Après la démission de Nicolas Hulot, ex-ministre de la Transition écologique, les épisodes caniculaires, les débats autour du glyphosate, pour Cyril Dion, co-réalisateur du documentaire Demain et auteur du Petit manuel de résistance contemporaine, il est urgent de constituer un lobby citoyen.
Que retenir de la mobilisation lors de la Marche pour le Climat, organisée samedi 8 septembre ?
Cette marche a montré que les gens se mobilisent relativement spontanément. L’ONG 350.org s’est chargée de l’organisation à l’échelle mondiale mais en France il y a eu une espèce de relais un peu spontané et c’est quelque chose de positif. En 2014, nous étions beaucoup moins nombreux. Cette fois c’était de l’ordre de 50 000 dans la capitale et 100 000 dans toute la France, selon les estimations les plus hautes. Mais, c’est vrai que cela reste extrêmement peu si on compare aux mobilisations qu’il y a pu avoir sur d’autres sujets, qu’elles soient spontanées ou organisées, comme pour Charlie Hebdo ou la Manif pour Tous par exemple.
Sur les réseaux sociaux, certains proposent d’organiser une marche chaque mois. Est-ce une bonne idée ?
En effet, une deuxième marche est prévue le 6 octobre. Je pense que c’est une très bonne idée. Cela permettrait de systématiser ces rassemblements, et ensuite, d’agréger des populations qui ne se sentaient pas concernées par le sujet. A force de voir qu’il y a du monde, d’autres gens vont se rapprocher du mouvement. Mais s’il n’y a pas plus de monde pour l’instant, c’est sans doute parce que le changement climatique reste un sujet qui est très abstrait pour une bonne partie des gens. Dès que l’on touche aux acquis sociaux, comme ce fut le cas pour le CPE ou les retraites, la mobilisation est beaucoup plus forte parce que les gens se sentent directement concernés. Et pourtant, le changement climatique est une problématique universelle, qui va toucher tout le monde. En cela, ce peut être un peu démobilisant.
Lors de sa démission, Nicolas Hulot a regretté qu’il n’y ait pas de mobilisation citoyenne suffisamment forte. Partagez-vous cet avis ?
Je crois profondément que si on veut des responsables politiques capables de faire quelque chose, il faut qu’il y ait des millions de gens derrière eux. C’est sûr, il y a des lobbies qui sont très forts et qui permettent d’orienter les politiques publiques, alors pourquoi est-ce qu’on ne créé pas un lobby citoyen, avec une petite cellule dont la fonction est d’aller mobiliser des millions de personnes, des artistes, des ONG, et de faire pression très fortement, d’aller rencontrer des parlementaires, fort justement de ce soutien populaire.
© Cyril Dion
Dans votre livre « Petit manuel de résistance contemporaine », vous expliquez la nécessité d’organiser stratégiquement la mobilisation citoyenne, d’établir une stratégie en plusieurs étapes précises. Concrètement, par où faut-il commencer ?
Ce que dit Popovic (Srdja Popovic, leader du mouvement qui a chassé le dictateur Milosevic d’ex-Yougoslavie, ndlr) et que j’aime beaucoup, c’est qu’il faut voir grand et commencer petit. C’est-à-dire se donner un objectif important mais ne pas se dire qu’on va directement traiter cet objectif-là, ne pas se dire qu’on va se mobiliser pour lutter contre le changement climatique dans son ensemble, parce qu’on ne saurait pas comment faire ni par où commencer. Il faut se donner des étapes qui nous y conduisent, et se dire « C’est quoi la première étape qui serait potentiellement une victoire atteignable ? », puis, se servir de cette première victoire pour donner de l’énergie à tout le monde. « Voilà, on a fait ça sur les pesticides, maintenant on va faire ça sur les transactions financières », et ainsi de suite…
Ces étapes et ces objectifs seraient coordonnés par le lobby citoyen dont vous parlez ?
Le job du lobby citoyen serait en effet de faire de la coordination et de la mobilisation. Il faudrait séquencer les objectifs et faire en sorte que tout le monde se concentre en même temps sur la même étape. Pour cela, il faudrait que les ONG contactent tous leurs fichiers, dans lesquels il y a des centaines de milliers de personnes, entre Greenpeace, WWF et les Colibris par exemple, pour appeler à la mobilisation pour ces sujets-là, par des pétitions, par une présence dans la rue, par des emails à leurs députés, leurs sénateurs, par le boycott pourquoi pas, toutes les façons possibles et imaginables d’agir sur ce sujet-là. Il faudrait chercher des artistes ou leaders d’opinion pour qu’ils s’expriment dans les médias en disant « Voilà, on est des centaines de milliers voire des millions à se mobiliser pour ce sujet-là et on n’arrêtera pas tant qu’on n’aura pas réussi à atteindre tel objectif », jusqu’à ce qu’on y arrive ! Et encore une fois, si on y arrive, cela donnerait l’énergie à tout le monde de passer au deuxième objectif, de dire : « Si on fait ça, là on crée un mouvement qui n’est pas simplement de protestation, mais qui est un mouvement démocratique ». Tout d’un coup on permet à une bonne partie de la population d’exprimer son opinion sur un sujet et donc d’orienter les politiques. Quand on voit par exemple que sur le glyphosate, dans les sondages d’opinion on a entre 80 % et 90 % des gens qui sont contre et que le gouvernement dit « On va sortir du glyphosate mais on ne va pas l’inscrire dans la loi », il y a un problème démocratique : dans nos institutions, on n’a pas la possibilité de s’exprimer entre deux élections. Là, typiquement, on voit bien que si on est obligés de mobiliser des millions de gens pour dire qu’on n’est pas d’accord, c’est quand même une grosse faillite de la démocratie.
La mécanique de ce lobby démocratique serait donc d’abord de mobiliser les citoyens pour généraliser le mouvement aux politiques ?
C’est la théorie du U, la théorie du changement. A une extrémité on a les pionniers qui font leurs trucs en dehors du système, et à l’autre bout cela s’institutionnalise. Maintenant, il est sûr qu’il va falloir aussi de nouveaux responsables politiques. Et si ce lobby fonctionne, nous serons peut-être capables de présenter un candidat. Si depuis un an, deux ans, trois ans nous remportons des victoires, nous montrons notre capacité à nous mobiliser par millions, peut-être que des personnes nouvelles émergeront, prendront des responsabilités politiques et participeront à changer la Constitution ou en tous cas les règles de la démocratie actuelle. Par exemple en Suisse, il y a les référendums d’initiatives populaires. Quand 100 000 personnes se rassemblent et qu’elles font une proposition au Parlement, il est obligé de l’étudier et de la soumettre à une votation populaire. Si l’on reprenait cette idée là en France, cela permettrait d’abord de remporter des victoires sur un mode d’opposition citoyenne, et demain potentiellement, de faire passer cette dimension-là dans le champ politique. Il faut créer des coopérations et des rapports de force entre la population et les responsables politiques.
La création de ce lobby citoyen est-elle en cours ?
Je l’ai proposé à plein de gens, des responsables d’ONG, des leaders d’opinion, des gens qui ont des réseaux. C’en est au stade de la réflexion…
Certaines personnes ne font pas du changement climatique une priorité parce qu’elles ont des revenus modestes par exemple. Comment les inclure dans la mobilisation ?
Si ces personnes sont obligées d’acheter de la nourriture premier prix dans les supermarchés, de garder leur voiture diesel, qu’elles n’ont pas les moyens de changer de chaudière, on peut au moins leur permettre de participer à des mobilisations qui changent structurellement la politique du pays, ce qui leur permettrait potentiellement de mener ensuite un certain nombre d’actions, soit aidées par l’Etat, soit parce que c’est la loi. Si c’est la loi de favoriser l’agriculture biologique par exemple, l’offre sera beaucoup plus abondante et surtout, beaucoup plus abordable. C’est effectivement plus difficile de changer son quotidien quand on est déjà dans une situation précaire, pourtant tout le monde peut participer à cette espèce de lutte politique pour transformer notre modèle de société.Une étude (réalisée par Erica Chenoweth et Maria J. Stephan, dans Why Civil Resistance Work en 2011, ndlr) semble dire qu’il faudrait que 3,5 % d’une population soit mobilisée pour que les choses basculent. Maintenant la question est : comment on fait pour mobiliser ces 3.5 %, ? Comment en France, on peut mobiliser autour d’un seul sujet plus de deux millions de personnes ?
Propos recueillis par Solène Peillard et Marion Mauger