qui essaient d’apporter des solutions à ces problèmes-là. Je pense que c’est profondément complémentaire. Il faut arrêter de penser les choses sous forme d’opposition. Au contraire, tout cela a besoin de marcher main dans la main.
Il ne serait donc pas pertinent non plus de faire du 100 % positif…
J’ai évolué sur la question. Dans Demain, nous voulions faire un film globalement axé sur les solutions. Mais j’ai bien vu que si nous passions complètement à côté de l’explication ou de la mise en scène des problèmes, les solutions n’étaient pas reçues de la même façon. Si vous rentrez complètement dans le problème, cela peut créer en vous une forme d’angoisse, de colère, de révolte, d’insécurité. Donc vous aurez tout de suite plus envie d’aller vers la solution. C’est pour cela que de mon côté, je suis en perpétuelle évolution. Je cherche. Je pense qu’il n’y a pas une formule magique définitive. Nous avons perpétuellement besoin de nous remettre en question pour savoir comment être le plus compréhensible, le plus honnête possible, comment rentrer dans la complexité des sujets traités.
Finalement, l’opposition entre journalisme d’impact et journalisme traditionnel a-t-elle un sens ?
Je pense qu’il faut arrêter de faire des chapelles. Si on se met à dire « eux ce sont les journalistes comme-ci, eux comme ça », cela crée potentiellement de la conflictualité, alors que le but, à mon avis, c’est de continuer à repenser le métier de journaliste. Isoler des formes de journalisme crée des dogmes, avec une religion et une bible, comme la « plume dans la plaie » d’Albert Londres par exemple. Le monde change tout le temps, il évolue. Que les journalistes puissent continuer à réfléchir à leur responsabilité et à leur rôle par rapport à cette évolution du monde me paraît extrêmement sain. Alors si le journalisme d’impact, ou quel que soit le nom qu’on veut lui donner, participe à créer cette conversation dans le milieu de la presse, c’est super ! Le plus intéressant dans cette démarche-là c’est d’interroger le rôle du journalisme dans notre démocratie, notre révolution culturelle, dans l’évolution de l’imaginaire des gens, plutôt que de créer une guéguerre qui n’a pas lieu d’être entre « vrai journalisme » et un truc qui s’appellerait journalisme d’impact. Pour moi, ce genre de conflit n’a pas beaucoup d’intérêt.
Propos recueillis par Marion Mauger
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